Changement climatique : l’Italie et la Suisse modifient leur frontière à la suite de la fonte d’un glacier

Tous les samedis on décrypte les enjeux du climat avec François Gemenne, professeur à HEC, président du Conseil scientifique de la Fondation pour la nature et l'homme et membre du GIEC.
Article rédigé par franceinfo - François Gemenne
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Le mont Cervin, en Suisse, près duquel passe la frontière avec l'Italie. Décembre 2022 (PIERRE TEYSSOT / MAXPPP)

Près du Matterhorn (ou Cervin), plusieurs segments de la frontière entre l’Italie et la Suisse sont déterminés par les lignes de crête des glaciers. Or, ces glaciers fondent, et donc leur ligne de crête change. C’est pour cela que la Suisse et l’Italie ont monté une commission mixte pour tracer une nouvelle frontière qui tienne compte de ces changements, qui ont été actés cette semaine.

Ce n’est la première fois qu'une frontière est modifiée : il arrive de temps en temps que deux pays modifient pacifiquement le tracé de leur frontière, mais généralement pour des raisons pratiques. Par exemple en 2017, la Belgique et les Pays-Bas avaient retracé une frontière parce qu’ils s’étaient rendu compte qu’une presqu’île inhabitée n’appartenait à aucun des deux pays, qu’on y avait découvert un cadavre, et qu’on ne savait pas si c’était la police belge ou la police néerlandaise qui devait mener l’enquête. Mais avec le changement climatique, on peut facilement imaginer que ce sont beaucoup d’autres frontières qui vont devoir être redessinées, parce que beaucoup de frontières s’appuient sur des éléments naturels : des fleuves, des glaciers, etc. Et le changement climatique va évidemment transformer ces éléments.

Cela pourrait-il déboucher sur des tensions, voire même sur des incidents ou des conflits frontaliers ?

Difficile de l’exclure. Pour le Cervin, on avait monté une commission spéciale, et cela ne concernait pas un très grand territoire. Mais à d’autres endroits, on peut imaginer que le territoire concerné soit beaucoup plus grand, et donc les frontières beaucoup plus contestées. Dans le cas de fleuves qui s’assèchent, ou dont le cours viendrait à changer, par exemple. Mais là où ça devient vraiment délicat, c’est pour la hausse du niveau des mers.

On parle ici des frontières maritimes, évidemment, et en particulier de la zone économique exclusive, ou ZEE, qui est une bande de mer située entre les eaux territoriales et les eaux internationales, et sur laquelle un Etat dispose de l’exclusivité de l’exploitation des ressources naturelles. Cette zone est délimitée par une distance de 200 milles nautiques, soit environ 370 kilomètres, à partir de la ligne de base du littoral. Le problème, c’est que la hausse du niveau des mers grignote ce littoral, et que la ligne de base recule, ce qui rétrécit les ZEE. Et ça inquiète beaucoup les petits Etats insulaires du Pacifique, dont la ZEE est souvent la principale richesse : en 2021, ils ont envoyé une déclaration officielle pour signaler à l’ONU qu’ils n’accepteraient pas de revoir les frontières de leurs zones maritimes.

Plusieurs petits Etats insulaires de la région, comme Tuvalu, Kiribati ou les Îles Marshall, risquent même de perdre leur territoire, ce qui soulève une question importante : un pays qui perd son territoire peut-il conserver sa qualité d’Etat ? En l’état actuel du droit international, c’est le territoire qui est le fondement de l’Etat. Des juristes commencent à réfléchir à des solutions de secours. Notamment à l’idée de créer des Etats déterritorialisés, virtuels, en quelque sorte. Ce serait une révolution copernicienne de l’ordre international, bien entendu : si cela se faisait, certains Etats n’apparaîtraient plus sur la carte du monde. C’est vertigineux.

Vertigineux, mais quand même très lointain, non ?

Pas tant que ça. Et on est directement concernés, en France, puisque nous sommes la deuxième puissance maritime mondiale, avec plus de dix millions de km2 d’espaces maritimes. Et l’immense majorité de ces espaces sont en outre-mer, évidemment, pas en Méditerranée… Et plusieurs territoires d’outre-mer sont directement menacés par la hausse du niveau des mers : Clipperton, Saint-Pierre-et-Miquelon, les Tuamotu et j’en passe… Nos espaces maritimes pourraient donc bien se réduire aussi, avec d’énormes conséquences pour la pêche, notre souveraineté maritime… et pour les populations locales, bien entendu.

Le changement climatique, littéralement, va redessiner nos cartes de géographie. Et dans un pays comme le nôtre, qui se définit dans les textes officiels par sa forme géographique, l’Hexagone, ça devrait quand même nous faire quelque chose…

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