Pourquoi les microplastiques et nanoplastiques menacent notre santé

Article rédigé par Louis San
France Télévisions
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Des morceaux de plastique sur la plage des Sables-d'Olonne (Vendée), le 12 mars 2024. (MAGALI COHEN / HANS LUCAS / AFP)
Ces petites particules de plastique, avec leurs milliers d'additifs, peuvent engendrer des inflammations, perturber la réponse immunitaire ou encore le système endocrinien. Si les mécanismes précis demeurent flous, les connaissances progressent.

Derrière les mers de déchets, un mal encore plus insidieux. Des bouteilles, des bidons, des sacs et des emballages presque à perte de vue... Les impressionnants amoncellements de plastique qui encombrent des aires marines ou des cours d'eau ne sont en effet que la partie visible d'une importante pollution qui échappe à l'œil nu. En se dégradant, les plastiques se fragmentent et finissent en minuscules morceaux : les microplastiques (qui peuvent faire jusqu'à 5 mm de large) et les nanoplastiques (qui sont de l'ordre du milliardième de mètre). Les scientifiques en ont découvert partout sur Terre, de l'Himalaya aux plus profondes fosses marines. Mais aussi chez des êtres vivants.

En intégrant diverses chaînes alimentaires, ces matériaux se retrouvent dans le corps des animaux marins et terrestres. Chez les humains, des scientifiques en ont détecté dans le sang, les selles, le système digestif, le lait maternel, le placenta, les poumons, ou encore dans les artères. Sans être exhaustif.

"La pollution plastique est une problématique mondiale aux conséquences néfastes pour la santé humaine et l'environnement", a écrit le ministère de la Transition écologique, en octobre, en vue d'une échéance majeure : l'ultime session de négociations internationales qui démarre à Busan (Corée du Sud), lundi 25 novembre. Alors que ces discussions visent l'élaboration d'un premier traité mondial pour lutter contre la pollution plastique, franceinfo détaille pourquoi les microplastiques et nanoplastiques sont inquiétants pour la santé.

Parce que de premiers effets ont déjà été observés chez l'homme

La recherche des conséquences de ces particules sur les humains a débuté au milieu des années 2010. Dans une étude publiée en mars 2024 dans la prestigieuse revue New England Journal of Medicine, une équipe de chirurgiens italiens a annoncé la découverte de microplastiques sur la paroi d'artères carotides, celles qui amènent le sang au cerveau. Ils en ont détecté chez près de 60% de 257 patients opérés. Après trois ans de suivi, ils ont constaté que cette présence de résidus plastiques s'associait à un risque quatre fois et demie supérieur d'être victime d'un infarctus ou d'un accident vasculaire cérébral (AVC).

Les microplastiques influent aussi sur le système digestif, et plus particulièrement sur le microbiote (ou flore intestinale), relève auprès de franceinfo Muriel Mercier-Bonin, directrice de recherche à l'Inrae. En analysant les selles d'adultes et d'enfants de moins de 10 ans (filles et garçons), son équipe a constaté chez les enfants une "fragilisation" de la flore intestinale, avec une "modification de certains composés" qui ont des "effets bénéfiques pour la santé". Les processus précis et les conséquences demeurent flous, mais sont scrutés. En effet, la flore intestinale joue un rôle essentiel dans des "mécanismes clés" en lien avec la digestion, mais aussi des fonctions immunitaires ou encore neurologiques.

Au niveau des poumons, des études cliniques menées chez des travailleurs du plastique ont montré des dysfonctionnements, des inflammations, de la fibrose, et même, pour certaines études, une augmentation des cas de cancer du poumon, a relevé Sonja Boland, ingénieure de recherche à l'Université Paris Cité, le 17 octobre, lors d'une audition au Sénat dédiée aux impacts des plastiques sur la santé humaine. Ces constats doivent être pris avec des pincettes, prévient-elle : "Dans les milieux professionnels, ils étaient confrontés à de très, très fortes doses."

Un autre exemple qui affecte directement la santé humaine concerne le bisphénol A, une substance principalement utilisée en association avec d'autres pour la fabrication de certains plastiques et résines. Massivement utilisé par l'industrie agroalimentaire pour des conserves ou des cannettes, il est interdit en France depuis 2015. L'Agence française de sécurité sanitaire de l'alimentation (Anses) le classe comme perturbateur endocrinien.

La communauté scientifique soupçonne depuis une vingtaine d'années un lien entre le l'exposition au bisphénol A et l'autisme. Cela a été renforcé par une étude publiée en août dans la revue scientifique Nature Communications. Les chercheurs établissent un lien, pour les garçons, entre l'exposition au bisphénol A pendant la vie intra-utérine et la probabilité d'être diagnostiqué autiste à l'âge de 9 ans. Pour eux, le risque est multiplié par six.

Parce que des conséquences néfastes ont déjà été constatées chez des animaux

Comme toujours, les chercheurs observent les éventuels effets sur divers animaux avant de s'intéresser aux humains. Les microplastiques ont des effets sur les huîtres, affectant leur croissance et leur reproduction, rapporte l'Ifremer. Des chercheurs ont montré que les moules exposées en laboratoire à des microplastiques produisaient moins de fibres leur permettant de se fixer aux rochers et donc de résister aux marées, rapportait La Recherche en 2019.

Du côté des mammifères, Mathilde Body-Malapel, chercheuse à l'université de Lille, a observé des inflammations importantes de l'intestin chez des souris dont la nourriture contenait des microplastiques. Cela pourrait suggérer des maladies plus graves, chez elles, et d'éventuels maux à surveiller chez les humains.

