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François Gemenne : "Tant que nous continuerons à émettre des gaz à effet de serre, nous allons mécaniquement battre des records de température"

C'est l'un des nouveaux rendez-vous de cette rentrée : le samedi à 7h50 sur franceinfo "Zéro émission", pour décrypter les enjeux du climat, avec François Gemenne, professeur à HEC, président du Conseil scientifique de la Fondation pour la nature et l'homme et membre du GIEC.
Article rédigé par franceinfo
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La concentration en carbone est passée de 280 ppm avant la révolution industrielle à 420 ppm aujourd'hui (DAVID THIERRY / MAXPPP)

Après des températures records cet été sur toute la surface du globe, François Gemenne, professeur à HEC et membre du GIEC, explique comment les gaz à effet de serre s'accumulent sans décroître, ralentir les émissions ne permet donc pas d'améliorer la situation.

franceinfo: Pour cette première, vous voulez nous parler des records de température. N'en a-t-on pas déjà beaucoup parlé cet été ?

François Gemenne : Précisément, on en a parlé absolument tout l'été. L'été a littéralement été rythmé par tous ces records de température, à la fois sur terre mais aussi en mer. Par exemple, le mois de juillet 2023 a été le mois le plus chaud jamais enregistré sur Terre. Un peu partout dans le monde, y compris en France, malgré les températures un peu fraîches, on battait chaque jour de nouveaux records de température. C'est ainsi qu'en France, on a enregistré des records de température à Toulouse avec 42 degrés, à Carcassonne avec 43 degrés, mais aussi en montagne comme par exemple à l'Alpe d'Huez à 1860 mètres d'altitude avec une température de 29,5 degrés. 

"Quant à l'hémisphère sud, notamment en Amérique latine, où c'était pourtant l'hiver, les températures ont souvent largement dépassé les températures d'été !"

François Gemenne

à franceinfo

C'est très inquiétant.

Évidemment, mais je dirais que ce qui m'inquiète aussi, c'est la manière dont on en parle. Comme si chaque record constituait une information nouvelle. À chaque record de température, c'était l'alerte générale dans les médias, le branle-bas de combat sur les réseaux sociaux... Mais nous allons en battre sans arrêt des records de température. Alors, est-ce qu'il faut en parler systématiquement ? Est-ce que ça constitue vraiment une information nouvelle, est-ce que chaque record doit être présenté comme une nouvelle alerte ?

Vous êtes en train de me dire qu'on ne devrait pas en parler, qu'on en parle trop ?

Bien sûr, ces records sont inquiétants, très inquiétants. Et évidemment, il est très important d'expliquer que même si les températures en France étaient un peu plus fraîches cet été, ce n'était pas du tout le cas dans le reste du monde. 

"Il faut comprendre que le changement climatique, ce n'est pas un problème de flux, c'est un problème de stocks."

François Gemenne

à franceinfo

Un problème de flux et pas de stocks, ça veut dire quoi ?

Ça veut dire que c'est l'accumulation des gaz à effet de serre dans l'atmosphère qui fait grimper les températures. Tant qu'on continuera à envoyer des gaz à effet de serre dans l'atmosphère, le niveau des températures va continuer à monter. Si vous faites couler un bain chez vous, tant qu'il y a de l'eau qui coule du robinet, le niveau de l'eau continue à monter. Même si vous ralentissez très fort le débit du robinet.

"Comme pour un bain, tant qu'il y a des gouttes qui tombent dedans le niveau continue à monter."

François Gemenne

à franceinfo

Et si vous arrêtez maintenant le robinet, le niveau d'eau va se stabiliser. Mais il ne va pas redescendre d'un coup. Il faudra encore du temps pour que l'eau du bain ne s'évapore.

Pour le changement climatique, c'est donc pareil ?

C'est exactement pareil, ça fonctionne de la même façon. Tant qu'on envoie des gaz à effet de serre dans l'atmosphère. Le niveau de concentration de ces gaz, qui ont souvent une durée de vie très longue dans l'atmosphère, continue à monter. Et aujourd'hui, ce niveau, il est au-dessus de 420 ppm [parties par million, c'est-à-dire la concentration en carbone de l'atmosphère]. Alors qu'on était à 280 ppm avant la révolution industrielle.

Même pendant la crise du Covid, où les émissions de gaz à effet de serre avaient très significativement baissé, le niveau de concentration dans l'atmosphère a continué à augmenter. Simplement, le rythme a été un peu ralenti cette année-là. Et puis on a repris le rythme habituel.

Que faire alors ?

Ce que je veux vous dire, c'est que tant que nous continuerons à émettre des gaz à effet de serre, nous allons aussi mécaniquement battre continuellement des records de température. C'est irrémédiable et c'est parfaitement logique d'une certaine manière. Si on considère chaque record comme un événement exceptionnel, ça veut dire qu'on imaginera toujours qu'il est possible de revenir en arrière, qu'on peut revenir aux températures qu'on connaissait avant. 

"On n'accepte pas le fait que les températures qu'on considère aujourd'hui comme anormales constituent en fait la nouvelle norme."

François Gemenne

à franceinfo

Vous êtes en train de dire qu'on est condamnés à voir les températures augmenter sans cesse. Finalement, à quoi ça sert, dans ces conditions, de lutter contre le changement climatique ? Il y a un moyen d'arrêter ça ?

Lutter contre le changement climatique, ça sert d'abord à ralentir le débit du robinet et donc à ralentir le rythme d'augmentation du niveau des températures. Par contre, pour le stabiliser, il faudra parvenir à retirer de l'atmosphère la même quantité de gaz à effet de serre que celle qu'on y envoie. Et ainsi à parvenir à zéro émission.

Et c'est pour quand ?

On espérait arriver pour 2050. Mais la route est encore très très longue, on va en reparler dans les prochaines semaines.

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