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Droit à l'oubli : "Dix-huit ans après mon cancer, je suis encore dans la merde"

Des années après leur rémission, les anciens malades du cancer sont handicapés pour souscrire des emprunts ou des assurances. Le projet de loi santé veut mettre fin à ces discriminations.

Article rédigé par Geoffroy Lang
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Même plusieurs années après leur guérison, les anciens malades du cancer rencontrent des difficultés dans leurs démarches auprès des banques ou des assurances. (CHASSENET / BSIP / AFP)

"Lorsque je lui ai dit que j’avais eu un cancer, j’ai vu ma banquière changer de visage." Guillaume, victime d'un cancer des testicules à 19 ans, était guéri depuis cinq ans, selon son médecin. Malgré sa rémission, il avait dû abandonner l’idée de prendre un crédit dans sa banque : "Elle a rangé les documents habituels pour un emprunt avant de revenir avec un énorme classeur. Quand j’ai vu la majoration que cela représentait, j’ai lâché l’affaire."

Souvent réduit au débat sur le "tiers payant", qui oppose le corps médical et le gouvernement, le projet de loi santé comporte un volet plus attendu par les patients atteints de maladies chroniques : le droit à l’oubli. Dans le cadre du 3e plan cancer, le gouvernement veut permettre aux patients ayant surmonté leur maladie de ne pas être éternellement handicapés. La Fédération française des sociétés d'assurances s'est elle aussi déclarée en faveur de l'institution de ce droit à l'oubli pour les anciens malades.

Trois millions de Français concernés

Le texte de loi prévoit de s'appliquer en priorité aux victimes de cancers infantiles, avant de s'étendre à tous les autres malades. Des négociations devraient bientôt débuter pour déterminer le nombre d'années après lequel il ne sera plus nécessaire de faire mention de son cancer lors d'une déclaration auprès de son assurance. Cette durée devrait être adaptée à chaque pathologie et à la réussite de son traitement.

Une mesure qui pourrait changer la vie des trois millions de Français qui, comme Guillaume, ont déjà eu un cancer. En attendant, ce trentenaire se voit toujours appliquer un traitement à part : "Quand j'ai voulu souscrire une assurance, il m'est arrivé qu'on me réponde : 'Rentrez chez vous !'"

Une surprime qui peut aller jusqu'à 50%

Si aucun texte n'impose à un emprunteur de contracter une assurance, c'est une pratique quasi systématique dans les faits. Depuis 2007, la convention Aeras (S'assurer et emprunter avec un risque aggravé de santé) a pour objectif d'aider les anciens malades à obtenir une assurance, dans les conditions les moins désavantageuses possibles. Pour emprunter auprès d'une banque, ils se voient en effet souvent proposer des conditions inhabituellement contraignantes pour assurer leur crédit, lorsqu'ils n'essuient pas un refus.

"La surprime à l'assurance s'élève parfois à 50% !" dénonce Marc Paris, du service juridique du Collectif Interassociatif sur la santé (Ciss). D'après une étude sur le droit des malades du Ciss, la stigmatisation des victimes de maladies chroniques est très répandue : "Les difficultés pour accéder à un crédit pour des raisons de santé touchent un Français sur quatre, directement ou via un proche." Selon l'enquête du Ciss, près de la moitié des personnes concernées ne connaissent pas le dispositif de la convention Aeras.

"Si je décède lors d'une opération, je ne suis pas assurée"

Vingt-sept ans après son cancer du sein, Stéphanie est toujours considérée comme une cliente à risque pour sa banque et son assurance : "Je ne suis pas couverte à 100% comme mon mari. Si je décède à la suite d’une opération, même pour une septicémie, je ne suis absolument pas assurée." Il a fallu pourtant qu’elle se montre patiente pour obtenir une assurance, même partielle. Pendant quinze ans, toutes ses demandes pour un prêt immobilier ont été rejetées.

Lorsqu’elle a voulu acheter une maison, Stéphanie a vu son dossier passer par une commission spéciale : "Vingt ans après, j’ai dû faire intervenir mon oncologue pour assurer qu’il n’y avait pas de risque de récidive." Si elle mène aujourd’hui une vie quasi ordinaire, elle s’inquiète des répercussions que peut avoir sa maladie sur la vie de ses enfants. "Dans de nombreuses situations, on demande les antécédents médicaux des parents", confie-t-elle.

Des stigmates indélébiles ?

Après un arrêt maladie d'un an et demi, Elisabeth n'a pas pu retrouver le poste d'infirmière qu'elle occupait dans un hôpital public : "Je l'ai vraiment mal vécu, j'avais l'impression d'avoir été mise à l'écart." Mais son cancer a aussi mis à mal sa vie personnelle. En 2004, elle souhaite déménager à la suite de son divorce. Sa banque lui propose une offre de prêt immobilier assortie d'une assurance au tarif exorbitant.

Elisabeth cherche donc d'autres solutions pour assurer son prêt, mais "dans une grande compagnie d'assurances, on m'a carrément refusée", se souvient-elle. Finalement, l'infirmière parvient à contracter un prêt dans un autre établissement avec une "surprime énorme" à payer pour son assurance.

En 2009, le cauchemar d'Elisabeth se répète : nouveau déménagement, nouveau "parcours du combattant" pour obtenir un prêt. Elle aimerait profiter des taux bancaires du moment pour racheter son dernier emprunt, mais n'ose plus. Elle finit par lâcher : "Dix-huit ans après mon cancer, je suis encore dans la merde avec ça… Pour moi, il y a prescription pourtant."

 

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