Grand entretien "La santé mentale des jeunes doit devenir une cause nationale", plaide le pédopsychiatre Guillaume Bronsard

Article rédigé par Florence Morel
France Télévisions
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Temps de lecture : 9min
Un adolescent en souffrance, le 15 mars 2021, à Muttersholtz (Bas-Rhin). (FRANCK DELHOMME / MAXPPP)
Alors que les soignants alertent sur l'état de la santé mentale des jeunes depuis 2020, la pédopsychiatrie occupera une large place lors des assises de la santé de l'enfant, qui se déroulent vendredi.

En saturant les services d'urgences pédiatriques depuis l'année 2022, la triple épidémie de Covid-19, de grippe et de bronchiolite a révélé au grand public la crise profonde que traverse la pédiatrie. C'est pourquoi, après l'organisation de 23 tables rondes, plus de 120 auditions et l'analyse de plus de 2 000 contributions écrites, les assises de la santé de l'enfant débutent vendredi 24 mai. L'objectif : répondre aux préoccupations concrètes des professionnels de santé, améliorer la prise en charge des enfants et lutter contre les inégalités de santé qui les frappent.

Dans un rapport remis le 23 avril au gouvernement, les membres du comité d'orientation ont travaillé sur une vingtaine de mesures pour résoudre cette crise. Parmi ces remèdes, au moins trois concernent la pédopsychiatrie. Franceinfo s'est entretenu avec Guillaume Bronsard, pédopsychiatre au centre hospitalier universitaire de Brest (Finistère), qui a participé à l'élaboration de ce rapport.

Franceinfo : Qu'attendez-vous des assises de la pédiatrie qui se déroulent vendredi ?

Guillaume Bronsard : Tout d'abord, la santé mentale des jeunes doit devenir une cause nationale. Parce que ça fait très longtemps que la souffrance psychique, les troubles du neurodéveloppement ou les psychotraumatismes sont mises au-devant de la scène, parfois de façon chaotiques. Nous sommes à un moment où on pourrait tout connecter, que ce soit le harcèlement, les problématiques suicidaires ou les difficultés d'apprentissage scolaire. Il faut mettre tout cela sous une égide unique et visible pour que la population et les professionnels le repèrent. 

Ensuite, il faudrait une augmentation des moyens d'accueil directs et rapides, comme les maisons des adolescents, mais aussi le secteur libéral et les psychologues privés. Notamment en renforçant le dispositif Monpsy et en remboursant mieux les consultations. Enfin, il y a un problème inouï de manque de lits d'hospitalisation.

"Aujourd'hui, beaucoup de jeunes reçus aux urgences pour une tentative de suicide ne peuvent pas être gardés, faute de place."

Guillaume Bronsard, pédopsychiatre

à franceinfo

Il ne faudrait pas beaucoup de lits, car les temps d'hospitalisation à l'adolescence pour les situations de crise n'excèdent pas trois ou quatre jours. Mais ce laps de temps est indispensable pour l'adolescent et sa famille.

Les indicateurs de la santé mentale des jeunes montrent que celle-ci ne s'améliore pas depuis la fin de la crise du Covid-19 et les confinements. Comment l'expliquez-vous ?

Cette tendance existait bien avant la crise sanitaire. En fait, cela fait vingt ans que nous constatons une augmentation lente et permanente des expressions de souffrance. La crise a aggravé ce phénomène et a surtout déstabilisé toutes les structures qui entourent les enfants, comme l'école et le système de la protection sociale. Cela a des effets très forts chez les plus jeunes, puisqu'ils ont un besoin absolu et indiscutable de la sécurité des adultes. La crise sanitaire est donc plus un symptôme d'une situation qui existait auparavant et qui s'est aggravée. On estime qu'il y a aujourd'hui 60% de demandes de prises en charge supplémentaires par rapport à il y a vingt ans.

A quoi cette augmentation est-elle due ?

Tout d'abord, la tolérance aux souffrances psychiques a diminué. Le dépistage est mieux réalisé et la prévention fonctionne mieux. De plus, les patients sont pris en charge plus tôt. Ce qui, là encore, est positif. Ce n'est donc pas nécessairement un signe d'aggravation de la situation, mais plutôt le présage d'un dépistage plus efficace et d'une meilleure orientation vers nous, les pédopsychiatres.

Ensuite, on note un aspect démographique, avec une augmentation de la population infantile par rapport à il y a une trentaine d'années. Enfin, avec l'amélioration de la pédopsychiatrie sur certains sujets, comme les troubles autistiques, du neurodéveloppement ou les psychotraumatismes, beaucoup de moyens de la pédopsychiatrie générale se sont détournés vers des dispositifs très spécialisés.

