Décès de « Wonder Augustine » : mieux comprendre les cancers de l’enfant
Des troubles soudains de la vision et de l'équilibre : ce sont les premiers symptômes qui ont alerté, en août dernier, les parents d’Augustine, 4 ans. Les médecins diagnostiquent alors un gliome infiltrant de haut grade, un cancer du cerveau rare, et de très mauvais pronostic : deux ans après le diagnostic, moins d’un enfant sur dix y survit.
Augustine est décédée la semaine dernière, lundi 8 octobre. Sur les réseaux sociaux, les photographies de la fillette, relayées par des personnalités du monde du sport et du spectacle, ont de nouveau attiré l’attention sur la réalité des cancers pédiatriques.
Cette réalité est crue : chaque année en France, environ 2.500 enfants et adolescents se voient diagnostiquer un cancer. Cinq ans après le diagnostic, le taux de survie est de 80% mais les associations de familles de patients estiment que deux tiers souffriront des séquelles de la maladie ou de ses traitements. Mais finalement, chaque année, ce sont près de 500 enfants et jeunes de moins de 18 ans qui décèdent d’une forme ou une autre de cancer – soit entre un et deux enfants chaque jour.
Des cancers très différents de ceux des adultes
Les cancers de l’enfant sont, pour l’essentiel, “sans rapport avec ceux que l’on rencontre chez l’adulte”, nous l’explique Gilles Vassal, chercheur à Gustave Roussy (IGR). “Les facteurs majeurs qui permettent d’expliquer et de comprendre la genèse de ces maladies chez les adultes, ne concernent pas l’enfant : l’enfant ne fume pas, l’enfant ne boit pas, il n’a pas 50 années de régime alimentaire inadapté derrière lui, il n’a pas été exposé suffisamment longtemps au soleil pour en subir les conséquences… Les mécanismes d’apparition des cancers sont nécessairement différents.”
De fait, “il n’y a pas de cancer du sein, pas de cancer du poumon, pas de cancer de la prostate, pas de cancer du côlon”, poursuit le chercheur. “Mais il y a, en revanche, des leucémies, des tumeurs cérébrales, des lymphomes (au total il existe plus d’une soixantaine de types de cancers pédiatriques différents). Leur origine peut être diverse : il peut y avoir des prédispositions génétiques, l’exposition à des facteurs environnementaux, ou encore le fait que le système immunitaire du patient ne parvient pas à lutter contre les cellules dysfonctionnelles… Mais aujourd’hui, comprendre pourquoi un enfant fait un cancer reste un objectif majeur de la recherche. Et, excepté dans les 5% des cas où le cancer survient dans un contexte de prédisposition génétique, nul n’est actuellement capable de savoir pourquoi le cancer est apparu.”
Les recherches concernent d'abord l'adulte, puis l'enfant
Si la nature des cancers diffère entre l’enfant et l’adulte, il peut également en aller de même dans le domaine des thérapies.
Ces dernières décennies, de nombreux cancers fréquents de l’adulte ont fait l’objet de multiples essais thérapeutiques qui, peu à peu, ont permis d’identifier des stratégies pertinentes et efficaces. À l’inverse, les cancers de l’enfant sont à la fois trop peu fréquents selon les critères habituels de la recherche, très divers (environ 60 types de cancers différents ont été recensés chez les moins de 18 ans), et très spécifiques.
“Certains des médicaments identifiés ces dernières années comme efficaces dans les cancers de l’adulte peuvent être utiles chez l’enfant. Mais il faut identifier lesquels…”, poursuit Gilles Vassal. “Or aujourd’hui en Europe, la majorité des essais cliniques concernant l’enfant ne sont réalisés que tardivement dans la vie du médicament, souvent alors que celui-ci a déjà reçu son autorisation de mise sur le marché pour l’adulte. Et cela, ça n’est pas acceptable !"
Le chercheur insiste sur le fait que nombre de stratégies efficaces pour entraver un développement cancéreux chez l’adulte se trouvent totalement inopérantes – ou très délétères – chez l’enfant. "C’est la raison pour laquelle il faut inciter au développement de médicaments spécifiques à l’enfant. Il y a des altérations moléculaires, dans les cellules des enfants, qui ne concernent que les cancers pédiatriques, et pour lesquels développer des médicaments spécifiques serait nécessaire."
"Guérir plus mais aussi guérir mieux"
Face aux difficultés d’accès à des traitements innovants, des chercheurs en oncologie pédiatrique de Gustave Roussy ont initié l’étude MAPPYACTS : "Quand un enfant est en échec thérapeutique, nous analysons sa tumeur de la façon la plus large possible pour essayer de comprendre ce qui la caractérise, au niveau moléculaire, et nous essayons de trouver des médicaments déjà existants susceptibles d’interagir avec ses anomalies", détaille Gilles Vassal. "Autrement dit, au niveau moléculaire, nous cherchons à identifier la cible de médicaments utilisés chez l’adulte”, pour ensuite lancer un essai clinique qui a de grandes chances d’aider l’enfant.
Cette stratégie reste un pis-aller. Tout d’abord, car toutes les solutions aux anomalies pédiatriques n’existent pas encore dans l’arsenal thérapeutique "adulte" : de très nombreux cancers de l’enfant restent donc, à ce jour, incurables. En outre, des thérapies dont la relative sûreté a été confirmée chez l’adulte peuvent avoir des effets indésirables lourds sur un enfant. “Il faut réellement investir dans une recherche spécifique pour les enfants, non seulement pour guérir plus, mais pour guérir mieux”, conclut le chercheur.
Un fond pour permettre aux scientifiques de se dédier à ces recherches
Dans une récente tribune, le collectif Grandir Sans Cancer, constitué courant 2017 par des médecins, des chercheurs et des associations de familles, appelaient à une mobilisation du gouvernement pour qu’il “favorise l’émergence et le développement de programmes de recherche fondamentale [...] visant à définir les spécificités étiologiques et moléculaires des cancers pédiatriques."
Or, "les financements publics alloués à la recherche en oncologie pédiatrique ne représentent que 3% des budgets annuels consacrés aux travaux sur le cancer. Ceci est largement insuffisant pour permettre à de nouvelles équipes d’initier des programmes innovants sur cette thématique", déplorait le collectif, en notant que bien des chercheurs compétents dans ce domaine consacrent la moitié de leur temps à chercher… des financements pour travailler.
"Si les associations de parents soutiennent quelques projets de recherche de manière ponctuelle, elles ne peuvent se substituer à l’État", juge-t-on à Grandir Sans Cancer. S’appuyant sur des travaux parlementaires achevés mi-2017, le collectif appelle à la création d’un fonds annuel "d’environ 20 millions d'euros par an, dédié à la recherche […] sur les cancers des enfants et adolescents", qui ferait de la France "un pays leader en la matière".
la rédaction d'Allodocteurs.fr
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