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"Implant Files" : comment le laxisme de la réglementation européenne permet de certifier des implants inefficaces, voire dangereux

Considérés comme des marchandises, les dispositifs médicaux sont soumis à une réglementation européenne qui permet toutes les dérives.

Article rédigé par franceinfo - Jacques Monin / Cellule investigation de Radio France / ICIJ
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Prothèse valvulaire cardiaque (illustration). (UIG VIA GETTY IMAGES)

C'est l'un des éléments révélés dimanche 25 novembre par l'enquête des "Implant Files", menée par l'ICIJ et dont la cellule investigation de Radio France est partenaire : l’insuffisance des réglementations et la faiblesse des contrôles sur les dispositifs médicaux, notamment dans l’Union européenne. Considérés comme des marchandises, les implants sont soumis à une réglementation européenne qui permet toutes les dérives. 

Contrairement aux médicaments qui font l’objet de longs essais cliniques et d’une règlementation très stricte, lorsqu’un industriel propose un nouvel implant, il lui suffit de se tourner vers un "organisme notifié" pour obtenir un "marquage CE" : un feu vert qui permet de vendre l’implant dans l’Union européenne. Cet organisme peut se trouver dans n’importe quel pays de la communauté. Il en existe une cinquantaine, dont un en France. L’industriel peut ainsi faire son marché, et les mettre en concurrence. Dans une grande partie des cas, ces structures examinent l’implant sur dossier, sans exiger d’essais cliniques préalables. Une fois l’implant certifié, les commerciaux prennent le relais pour convaincre les chirurgiens de les utiliser.

"La règlementation est insuffisamment robuste"

Certifier un implant, "c’est quasiment du virtuel", s’indigne la députée européenne Michèle Rivasi, ajoutant qu’avec ce système, "vous pouvez certifier n’importe quoi  !" Agnès Buzyn, la ministre de la Santé, le reconnaît : "L’inquiétude de tous les ministres, c’est vraiment les dispositifs médicaux. Tous les ministres savent que la règlementation est insuffisamment robuste."

Nos confrères de "Cash Investigation" l’ont également démontré. En octobre 2018, ils ont présenté un faux dossier d’un implant vaginal imaginaire, avec un faux marquage CE. Et ils ont obtenu par retour de courrier un feu vert de l'ANSM pour le commercialiser, avant même que celle-ci ait instruit leur dossier. "Nous avons reçu une réponse de l'ANSM, explique Marie Maurice, journaliste à Premières lignes qui produit 'Cash Investigation'. Ils nous expliquaient qu'ils nous préviendraient dès qu'ils auraient procédé à l'enregistrement de notre dossier, mais que nous n'avions pas à attendre cet accusé de réception pour procéder à la mise en service sur le marché français de cette prothèse vaginale virtuelle."

L'idée d'une agence de certification unique écartée

Cette légèreté règlementaire devrait être en partie corrigé avec une nouvelle règlementation qui prévoit la mise en place d’un panel d’experts européens, et inscrit une exigence "d’investigations cliniques" pour tout implant nouveau qui serait mis sur le marché. Mais ce texte ne règlera pas tout pour autant. D’abord, il n’entrera en vigueur qu’à partir de mai 2020 et devrait prendre effet progressivement. Ensuite, sous la pression de certains États et des lobbies de l’industrie, la Commission européenne a rejeté toute idée de création d’une agence de certification publique et unique qui aurait pu être calquée sur le modèle du médicament, reposant sur un système d’autorisations de mise sur le marché. Un tel mécanisme freinerait l’innovation, a jugé Bruxelles.

Lors des négociations entre pays qui ont duré cinq ans, des conceptions radicalement opposées se sont affrontées. Le très libéral Royaume-Uni ne voulait pas d’une règlementation qui entrave les entreprises. L’Allemagne, pays au tissu industriel médical dynamique dont les organismes notifiés ont pour clients de nombreux acteurs européens (les prothèses PIP avaient été certifiées par TÜV, un organisme allemand) ne souhaitait pas affaiblir sa poule aux œufs d’or. Lors d’une consultation publique qui a recueilli 200 réponses, 92 étaient des industriels, et 8 seulement des associations de patients et de consommateurs. Résultat : la France, qui plaidait pour un organisme de certification unique, a été mise en minorité.

Des critères d'évaluation inadaptés

Au-delà des risques de scandales inhérents à ce système, se pose la question des exigences des certifications. En considérant un implant comme une marchandise, on vérifie sa sécurité, mais on se préoccupe peu de son efficacité. "Cette vision d’ingénieur est insuffisante", dénonce le professeur Eric Vicaut, du centre d’évaluation du dispositif médical de l’AP-HP (hôpitaux de Paris). Le cas de stents (ressorts métalliques) du cerveau qu’on a implantés pendant plusieurs années, jusqu’à ce qu’un chercheur décide de les évaluer, est à ses yeux révélateur des lacunes du système actuel. "On s’est rendu compte que le taux d’accidents vasculaires cérébraux était deux fois plus élevé chez les patients à qui l’on implantait ces stents que chez ceux qui étaient traités avec des médicaments." Idem pour les prothèses de hanche ASR, qu’on a dû retirer du marché parce qu’elles étaient défectueuses. Même constat pour les implants contraceptifs Essure qu’il faut maintenant explanter.

Les exemples de ce type sont nombreux. Faute d’une évaluation sérieuse avant toute commercialisation, ils risquent de se reproduire. "On ne doit pourtant pas avancer d’un scandale à l’autre", insiste Eric Vicaut. Ce professeur vient de trouver un soutien inattendu. En rendant un arrêt dans l’affaire PIP, la Cour de cassation s’est elle aussi étonnée en creux, dans ses attendus, que les implants ne soient toujours pas certifiés en Europe par un organisme indépendant.


Vous pouvez accéder à la base mondiale des incidents liés aux dispositifs médicaux mise en place par l'ICIJ. Vous souhaitez témoigner ? Racontez-nous votre histoire.

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