Transition écologique : "C'est important de montrer que les décisions que nous prenons peuvent donner des résultats", assure François Gemenne

Tous les samedis on décrypte les enjeux du climat avec François Gemenne, professeur à HEC, président du Conseil scientifique de la Fondation pour la nature et l'homme et membre du GIEC.
Article rédigé par franceinfo
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François Gemenne : "il est important de montrer qu’il existe des solutions qui permettent de réussir la transition". Photo d'illustration. (MOOR STUDIO / DIGITAL VISION VECTORS / GETTY IMAGES)

François Gemenne tire le bilan de ces dix derniers mois, pour le climat "sans surprise, cela a encore été une avalanche de mauvaises nouvelles, et des chiffres qui donnent le tournis", dit-il. "C’est inévitable, hélas, tant qu’on n’aura pas atteint la neutralité carbone, la situation va continuer à se détériorer". Cependant, il note qu'il y a aussi des bonnes nouvelles, "la loi sur la restauration de la nature", par exemple.

Selon lui, "le changement climatique ne va pas disparaître du jour au lendemain. Il est important de montrer que les décisions que nous pouvons prendre, les actions que nous pouvons engager, peuvent donner des résultats". Car "les mauvaises nouvelles deviennent performatives quand elles finissent par nous convaincre qu’il est impossible d’obtenir un résultat, et donc on ne fait rien", insiste-t-il.

franceinfo : quel bilan tirez-vous de cette année, pour le climat ?

François Gemenne : Sans surprise, cela a encore été une avalanche de mauvaises nouvelles, et des chiffres qui donnent le tournis. Des drames humains, tout d’abord : plus de 1 000 morts de la canicule la semaine dernière en Arabie saoudite, lors du pèlerinage de La Mecque. Des pèlerins égyptiens, qui étaient là sans autorisation officielle, et qui n’avaient donc pas accès aux installations climatisées. Des dizaines de morts de chaleur, en mai et en juin, au Mexique ou en Inde. Quelque 26 millions de déplacements ont été causés par des catastrophes climatiques. Les records de chaleur qui s’enchaînent, aussi, et de plus en plus souvent : les 12 derniers mois ont été les plus chauds sur Terre depuis 100 000 ans, et un réchauffement qui s’accélère, désormais au rythme de 0,26°C d’augmentation au cours de la dernière décennie. C’est aussi une demande de pétrole qui continue à croître, avec des profits records pour les compagnies pétrolières, et de nombreux projets d’extraction qui continuent à être développés et financés, tandis qu’on observe un ressac populiste important contre les politiques climatiques.

C’est assez sombre comme tableau, non ?

C’est inévitable, hélas, tant qu’on n’aura pas atteint la neutralité carbone, la situation va continuer à se détériorer. Mais il y a eu des bonnes nouvelles, aussi. La loi sur la restauration de la nature, finalement votée plus tôt ce mois-ci en Conseil des ministres européens, alors qu’on ne s’y attendait plus. 

"On a négocié un accord important, et assez inespéré, à la COP28, qui marque le début de la fin des énergies fossiles et trace un horizon commun vers la neutralité carbone en 2050."

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Et puis il y a eu des chiffres encourageants, aussi, en ce qui concerne la baisse de nos émissions de gaz à effet de serre en Europe : -5,8% en France, -5,7% en Angleterre, -10,1% en Allemagne. Mais aussi aux États-Unis et en Chine, ce qui pourrait signifier que les trois grands blocs qui sont les principaux émetteurs de gaz à effet de serre auraient commencé à baisser leurs émissions.

On a quand même l’impression que les mauvaises nouvelles écrasent complètement les bonnes nouvelles, non ?

Oui, en effet. On a l’impression que l’information sur le climat est systématiquement plombante et déprimante, et que c’est toujours une avalanche de mauvaises nouvelles. Et à l’inverse, les nouvelles encourageantes sont rarement mises en avant. Et quand on le fait, on est volontiers accusé d’être rassuriste, de faire comme si le problème était résolu. Comme si on cassait un consensus tacite qui veuille que l’information sur le climat serve avant tout à sonner l’alerte et à réveiller les consciences, plutôt qu’à relater objectivement les évolutions en cours. 

Comment parler du climat, sans être alarmiste ni créer de la lassitude, selon vous ?

Ce n’est pas évident. Parce qu’il s’agit, évidemment, de ne rien minorer de la gravité ou de l’urgence de la situation. Mais le changement climatique ne va pas disparaître du jour au lendemain. Et donc je crois aussi qu’il est important de montrer que les décisions que nous pouvons prendre, les actions que nous pouvons engager, peuvent donner des résultats, qu’il existe des solutions, qui permettent de réussir la transition. Ça me semble très important. 

"Si on a l’impression que tout ce qu’on fait ne sert à rien, qu’on n’obtient jamais aucun résultat et que la transition est impossible, alors évidemment, on ne fait rien."

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Et c’est là que les mauvaises nouvelles deviennent en quelque sorte performatives : elles finissent par nous convaincre qu’il est impossible d’obtenir un résultat, et donc on ne fait rien, ce qui alimente naturellement le défaitisme.

On a tout de même parfois l’impression d'être attirés par ce défaitisme ?

Il y a évidemment le rôle croissant des réseaux sociaux, qui expliquent en partie cela, les algorithmes favorisent les émotions négatives, comme la colère et l’indignation. Et donc vous allez créer beaucoup plus d’engagement avec une nouvelle qui dénonce les superprofits des compagnies pétrolières qu’avec l’annonce d’un plan de décarbonation. Et les bonnes nouvelles vont aussi, parfois, à l’encontre d’un plaidoyer militant très répandu, qui voudrait que la décarbonation soit impossible dans le système actuel, et qu’il faudrait nécessairement changer de système pour faire baisser les émissions. Si vous enregistrez des baisses d’émissions dans le système actuel, ça ne colle pas au plaidoyer, et donc on va avoir tendance à minimiser l’importance de ces baisses d’émission, parce qu’on se convainc volontiers que la transition n’aura pas lieu.

C’est pour ça que, dans cette chronique, on a essayé pendant 43 semaines de faire la part des choses, de ne rien minimiser de la gravité des évolutions en cours, mais de montrer aussi les solutions que nous pouvions déployer. De ne rien occulter des reculs et des renoncements, mais de montrer aussi qu’il était possible d’enregistrer des progrès et des avancées, d’obtenir des résultats. Ce n’est pas de l’optimisme béat et naïf, mais c’est un refus du défaitisme. Parce que ce n’est pas le moment de baisser les bras, et c’est la ligne que nous avons essayé de tenir.

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