"La communauté scientifique a réussi à établir la toxicité d'un type de microplastique, celui de polystyrène sphérique, sur des souris."

Mathilde Body-Malapel, chercheuse à l'université de Lille

à franceinfo

"Nous avons désormais, au niveau mondial, plusieurs études qui démontrent la toxicité de ce plastique [que l'on peut trouver dans des emballages] sur plusieurs organes", poursuit-elle. La spécialiste ajoute que les chercheurs commencent à s'intéresser à d'autres types de plastiques, qui ne sont pas forcément sphériques, et qui ont des tailles différentes. Le but : se rapprocher des microplastiques que l'on retrouve dans l'environnement, issus de la dégradation de grands morceaux et aux formes variées. Les conditions des protocoles en laboratoire "ne sont pas forcément représentatives de la réalité, où nous sommes exposés à différents polymères, de différentes tailles", insiste Muriel Mercier-Bonin. D'autres progrès importants concernent l'harmonisation des protocoles pour produire des résultats comparables entre laboratoires à travers le monde.

Parce qu'il existe des dizaines de plastiques et des milliers d'additifs

On ne trouve pas un type de plastique, mais des dizaines, auxquels s'additionnent quelque 16 000 additifs. Ces derniers sont ajoutés à la matière initiale pour lui donner une qualité particulière : souplesse, rigidité, résistance à l'oxydation, aux UV ou encore à l'eau. En résumé, les plastiques ne pourraient pas être utilisables sans eux.

Les experts s'accordent sur l'opacité de la composition des additifs, pour des raisons de secret industriel. Or ces éléments, en plus d'être potentiellement toxiques, sont très solubles : ils adhèrent peu au matériau et se retrouvent vite relâchés dans l'environnement. "Si vous prenez deux pots de yaourt de marques différentes dans votre réfrigérateur, ils ont sans doute une composition différente", soulignait en mars, dans les colonnes d'Ouest-France, Guillaume Duflos, directeur de recherche à l'Anses. "Mais ce sont les additifs qui posent le plus question."

Entre les polymères et les additifs, le nombre de combinaisons devient vertigineux. Une situation problématique pour établir la toxicité d'un microplastique puisqu'en théorie elle ne peut se déterminer que pour un type de plastique à la fois. C'est pourquoi Mathilde Body-Malapel appelle à agir vite : "Si, avant de prendre des mesures, on nous demande de démontrer la toxicité pour chaque type de microplastique, nous n'arriverons pas à les réduire et à nous en protéger."

Sur le chiffre global de 16 000 additifs, 4 000 ont une toxicité connue, relève auprès de franceinfo Hervé Raps, médecin délégué à la recherche au centre scientifique de Monaco. "Ecartons déjà ceux-là dans un premier temps avant de nous occuper des 12 000 autres", suggère ce coauteur d'un rapport analysant les "impacts négatifs des plastiques sur la santé et le bien-être humain".

Parce que les microplastiques peuvent s'imprégner d'autres polluants

En plus de leur nocivité propre, les nanoplastiques et microplastiques peuvent être les chevaux de Troie d'autres substances dangereuses, remarque Muriel Mercier-Bonin. Au gré de leur parcours, ils peuvent rencontrer d'autres produits dans l'air, dans l'eau ou dans les sols, s'en imprégner et les transporter, y compris dans des organismes.

"Ils peuvent absorber des contaminants, des polluants environnementaux, comme des métaux lourds."

Muriel Mercier-Bonin, chercheuse en toxicologie alimentaire

à franceinfo

En outre, il peut se produire des "effets cocktail". Sonja Boland a évoqué devant les parlementaires un microplastique atmosphérique qui, couplé avec un autre polluant retrouvé dans l'air, présentait une dangerosité nouvelle que les composants ne possédaient pas séparément. Des combinaisons encore mal connues et potentiellement nombreuses.

Parce qu'il est compliqué de jauger l'exposition

Comme les microplastiques et nanoplastiques peuvent s'ingérer, s'inhaler ou se trouver au contact de la peau, et que tout cela varie selon les modes de vie, il devient complexe d'évaluer les risques. "Une personne qui mange souvent des produits à emporter n'a pas la même exposition que celle qui ne le fait pas ou peu", illustre Muriel Mercier-Bonin. L'air urbain est davantage chargé en microplastiques et nanoplastiques que celui de la campagne, a rappelé Sonja Boland au Sénat, soulignant que "l'inhalation est au moins aussi importante que l'ingestion".

A cela s'ajoutent les difficultés techniques à mesurer les nanoplastiques dans le corps humain, notamment dans les poumons, alors que ce sont des organes où les scientifiques s'attendent à en trouver de façon importante.

Pour éviter l'inertie, Hervé Raps appelle la communauté internationale à prendre des mesures fortes au nom du principe de précaution. "Même si c'est compliqué, même si nous ne pouvons pas tout affirmer à 100%, nous constatons maintenant trop de cancers, de maladies métaboliques, de troubles de la fertilité", plaide-t-il. Pour lui, l'éventuel lien entre les microplastiques et nanoplastiques et divers maux affectant la santé humaine est à prendre au sérieux.

"Si vous regardez les courbes de maladies chroniques, de troubles de la puberté, de troubles développementaux chez les enfants, toutes ces courbes sont en progression depuis les années 1950."

Hervé Raps, médecin délégué à la recherche au centre scientifique de Monaco

à franceinfo

"Il existe sûrement plein de facteurs mais les courbes sont parallèles à l'augmentation des produits chimiques et l'augmentation des produits plastiques", insiste-t-il. Un constat inquiétant, alors que la production de plastique doit doubler d'ici 2040 et tripler d’ici 2060.

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