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Cinq questions sur le lien entre nitrates et nitrites dans la charcuterie et risques de cancer

Article rédigé par franceinfo
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De la charcuterie dans un supermarché, le 12 mars 2020. (MAXPPP)

L'Anses a confirmé lundi un lien entre risque de cancer et exposition aux additifs nitrés, notamment utilisés en charcuterie. 

C'est désormais officiel. L'Anses "confirme l'existence d'une association entre le risque de cancer colorectal et l'exposition aux nitrates et nitrites", dans un rapport (PDF) publié mardi 12 juillet à l'issue de plusieurs mois de travaux. Les nitrates et les nitrites sont notamment utilisés en charcuterie. Dans la foulée, le gouvernement a annoncé un "plan d'action" pour l'automne, visant à "limiter au strict nécessaire" leur utilisation "dans les produits alimentaires".

Pourquoi ces substances sont-elles cancérogènes ? Par quoi les remplacer ? Franceinfo décrypte les résultats et conséquences de cette étude.

1Les nitrates et les nitrites, c'est quoi ?

Les nitrates et les nitrites sont des composés chimiques naturellement présents dans les sols, via le cycle de l'azote, et donc dans notre alimentation. Leur concentration peut être renforcée par des activités agricoles (épandage de fertilisants minéraux, effluents d'élevage) et le rejet d'eaux riches en nitrates lié à certaines activités industrielles (abattoirs, laiteries-fromageries, industrie chimique et parachimique, industrie papetière). Ils sont aussi présents dans les végétaux, comme les salades et les épinards.

Les nitrates et les nitrites sont aussi utilisés comme additifs alimentaires – sous les noms de E249, E250, E251, E252 – pour leurs propriétés antioxydantes et antimicrobiennes dans la charcuterie et les viandes transformées principalement. Historiquement, les charcutiers recourent à ces composants pour allonger la durée de conservation des produits et prévenir le développement de bactéries pathogènes à l'origine notamment du botulisme, une affection neurologique grave largement oubliée du fait des progrès sanitaires. Ce sont aussi ces composants qui donnent sa couleur rose au jambon, naturellement gris.

2Pourquoi sont-ils cancérogènes ?

Lorsqu'ils sont ingérés, les nitrates et les nitrites sont connus pour engendrer la formation de composés nitrosés, dont certains sont cancérogènes et génotoxiques pour l'être humain, explique l'Anses. L'agence précise avoir analysé les publications scientifiques parues sur le sujet depuis 2017 et confirme l'existence d'une association entre le risque de cancer colorectal et l'exposition aux nitrites et/ou aux nitrates, que ce soit en consommant de la viande transformée ou en buvant de l'eau (principalement du robinet).

L'analyse de l'Anses "rejoint la classification du Centre international de recherche sur le cancer" de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), qui avait en 2015 classé la viande transformée, notamment la charcuterie, comme cancérogène.

D'autres risques de cancers sont suspectés, mais les données disponibles ne permettent pas, à ce jour, de conclure à l'existence d'un lien de causalité, précise l'Anses, recommandant de poursuivre les recherches dans ce domaine.

3Quelles sont les quantités consommées et recommandées ?

Le gouvernement rappelle qu'en France, les filières charcutières sont déjà en deçà des seuils autorisés au niveau européen, avec 120 mg par kilogramme, contre 150 mg dans l'UE. "Nous sommes à 100 milligrammes, donc nous sommes déjà très nettement en dessous du plafond fixé par l'Europe", assure même sur franceinfo Bernard Vallat, président de la Fédération française des industriels charcutiers traiteurs (FICT), inscrite au registre des représentants d'intérêts, qui recense les lobbies en France.

L'Anses constate toutefois un paradoxe : l'existence d'un lien entre consommation de viandes transformées et risque de cancer, alors même que les "doses journalières admissibles" (DJA) de 150 grammes de charcuterie par semaine en France, sont respectées. L'agence donne deux pistes d'explication.

