Environnement : "Les puits de carbone n’ont quasiment pas absorbé de CO2 en 2023", s'inquiète François Gemenne
Cette semaine François Gemenne évoque une "très mauvaise nouvelle" : l’effondrement des puits de carbone. Les puits de carbone, ce sont l’ensemble des écosystèmes naturels qui vont stocker du carbone sur le temps long. Par exemple les forêts, qui vont absorber du carbone grâce à la photosynthèse. Mais aussi les sols, et bien entendu les océans. On estime que les puits de carbone absorbent environ la moitié des gaz à effet de serre produits par les activités humaines, explique-t-il.
Ce qui signifie, selon François Gemenne que "le rôle de ces puits de carbone est capital. Et notamment pour atteindre la neutralité carbone, c’est-à-dire le point d’équilibre entre les quantités de gaz à effet de serre qui sont envoyées dans l’atmosphère, et celles qui sont absorbées par la Terre. Ce n’est qu’à partir de ce moment que les quantités de gaz à effet de serre dans l’atmosphère se stabiliseront, et que les températures pourront se stabiliser".
franceinfo : Donc la neutralité carbone dépend à la fois de notre capacité à réduire nos émissions de gaz à effet de serre, mais aussi de la capacité des écosystèmes à absorber le reste ?
C’est exactement ça.
"Sans ces puits de carbone, c’est impossible d’atteindre la neutralité carbone, parce que toute activité humaine produit des émissions de gaz à effet de serre."
François Gemennesur franceinfo
Et c’est là que je dois vous annoncer une mauvaise nouvelle : en 2023, ces puits de carbone n’ont quasiment rien absorbé, autour de 2 milliards de tonnes de CO2, alors qu’ils en avaient absorbé plus de 9 milliards en 2022. C’est catastrophique. Et donc le résultat, c’est que le niveau de concentration de dioxyde de carbone dans l’atmosphère a beaucoup augmenté en 2023, alors que les émissions de gaz à effet de serre dans le monde n’ont que très peu augmenté.
Mais comment est-ce qu’on explique ça ? C’est une division par quatre…
Le problème vient surtout des forêts et de la végétation. En 2023, il y a eu une importante sécheresse en Amazonie, et aussi de gros incendies au Canada et en Sibérie. Donc, si on veut être optimiste, on peut se dire qu’il y a eu moins de feux de forêts en 2024, et donc que cet effondrement constaté en 2023 pourrait n’être que temporaire. Sauf qu’il y a des éléments plus structurels : dans un monde plus chaud, l’absorption de carbone par la végétation est moins efficace, et les forêts subissent de plein fouet les impacts du changement climatique. D’ailleurs, en France aussi, les puits de carbone forestiers s’effondrent : le Haut Conseil pour le Climat estime que leur capacité d’absorption a été divisée par deux en 10 ans, à cause de la hausse de la mortalité des arbres et d’un ralentissement de leur croissance. Et cette chute des puits de carbone, elle n’avait pas du tout été anticipée, en tout cas pas dans cette ampleur, par les modèles climatiques, ce qui veut dire que la hausse des températures pourrait être beaucoup plus rapide que prévu.
Il n’y a rien qu’on puisse faire ?
D’abord, il faudra attendre les chiffres de 2024 pour voir si la tendance se poursuit dans cette ampleur. On peut espérer que non, mais il est certain que, tendanciellement, le changement climatique va réduire la capacité d’absorption des puits de carbone, parce que les forêts vont être de plus en plus régulièrement victimes de sécheresses et d’incendies.
"La première priorité, c’est de préserver au maximum les forêts, et de mener des programmes massifs de reboisement, pour augmenter les puits de carbone forestiers."
François Gemennesur franceinfo
Et puis il est également possible de créer des puits de carbone artificiels…
Comment ça ? Des forêts artificielles, vous voulez dire ?
Non, pas des forêts artificielles. Il y a des projets qui existent, mais ils ne sont pas du tout matures et je pense que ce serait complètement idiot, alors qu’on peut simplement planter des arbres. Mais il y a d’autres solutions qui permettent de retirer du carbone de l’atmosphère. L’Association Française des Emissions Négatives tenait cette semaine son congrès annuel, où étaient présentées différentes solutions pour retirer du carbone de l’atmosphère. Et certaines reposent sur des processus naturels : c’est le cas du biochar, par exemple, un engrais naturel créé à partir de déchets de la biomasse, qui va permettre de stocker du carbone dans les sols. Il y a aussi des techniques qui permettent de stocker du carbone dans des matériaux de construction, par exemple.
Mais ce n’est pas une fuite en avant, pour éviter de réduire nos émissions ?
On va avoir besoin de toutes les solutions, Benjamin. Alors, bien sûr, il y a des fausses solutions : par exemple des technologies qui ne sont pas matures, et sur lesquelles il ne faudra pas compter. D’autres qui peuvent être utilisées comme prétexte pour éviter de décarboner des processus qu’on peut décarboner, ou pour éviter de discuter de sobriété. Mais si on veut atteindre la neutralité carbone, il va falloir renforcer nos puits de carbone. Sans ça, on n’y arrivera pas.
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