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Médicaments : comment les autorités gèrent-elles le risque ?

La ministre de la Santé a annoncé que la prescription des pilules de 3e génération sera limitée, en raison de soupçons sur leurs effets secondaires. Francetv info revient sur les étapes de la surveillance d'un médicament.

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Une pharmacienne présente, le 1er février 2011 à Lille (Nord), une partie de 77 médicaments placés "sous surveillance renforcée" par l'Afssaps, aujourd'hui appelée l'ANSM. (PHILIPPE HUGUEN / AFP)

Marisol Touraine a annoncé, vendredi 11 janvier, la mise en place d'un dispositif pour limiter la prescription des pilules de 3e et 4e générations. La ministre de la Santé a aussi demandé, lors d'une conférence de presse, que l'Union européenne fasse de même. Ces pilules sont au cœur de la polémique après le dépôt d'une plainte par une jeune femme victime d'un accident vasculaire cérébral. Elle accuse ces contraceptifs d'en être la cause. Les pilules de 3e et 4e générations sont les derniers médicaments à susciter un débat sur les effets indésirables des traitements. Mais avant eux, cela a été le cas de l'aspirine, de l'antidouleur Tramadol et de médicaments populaires contre le rhume. Certains médicaments sont déremboursés, d'autres placés sous surveillance, voire retirés du marché. Comment un médicament passe-t-il du statut de remède à celui de produit dangereux ? Eléments de réponse.

Première étape : l'Autorisation de mise sur le marché

Pour qu'un médicament soit prescrit, il doit obtenir une Autorisation de mise sur le marché (AMM). En France, elle peut être délivrée de deux manières, comme l'explique la Haute Autorité de santé (PDF). Soit au niveau européen par la Commission européenne, après avis favorable de l'Agence européenne du médicament (EMA), soit au niveau national, par l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), après avis de la commission d'AMM. Dans les deux cas, la décision est prise après évaluation du rapport bénéfice-risque. "Le bénéfice rendu par un médicament doit toujours être plus important que le risque, sinon l'AMM n'est pas délivrée", affirme Jean Gardette, directeur adjoint de l'évaluation du médicament à l'ANSM, contacté par francetv info.

"Il n'y a pas de règle absolue : chaque produit fait l'objet d'une évaluation à part entière", poursuit Jean Gardette. Ainsi, les effets indésirables d'un médicament qui traite le cancer, et dont le but premier est de sauver des vies, sont mieux acceptés que ceux des médicaments contre le rhume ou les douleurs musculaires. "En revanche, si un médicament antirhume est susceptible de provoquer, par exemple, des dermatoses bulleuses [de l'eczéma sur tout le corps], on ne délivre pas d'AMM", explique Jean Gardette. Ce risque est évalué à partir des conclusions d'études portant sur le médicament, précise-t-il.

Deuxième étape : la pharmacovigilance

Une fois l'AMM délivrée, le médicament peut être utilisé, mais il reste suivi. C'est souvent à ce moment-là que certains patients développent des effets indésirables rares, résultant de la prise régulière du médicament. "Il est difficile de les détecter a priori", relève Jean Gardette. 

En France. La surveillance des médicaments et la prévention du risque, appelée pharmacovigilance, est alors mise en place par l'ANSM, selon un processus précis détaillé sur le site internet de l'Agence. "Evaluer un médicament est un travail de longue haleine", commente Jean Gardette.

En Europe. Le même processus est lancé par l'EMA. "Le système permet de détecter des signaux d'effets indésirables suspectés qui étaient inconnus auparavant, ainsi que de nouvelles informations sur des effets indésirables connus", explique l'Agence européenne sur son site. La législation européenne en matière de pharmacovigilance, qui évolue régulièrement, prend de plus en plus le pas sur la législation nationale. En clair, un médicament est généralement retiré de la vente si ses effets indésirables ont été signalés dans plusieurs pays européens.

Ensuite, les agences peuvent toutes les deux renforcer la surveillance de certains médicaments, si la gravité ou le nombre de leurs effets secondaires remettent en cause leurs conditions d'emploi. L'ANSM peut aller plus loin en retirant du marché un médicament, si c'est elle qui a délivré l'AMM. Quand c'est la Commission européenne qui l'a délivrée, seule l'EMA peut le retirer du marché. Finalement, seuls deux à trois médicaments sont retirés du marché chaque année, selon Jean Gardette.

Et malgré tout, des effets secondaires graves difficiles à mesurer

Toutefois, comme le souligne Le Monde, "il reste difficile de savoir combien d'effets secondaires graves et de décès leur sont imputables en France. (...) Et les cas potentiels sont loin d'être systématiquement transmis aux centres de pharmacovigilance par les praticiens ou les victimes". Par exemple, dans le cas des pilules, l'ANSM évalue "à une cinquantaine le nombre annuel de décès en rapport avec des contraceptifs oraux, indique le quotidien. Mais elle ne fournit aucune donnée chiffrée sur les cas recensés en France."

Il faut parfois attendre des années avant que le lien ne soit fait avec la prise d'un médicament. C'est ce qui s'est passé pour le Mediator, aujourd'hui au cœur d'un scandale sanitaire. Cet antidiabétique des laboratoires Servier, prescrit comme coupe-faim, a été commercialisé à partir de 1976. Il a fallu attendre 2007 pour qu'Irène Frachon, une pneumologue de Brest (Finistère), constate que des atteintes cardiaques étaient associées au Mediator. Le médicament a finalement été retiré du marché le 30 novembre 2009.

L'échec de la pharmacovigilance a été dénoncé dans ce scandale, tout comme l'influence exercée par les laboratoires Servier. Dans Le Livre noir du médicament, sorti en novembre 2011, Corinne Lalo et Patrick Solal dénoncent une emprise de l'industrie pharmaceutique sur la santé publique dans cette affaire. Et, plus largement, elles pointent du doigt les substances contenues dans certains médicaments, dont les antirhumes. En 2012, les professeurs Philippe Even et Bernard Debré, eux, ont dressé dans un Guide des médicaments un constat alarmant : 50% d'entre eux sont inutiles. Une étude dont la méthodologie a elle aussi été contestée.

De son côté, Jean Gardette rappelle que le risque encouru lors de la prise d'un médicament "ne sera jamais totalement nul". Et reconnaît que les outils dont dispose l'ANSM, à la fois pour détecter les effets secondaires des médicaments, mais aussi pour informer sur leurs conditions d'utilisation, sont "imparfaits".  

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