Pourquoi "Sniffy", cette poudre légale qui se "sniffe", inquiète-t-elle les autorités ?

"Il faut l'interdire dès qu'on peut", a déclaré samedi sur franceinfo le ministre délégué à la Santé, Frédéric Valletoux. Mais il faudra d'abord démontrer que ce produit constitue un danger.
Article rédigé par franceinfo
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Un flacon de Sniffy, poudre énergisante à inhaler, en mai 2024. (FRANCE TELEVISIONS)

C'est une poudre blanche qui se "sniffe" avec une paille et qui, selon ses promoteurs, aurait un effet "euphorisant instantané". Jouant sur un mode de consommation qui rappelle celui de la cocaïne, une drogue illicite dont les nombreux dangers ne sont plus à démontrer et dont la vente et la consommation sont strictement interdites, une entreprise française a commercialisé Sniffy, un produit à la composition légale à absorber par le nez. Un gramme de cette poudre, en vente libre sur internet ainsi que dans certains bureaux de tabac français, coûte entre 15 et 20 euros. Mais ce tout nouveau produit (la marque a été déposée fin juin 2023 auprès de l'INPI) pourrait disparaître aussi vite qu'il est apparu, a promis samedi 25 mai le ministre délégué chargé de la Santé et de la Prévention, Frédéric Valletoux. 

"J'ai découvert il y a 48 heures cette dernière 'invention', et je mets des gros guillemets, bien sûr, cette cochonnerie que certains veulent vendre", s'est-il indigné, samedi, sur le plateau de franceinfo. "Je vais voir effectivement dans les prochains jours comment on peut interdire ce type de choses, a poursuivi le ministre. Il faut l'interdire dès qu'on peut". 

Une "symbolique" qui inquiète

"C'est la symbolique de la cocaïne qui est vendue là-dedans", a dénoncé samedi sur BFMTV Amine Benyamina, psychiatre-addictologue. "Il n'y a pas que le geste, c'est le geste et tout le pensif inconscient autour du produit qui est sous forme de poudre, avec une pipette qui est l'équivalent de la gestuelle et du rituel de la cocaïne, c'est encore plus pernicieux qu'on ne peut l'imaginer", a-t-il ajouté, dénonçant "un produit qui n'est pas toxique au sens de ses composants, mais qui l'est par le message qu'il véhicule".

Président de SOS Addictions, le docteur William Lowenstein a, lui aussi, estimé que "sniffer, c'est trop assimilé à la cocaïne. Ce n'est pas la peine de faire la promotion de cet usage par voie nasale", a-t-il déclaré samedi sur franceinfo.

La marque elle-même a entretenu sur son site internet ce parallèle avec la cocaïne : "Une poudre blanche qu'on inhale par le nez ? Bien que cela puisse évoquer le plaisir interdit, c'est totalement conforme à la loi", pouvait-on lire sur son site internet, avant que le slogan ne soit changé en "pas d'amalgame, Sniffy est légale", rapporte 20 minutes. 

Mais la symbolique peut-elle conduire à l'interdiction d'un produit ? En vertu de l'article L3421-4 du Code de la santé publique, "faire la promotion de la drogue, que ce soit de son usage ou de son trafic, est punissable de 5 ans de prison et 75 000 euros d'amende", rappelle le site drogues-info-service.fr, et ce, même si cette publicité "portait sur des produits qui ne sont pas des stupéfiants, mais qui ont été présentés comme ayant le même type d’effets." Ici, "les intentions de l'auteur, la forme et le contexte de ces infractions départageront les situations où la justice considère que l'infraction est constituée de celles où elle ne l'est pas", poursuit le site. 

Un problème de marketing 

Pour William Lowenstein, "la lutte contre les addictions, c'est comment retarder l'âge des premiers usages. Maintenant, à cause de ce genre de marketing cynique, il faudrait rajouter comment retarder l'âge des premières mauvaises imitations", a-t-il déclaré à franceinfo. Or, si la marque mentionne sur son site internet ainsi que sur son packaging qu'il est interdit aux moins de 18 ans, comment démontrer une quelconque volonté de promouvoir un usage illicite auprès des jeunes ?  Pour le président de l'Association Addictions France, Bernard Basset, qui s'exprime dans un billet de blog, le fait qu'"il existe différentes saveurs sucrées et acidulées (Fruit de la passion, bonbon fraise, nature, menthe fraîche et citron vert)" correspond à un marketing à destination de ce public. Pour lui, ces parfums, "n'en doutons pas, attireront les plus jeunes."

Ainsi, en expliquant que c'est "inoffensif, qu'on a le droit, que ce n'est pas dangereux, que c'est original", ces vendeurs "essaient d'attirer les jeunes vers le tabac, la consommation de drogue et finalement vers la dépendance", a encore pointé le ministre délégué chargé de la Santé. 

C'est à ce titre d'ailleurs que les cigarettes en chocolat, bien que légales en termes de composition, ont disparu des étals : l'article 16 de la Convention-cadre pour la lutte antitabac, signée par la France en 2003, inscrit dans cette démarche "l'interdiction de la vente de confiseries et de jouets destinés aux enfants et fabriqués avec la nette intention de donner au produit et/ou à son emballage l'apparence d'un type de produit du tabac."

Une composition légale, mais des précautions à prendre

Aucun des ingrédients listés sur le site de la marque ne figure sur la liste des stupéfiants dressée par l'Anses, l'agence de sécurité sanitaire française. En revanche, ils sont considérés comme des compléments alimentaires pour la plupart bien connu des sportifs. "A la différence des médicaments, la commercialisation des compléments alimentaires ne nécessite pas d'autorisation de mise sur le marché", précise ainsi l'Anses. Ils font cependant l'objet de déclarations auprès de la Direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) "qui examine leur composition et réalise des contrôles à l'instar des autres catégories de denrées alimentaires."

"Les ingrédients tels que la caféine, la créatine, la taurine et la bêta-alanine peuvent potentiellement irriter les muqueuses sensibles, provoquant une sécheresse ou une inflammation", précise le site du produit, ajoutant qu'"il est impératif de consulter un professionnel de la santé avant d'adopter cette méthode d'administration pour évaluer les risques individuels".

Enfin, estimant que la "dose maximale quotidienne à ne pas dépasser est de 2 g, soit deux fioles", le site avertit qu'"une consommation excessive peut provoquer des effets indésirables", déconseille l'usage du produit aux personnes sensibles à la caféine ("on te recommande vivement de ne pas en consommer") et prévient que "le mélange de Sniffy avec l'alcool ou d'autres produits doit être évité".

Des précautions suffisantes ? Un rapport de l'Anses sur les compléments alimentaires consommés par les sportifs notait, en 2016, que "le risque de présenter un effet indésirable à la suite de la consommation de ce type de produit est d'autant plus élevé que certains consommateurs ont tendance à consommer le produit à des doses supérieures à celles recommandées par le fabricant (risque de surdosage) ou à prendre plusieurs produits de façon concomitante."

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