La première : les DJA sont "définies séparément pour chacune de ces substances, alors que les mécanismes biochimiques en jeu constituent une suite de transformations vers des composés nitrosés". Dans notre bouche, sous l'effet d'enzymes bactériennes, les nitrates ingérés se transforment en effet en nitrites.

La seconde : il faut ajouter aux nitrates présents dans les additifs ceux consommés naturellement via leur présence dans les sols, les végétaux et l'eau, et dont la concentration est renforcée par les activités agricoles et industrielles. L'Anses recommande donc de poursuivre les recherches, pour "établir la valeur toxicologique de référence prenant en compte la coexposition" aux additifs.

4Faut-il s'en passer dans la charcuterie ?

L'Anses "préconise de réduire l'exposition de la population aux nitrates et nitrites par des mesures volontaristes en limitant l'exposition par voie alimentaire". Quelques heures après la publication de cet avis, le gouvernement a annoncé un "plan d'action" visant à réduire ou supprimer l'utilisation des additifs nitrés "dans tous les produits alimentaires où cela est possible sans impact sanitaire", selon un communiqué des ministères de la Santé et de l'Agriculture. Avant même l'annonce du gouvernement, l'association Foodwatch, la Ligue contre le cancer et l'application Yuka avaient réclamé aux pouvoirs publics de "prendre leurs responsabilités" et "d'interdire ces additifs".

Ce n'est toutefois pas ce que recommande l'Anses. Dans son rapport, elle estime possible d'aller en deçà de la limite actuelle autorisée dans les viandes transformées, "aussi bas que raisonnablement possible", tout en prenant garde à l'équilibre entre "risque et protection sanitaire". L'agence rappelle que les additifs à base de nitrate et nitrite permettent de lutter contre le botulisme mais aussi d'autres maladies comme la salmonellose et la listériose.

"Tous les pays du monde recommandent l'usage des nitrites, sans exception", défend Bernard Vallat, dont l'organisation est opposée la suppression des nitrites dans la charcuterie. "On sait qu'en supprimant les nitrites et les nitrates dans la fabrication des saucissons, qui est un produit emblématique de la France, on arriverait très difficilement, au niveau technique, à produire des saucissons de la qualité de ceux qui sont aujourd'hui mis en marché", ajoute-t-il sur franceinfo. Il assure toutefois que les professionnels s'inscrivent "dans une trajectoire de réduction permanente" du recours aux nitrates et nitrites.

5Peuvent-ils être remplacés ?

L'Anses émet plusieurs recommandations pour diminuer les seuils de nitrates et nitrites dans la charcuterie. Pour le jambon cuit, elle préconise de raccourcir la date limite de consommation. Pour le jambon sec, l'agence suggère un contrôle strict du taux de sel et de la température au cours des étapes de salage, de repos et d'affinage du produit.

Alors que de grands fabricants se sont déjà lancés dans des gammes de jambon étiquetés "sans nitrites", l'Anses met en garde contre les solutions de substitution à base d'"extraits végétaux" ou de "bouillons de légumes". "Cela ne constitue pas une réelle alternative dans la mesure où (ces substituants) contiennent naturellement des nitrates qui, sous l'effet de bactéries, sont convertis en nitrites", souligne-t-elle. 

"Il faut que le consommateur mange moins de charcuterie, mais il faut qu'il mange de la bonne : de la bonne cochonnaille, mais pas de la cochonnerie !", estime sur franceinfo Richard Ramos, député du Loiret, auteur d'une proposition de loi visant à interdire nitrates et nitrites. En attendant le "plan d'action" du gouvernement à l'automne, qui vise à réduire l'ajout des additifs nitrés dans les produits alimentaires, l'Anses conseille de continuer à limiter sa consommation de charcuterie à 150 grammes par semaine et appelle à avoir une alimentation diversifiée.

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