Médecine générale : "Ce sont les pires conditions d'exercice de ma vie", alerte le président de la Confédération des syndicats médicaux français
"L'accès aux soins s'aggrave", alerte jeudi sur franceinfo le docteur Luc Duquesnel, médecin généraliste en Mayenne et président des généralistes de la Confédération des syndicats médicaux français. Une étude de la Dress, dévoilée jeudi 25 mai par France Bleu, indique que 78% des médecins généralistes libéraux jugent ne pas être assez nombreux sur leur territoire. C'est onze points de plus qu'en 2019. "Ça fait 35 ans que j'exerce et la retraite ne me dit rien. J'ai envie de continuer à travailler mais ce sont les pires conditions d'exercice de ma vie", alerte le docteur Luc Duquesnel alors qu'il doit rencontrer dans la journée le ministre de la Santé.
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franceinfo : Près de 80% des médecins généralistes estiment ne pas être assez nombreux sur leur territoire. Êtes-vous surpris par ce chiffre ?
Luc Duquesnel : Il n'y a aucune surprise, puisqu'on perd à peu près 8 000 médecins généralistes par an et cela va continuer, au minimum, jusqu'en 2030. Et tout cela, alors que la population augmente et qu'elle vieillit, donc il y a plus de demande de soins et de suivi auprès des patients atteints de pathologies chroniques. Concernant mon territoire, je suis dans la région des Pays de la Loire où la démographie médicale est la plus faible.
"Au niveau national, c'est à peu près 89 médecins généralistes pour 100 000 habitants. Sur mon territoire de 43 000 habitants, on est à une densité médicale de 34 médecins généralistes pour 100 000 habitants."
Luc Duquesnel, président des généralistes de la Confédération des syndicats médicaux françaisà franceinfo
Par exemple, ce qui est caricatural, en 2006, on faisait 17 gardes par an parce qu'on était 21, on va passer au 1ᵉʳ janvier 2024 à 37 gardes. Ce sont des conditions d'exercice qui sont de plus en plus difficiles. La médecine générale, et tout particulièrement le métier de médecin traitant c'est-à-dire assurer le suivi de soins des patients, n'est plus attractif. On le voit d'ailleurs chez les internes en médecine générale qui aujourd'hui font le choix de changer de spécialité médicale.
Toujours selon la Dress, deux tiers des généralistes indiquent également refuser de nouveaux patients. Est-ce quelque chose que vous vivez au quotidien ?
Tous les jours ! Alors que la moyenne nationale pour les médecins libéraux est entre 1 000 et 1 070 patients par médecin traitant dans leur patientèle, sur nos territoires, on est entre 1 500 et 3 000. Aujourd'hui, en effet, nos secrétaires passent plus de temps à dire non à des demandes de soins. Parce que dire oui, ça veut dire que les patients dont on est médecin traitant, on ne va pas pouvoir les prendre en charge. À un moment, ça joue sur la qualité des soins.
"On se prend un véritable tsunami alors qu'on a embauché une infirmière de pratique avancée, alors qu'on a embauché des assistants médicaux."
Luc Duquesnelà franceinfo
Et tout ce qu'on met en œuvre globalement fait que probablement l'accès aux soins ne s'aggrave pas aussi vite qu'il pourrait s'aggraver, mais il s'aggrave.
Avez-vous déjà pensé arrêter ?
Je me pose la question oui. Ça fait 35 ans que j'exerce et la retraite ne me dit rien. J'ai envie de continuer à travailler mais ce sont les pires conditions d'exercice de ma vie. Donc je m'interroge.
Qu'est-ce qu'il faudrait faire ?
Quand une convention médicale aboutit à proposer aux médecins généralistes un pourboire de 1,50 euro pour la revalorisation de leur consultation, qui souvent sont longues, de 30 à 45 minutes pour nos patients âgés, polypathologiques, c'est humiliant et méprisant. Ça amène automatiquement les médecins à s'interroger sur leur métier. Quel regard portent ce gouvernement, l'Assurance maladie sur le travail qu'on fait au quotidien ?
Vous avez rendez-vous, avec d'autres représentants du monde de la santé, avec le ministre François Braun, après l'assassinat d'une infirmière au CHU de Reims. Qu'allez-vous demander ?
Ce type de réunions, je dirais que c'est un peu un parcours obligé. On va redire la même chose que ce qu'on dit depuis dix ou quinze ans. Il est vrai que la problématique de l'accès aux soins crée des tensions vis-à-vis de certains patients. On peut aussi comprendre la colère, alors sans en arriver à des agressions physiques. Je suis aussi médecin régulateur, c'est-à-dire la nuit des week-ends pour le centre 15. Tous les mois, ça m'arrive d'avoir des menaces de mort parce que les gens ne sont pas satisfaits des réponses qu'on leur apporte à leur demande de soins. On est aussi dans une société où c'est vouloir tout, tout de suite. Et ça, ce n'est pas possible. D'abord parce que ce n'est pas justifié, mais aussi parce que tant à l'hôpital qu'en ville, trente ans de politiques menées par les différents gouvernements nous ont amenés dans la situation où on en est aujourd'hui.
On ferme des lits à l'hôpital, des services d'urgence ferment. Cela crée un climat de violence. Tous les mois, j'ai au moins une menace de mort téléphonique avec une conversation enregistrée."
Luc Duquesnelà franceinfo
Mais je ne vais pas déposer plainte parce que ça veut dire que je vais supprimer une heure de consultation pour aller déposer plainte. C'est aussi permettre aux médecins, quand ils sont en danger, de pouvoir le signaler. Et puis, il n'y a pas que les professionnels de santé, il y a les pompiers, il y a les agents de police, les forces de l'ordre. Globalement, on est aussi dans une société qui devient de plus en plus violente.
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