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Pauvreté : de nombreux ménages se privent régulièrement de repas durant toute une journée, alerte le Secours catholique

Plus d'un quart des bénéficiaires des aides d'urgence de l'association "souffrent d'une insécurité alimentaire grave", révèle le rapport annuel sur l'état de la pauvreté en France.

Article rédigé par Yann Thompson
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Une femme fait des courses dans un supermarché, le 16 avril 2021. (MAXPPP)

Même avec de l'aide, ils se privent de l'essentiel. Plus d'un quart (27%) des bénéficiaires de l'aide alimentaire du Secours catholique "ne mangent pas pendant une journée entière ou davantage, de manière régulière", dévoile l'association caritative, jeudi 18 novembre, dans son rapport annuel sur l'état de la pauvreté en France. Une situation "alarmante", qui touche particulièrement "les ménages sans ressources, les parents isolés et les personnes seules".

A cette insécurité alimentaire "grave", s'ajoute une insécurité "modérée", qui concerne 53% des personnes aidées. Cette situation implique des arbitrages stricts sur la qualité, la diversité et la fréquence des repas. Sauter un repas est une pratique courante dans cette catégorie, notamment lorsqu'il s'agit de se sacrifier pour ses enfants. "Quand les revenus suffisent à peine (...), on rogne sur la partie variable des dépenses, à commencer par l'alimentation et le chauffage", déplore l'association.

Le Secours catholique tire ces chiffres d'une enquête menée en mai et juin 2021 auprès d'un échantillon de 1 088 ménages bénéficiaires des chèques-services de l'association en 2020. Ces tickets, octroyés en urgence en réponse à la perturbation des distributions alimentaires classiques durant la crise sanitaire, peuvent être utilisés dans la plupart des supermarchés. Cent euros par carnet, "de quoi tenir une petite quinzaine de jours", décrivait une mère célibataire de trois enfants dans les Ardennes, en avril 2020, dans un témoignage au Secours catholique.

La fermeture des cantines, une charge supplémentaire

En introduction de cette enquête menée dans douze départements, la branche française du réseau Caritas rappelle l'augmentation continue du recours à l'aide alimentaire en France, "qui paraît inexorable" : 2,6 millions de bénéficiaires en 2009, contre 5 à 7 millions désormais, toutes sources d'aide confondues. L'an dernier, pour 57% des bénéficiaires des chèques-services du Secours catholique, c'était la première fois qu'ils demandaient un coup de pouce pour se nourrir.

"Avec la crise, les demandes d'aide alimentaire ont augmenté, en particulier dans les familles avec enfants et chez les jeunes de moins de 25 ans."

Le Secours catholique-Caritas France

dans son rapport annuel sur l'état de la pauvreté

Comment expliquer cette hausse ? Pendant le premier confinement, qui a mis une grande partie de l'activité économique à l'arrêt, trois ménages interrogés sur dix disent à l'association avoir "subi une perte de revenus". La fermeture des établissements scolaires, et donc des cantines, a également fait peser une charge imprévue sur le budget de 60% des familles avec enfants, contraintes d'assumer des repas supplémentaires à la maison.

Moins de revenus d'un côté, plus de dépenses de l'autre : "la pandémie a souvent aggravé l'intensité de la pauvreté déjà vécue", résume le Secours catholique. Au sein de l'échantillon sondé, la moitié des ménages affichent un niveau de vie mensuel inférieur à 235 euros, "très en deçà du seuil d'extrême pauvreté", fixé à 739 euros (ces chiffres étant calculés en totalisant les revenus du ménage et en les pondérant en fonction du nombre de personnes qui le composent).

Une situation aggravée par le non recours aux aides (RSA ou allocations familiales) auxquelles certaines familles pourraient prétendre : parmi l'ensemble du public accueilli par l'association, un tiers des personnes éligibles au RSA n'en bénéficie pas, et un quart de ceux ayant droit à des allocations familiales n'y a pas recours. Les étrangers en situation régulière sont les plus touchés, avec des taux de non recours "deux fois plus élevés en moyenne" que ceux des ménages français, souligne le rapport. Plus globalement, les personnes de nationalité étrangère, privées du droit de travailler lorsqu'elles n'ont pas de statut légal, sont sur-représentées dans les demandes d'aide alimentaire et dans les situations d'insécurité alimentaire grave.

Des familles "préoccupées" pour leur santé

Restreindre la quantité et la qualité de son alimentation est source d'inquiétude pour les personnes concernées, explique l'enquête. Huit ménages interrogés sur dix s'y disent "préoccupés" par les effets de leur régime alimentaire sur leur santé. Cette inquiétude sanitaire est la plus forte parmi les familles monoparentales et les couples avec enfants. Dans ces foyers, la moitié des bénéficiaires d'aide alimentaire disent ne pas pouvoir faire davantage attention aux apports nutritionnels du fait de "problèmes financiers". Le manque de temps ou d'informations sur l'alimentation est cité par moins de 4% des ménages qui se disent inquiets.

Interrogé par le Secours catholique, le rapporteur spécial de l'ONU sur l'extrême pauvreté, Olivier De Schutter, souligne que cet enjeu sanitaire dépasse le seul cadre des bénéficiaires d'aides alimentaires. "Beaucoup de familles changent de régime alimentaire et s'orientent vers des produits de moindre qualité qui sont source de problèmes de santé (obésité, diabète, maladies cardiovasculaires associées), décrit-il. On a longtemps pensé que les produits low-cost étaient la solution pour les ménages précarisés (...) Or ce n'est pas une solution, car cela rend les gens malades."

"Les personnes en situation de pauvreté se rendent compte aujourd'hui que le low-cost est un piège dans lequel on les a enfermées."

Olivier De Shutter, universitaire belge

au Secours catholique

Face à ces constats, et à quelques mois de l'élection présidentielle, l'association appelle à "faire de la fraternité la boussole de nos choix politiques" en 2022. Pour garantir notamment un meilleur accès à l'alimentation, elle propose la mise en place d'un revenu minimum garanti d'environ 920 euros par mois pour tous les adultes en situation régulière, sous conditions de ressources. Elle souhaite par ailleurs des régularisations facilitées pour les migrants "ayant entamé leur insertion", notamment les travailleurs sans papiers, et une réduction du non recours aux droits sociaux.

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