Patrick Chamoiseau : "Parfois je ne comprends pas ce que j'écris"
L'écrivain martiniquais Patrick Chamoiseau est l'invité de Philippe Vandel dans Tout et son contraire.
Patrick Chamoiseau est auteur de romans, de contes, d'essais, de bandes-dessinées. Il a également écrit pour le théâtre et le cinéma.Prix Goncourt en 1992 pour Texaco, il publie cette année Frères migrants (éditions du Seuil), ouvrage à la croisée des chemins entre essai et poésie.
L'émotion au centre de tout
"Ce livre, j'aurais tendance à dire que c'est une intervention poétique, explique Patrick Chamoiseau. Les différents faits qui surgissent aujourd'hui laissent une place aux experts, aux sociologues, aux économistes. Ce qui est absolument dommageable c'est qu'on a laissé de côté la connaissance poétique et la connaissance artistique des choses".
Patrick Chamoiseau parle du capitalisme comme d'une "barbarie aussi dévastatrice que les anciennes". Il s'explique : "Partout où on a un triomphe du capitalisme et où le marché règne, bien sûr, on voit la disparition des barbaries archaïques, mais on voit ressurgir des précarités, on voit des misères moyenâgeuses, on voit un effondrement spirituel, surgir des déserts culturels, l'extrême droite... tout un tas d'atrocités qui sont absolument terribles." Patrick Chamoiseau parle des sans-abri, qui meurent de froid dans l'indifférence : "Il faut être très sensible au fait qu'il y ait une nouvelle forme de violence qui est terrible, et qui concerne des milliers de personnes."
"L'alexandrin constitue la base de mon souffle"
Patrick Chamoiseau est un passionné de poésie. "J'ai tellement aimé et récité Victor Hugo que l'alexandrin constitue la base de mon souffle. Et j'écris avec mon souffle, qui est lié à des émotions. Et c'est l'émotion qui permet de traiter la langue en langage."
Parfois, je ne comprends pas ce que j'écris ! Si ça sonne bien, je laisse passer la musique.
Patrick Chamoiseau, écrivainà franceinfo
Patrick Chamoiseau fait une confession étonnante : "La littérature ne s'adresse pas à la raison, la littérature s'adresse à la perception. Il s'agit, dans une phrase ou un paragraphe, de mobiliser toutes les possibilités de la sensibilité humaine : le regard, les yeux, la saveur, le mental, l'inconscient, la sensation... J'ai toujours eu l'habitude de lire la poésie en me laissant emporter sur de grands fleuves poétiques."
Le "nœud" du créole et du français
Patrick Chamoiseau parle très rarement de sa vie privée, "ça n'a aucun intérêt" affirme l'écrivain. Ce que l'on sait, c'est qu'il est né et habite toujours en Martinique. Dernier d'une famille de cinq enfants, il se sentait "le vilain petit canard". "J'étais tout maigre, maladif, un peu abandonné par tous. Enfin c'était la perception que j'avais." Ses professeurs ne comprenaient pas qu'un enfant "aussi nul à l'oral puisse écrire d'aussi bonnes rédactions" : "J'avais des 18 ou 19 à l'écrit alors que j'étais incapable d'articuler une phrase ! Il faut dire qu'il y avait ce nœud noué entre la langue française et la langue créole. J'étais en créole dans ma tête et il me fallait faire une traduction en français, donc c'était difficile."
Enfant, il aime réécrire la fin des romans quand elle ne lui plaît pas. Il a par exemple refait la fin de La Chèvre de monsieur Seguin, mais la chèvre revient vivante. "La fin était tellement insoutenable, que j'ai dû inventer plein de variantes ! J'étais un grand imitateur, je pouvais véritablement, par un phénomène de mimétisme, reproduire exactement la prose de ceux que j'aimais."
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