Ainsi, si vous cumulez l'augmentation de la population, forte hausse du dépistage et du repérage, avec une baisse des moyens pour la psychiatrie générale, il en résulte des files d'attente de douze ou dix-huit mois pour obtenir un rendez-vous en centre médico-psychologique ou en centre médico-psycho-pédagogique, ce qui est inacceptable.

Est-ce que vous constatez aussi que les jeunes d'aujourd'hui vont plus mal que les générations précédentes ? 

C'est plus difficile à mesurer, car ce sont des critères subjectifs. Ce qui est sûr, c'est qu'il y a beaucoup plus de demandes de soins psychiques qu'auparavant. Ce sont des besoins tout à fait adaptés et opportuns ; pas du tout des caprices ou des plaintes inutiles de la part des patients. 

Vous voulez dire que ce n'est pas un "effet de génération", plus "fragile" que les précédentes ?

C'est à la fois un débat scientifique, sociétal et presque philosophique : est-ce que le fait de se plaindre est un signe de fragilité ? Je ne le pense pas. A l'évidence, il y a des situations qui n'étaient pas dénoncées auparavant qui le sont maintenant, comme c'est le cas avec le harcèlement. Mais cela ne veut pas dire que les gens n'en souffraient pas. Cela signifie juste qu'ils se taisaient.

"Je ne dirais pas que les jeunes sont plus fragiles. Ils ont un rapport à la souffrance intime différent."

Guillaume Bronsard, pédopsychiatre

à franceinfo

L'étude de la Drees publiée le 16 mai révèle que les hospitalisations pour tentatives de suicides et automutilations sont toujours en hausse chez les adolescentes et les jeunes femmes. Pourquoi sont-elles plus concernées que les garçons du même âge ?

Là encore, c'était déjà le cas avant la crise sanitaire. Le phénomène est plus important chez les jeunes filles, qui expriment leur mal-être ainsi et de manière plus tardive, alors que c'est le contraire chez les petits enfants. Les garçons sont plus nombreux à être pris en charge, probablement parce qu'ils manifestent leur malaise de manière beaucoup plus visible, par des comportements qu'on appelle "externalisées", en étant agités, brutaux ou bruyants. La société est très peu tolérante avec ce type de comportement et va donc répondre plus vite lorsqu'un enfant est perturbateur. C'est pourquoi les garçons sont suivis plus tôt.

Chez les filles, c'est beaucoup plus internalisé : cette violence est retournée sur elles-mêmes et silencieuse. Ce qui explique le retard à la prise en charge, qui débute plutôt à l'adolescence. Les filles expriment en général des insécurités psychiques anciennes, qui n'ont pas commencé à la puberté, mais qui vont se révéler à ce moment-là, avec des expressions de souffrances plus visibles, comme la scarification, les tentatives de suicide et les troubles alimentaires. Contrairement au simple repli sur soi, comme elles pouvaient le faire quand elles étaient à l'école primaire ou au début du collège.

Sont-elles les seules à être plus exposées à ces troubles psychiques ?

Non. Depuis la crise sanitaire, les enfants maltraités, victimes de violence, d'inceste ou plus généralement les enfants de la protection de l'aide sociale à l'enfance (ASE) le sont aussi. C'est une population hautement vulnérable, qui a besoin d'une attention particulière et de moyens dédiés, mais qui n'a pas accès aux soins. C'est terrible.

Quels moyens faudrait-il à la pédopsychiatrie pour répondre à ces nouvelles demandes ?

Actuellement, la pédopsychiatrie française suit à peu près 700 000 à 800 000 enfants. Il faudrait que ce soit le double. La prévalence des troubles psychiatriques chez les enfants est estimée entre 10 et 13%. Ajouté à cela, entre 5 et 8% des enfants et des adolescents n'ont pas de troubles au sens médical du terme, mais ils sont en souffrance psychique et auraient besoin d'un avis et d'un suivi.

"Même si les gouvernements nous donnaient de quoi doubler nos moyens, cela ne suffirait pas à régler le problème."

Guillaume Bronsard, pédopsychiatre

à franceinfo

On a encore beaucoup de mal à recruter des psychologues, des psychiatres et des infirmières spécialisées. Pour arriver à répondre aux besoins estimés, non seulement il faut des moyens, mais il va falloir beaucoup de temps. A peu près une dizaine d'années.


Si vous avez besoin d'aide, si vous êtes inquiet ou si vous êtes confronté au suicide d'un membre de votre entourage, il existe des services d'écoute anonymes. La ligne Suicide écoute est joignable 24h/24 et 7j/7 au 01 45 39 40 00. Une ligne d’écoute (0 800 235 236) dédiée aux jeunes est également accessible 7j/7 de 9 heures à 23 heures (service et appel anonyme et gratuit). D'autres informations sont également disponibles sur le site du ministère des Solidarités et de la Santé.

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