Cyclone Chido à Mayotte : "Les discours qui cherchent à instrumentaliser la catastrophe sont indignes", dénonce François Gemenne

Tous les samedis on décrypte les enjeux du climat avec François Gemenne, professeur à HEC, président du Conseil scientifique de la Fondation pour la nature et l'homme et membre du GIEC.
Article rédigé par franceinfo - François Gemenne
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Une vue de Mayotte après le passage du cyclone, le 17 décembre 2024 (HANDOUT / MAXPPP)

À chaque catastrophe qui implique un phénomène climatique, c’est le retour de la rhétorique du "On vous l’avait bien dit", "Voilà ce qui arrive quand on ignore les alertes du GIEC", "On aurait dû écouter les scientifiques". Et pour tout dire, on a parfois l’impression que certains éprouvent carrément une excitation un peu morbide à chaque catastrophe… C’est révoltant, vraiment. En tant qu’auteur du GIEC, je vous le dis clairement : contrairement à ceux qui semblent se repaître de la catastrophe comme une bande de vautours, je ne prends absolument aucun plaisir malsain à voir se réaliser nos prévisions.

Ceux qui veulent instrumentaliser la catastrophe sur le mode du "On vous l’avait bien dit" utilisent exactement la même tactique que l’extrême-droite, qui utilise chaque fait divers sordide qui implique des migrants pour réclamer une réforme de la politique d’asile et d’immigration.

franceinfo : Il est question d'immigration justement, à propos de Mayotte

C’est l’autre instrumentalisation de la catastrophe. Je peine à croire qu’au moment où la France fait face à la pire catastrophe climatique de son histoire, la priorité soit d’ouvrir un débat sur l’immigration. Et aujourd’hui, ce drame humanitaire est réduit à une question d’immigration, comme si c’était le sujet du moment.

On va être très clair : est-ce que le cyclone a été renforcé par les températures élevées de l’Océan Indien ? Sans doute. Est-ce que plus de la moitié des Mahorais sont de nationalité étrangère, avec un très grand nombre en situation irrégulière ? Sans aucun doute. Pour autant, ce n’est pas ça qui crée la catastrophe de Mayotte. Une catastrophe, c’est la rencontre d’un risque naturel – ici, le cyclone – avec une vulnérabilité économique et sociale. Et si l’archipel de Mayotte est à ce point dévasté, aujourd’hui, c’est parce qu’il était particulièrement vulnérable. Vulnérable à cause d’un abandon progressif et structurel de la part de l’Etat. Vulnérable à cause d’un sous-investissement chronique. Vulnérable à cause de son impréparation au risque de catastrophe.

"Ce qui a causé la dévastation à Mayotte, ce n’est ni le changement climatique ni l’immigration : ça, ce ne sont que des alibis pratiques pour éviter de reconnaître que le vrai problème, c’est qu’on a fait de ce territoire périphérique un territoire de seconde zone."

François Gemenne

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Le président de la République vient de se rendre sur place, on déploie des secours…

C’est la moindre des choses. Mais clairement, dans l’Hexagone on n’a pas pris la mesure du drame. On est ici face à la pire catastrophe climatique qu’on ait connu la France, et nos politiques discutent de la formation du gouvernement. Et le microcosme politique s’indigne aujourd’hui de morceaux de conversations privées du président, rapportées par un grand journal. La réalité, c’est que si on prenait conscience de l’ampleur de la catastrophe, on mobiliserait tous les moyens de l’Etat et on consacrerait toute notre attention à Mayotte. À l’heure où nous parlons, on a encore des écarts qui vont de 1 à 1 000 entre le bilan officiel de 35 morts et celui que redoutent les humanitaires : c’est dire l’état d’abandon dans lequel on a laissé ce territoire.

Y a-t-il des leçons à en tirer pour notre préparation face aux impacts du changement climatique ?

Evidemment. Et il y a plein de choses à faire, vraiment, parce que ce type d’événement sera appelé à se reproduire, hélas. En termes de politiques de logement, en termes d’alerte, en termes d’évacuation. Et aussi en termes de politiques d’immigration, parce que beaucoup d’immigrés en situation irrégulière n’ont pas voulu se rendre dans les abris, de peur de se faire arrêter. Donc bien sûr qu’il y a plein de choses à faire.

Mais tous les discours qui chercheront à instrumentaliser la catastrophe pour avancer des pions politiques seront indignes, franchement – parce qu’à l’heure actuelle, on n’est même pas encore capable de compter les morts. Et qu’on regarde déjà ailleurs.

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