Crise de l'hôpital : "On est dans une crise structurelle", analyse le président fondateur de l'Institut Santé
"On est dans une crise structurelle qui, pour les urgences, est liée à des facteurs internes à l'hôpital", analyse mercredi 21 août sur franceinfo Frédéric Bizard, professeur d’économie à ESCP Business School, président fondateur de l’Institut Santé. "Tous les hôpitaux sont en tension [...] Il faut que l'hôpital public prenne conscience qu'il a une crise en interne et un problème d'attractivité", poursuit le professeur qui espère une "équité de traitement public-privé, mais aussi des droits et des devoirs équivalents".
Frédéric Bizard réagit au fait que les urgences sont sous tension cet été, avec des fermetures partielles ou totales des services, ainsi que des temps d'attente à rallonge. Le ministre délégué à la Santé démissionnaire, Frédéric Valletoux, affirmait mardi que les urgences d'"une cinquantaine d'hôpitaux" français "sont actuellement en tension" par manque de personnel. Mercredi, Jean-Luc Jouve, président de la Commission médicale des hôpitaux universitaires de Marseille, pointait du doigt sur franceinfo les médecins libéraux : "Le vrai fond du problème, c'est qu'il n'y a pas de participation de la médecine libérale et des cliniques privées à la permanence des soins". Des propos auxquels Agnès Giannotti, présidente du premier syndicat de médecins généralistes MG France, s'oppose, assurant "être au rendez-vous".
franceinfo : Quelle est votre opinion à vous sur la question ?
Frédéric Bizard : C'est très stérile d'opposer le public et le privé dans une crise systémique, donc structurelle. Les ressources en santé n'ont pas diminué, on est à 12 points de PIB contre trois points il y a 50 ans, donc ça n'a cessé d'augmenter. Les ressources augmentent environ de 3% par an. Mais ce qui est vrai, c'est qu'on est dans une crise structurelle qui, pour les urgences, est liée à des facteurs internes à l'hôpital. Ce sont tous les hôpitaux qui sont en tension. Quand vous fermez un service d'urgences la nuit, c'est le service d'urgences d'à côté qui se retrouve avec plus de patients.
"Il faut que l'hôpital public prenne conscience qu'il a une crise en interne et un problème d'attractivité."
Frédéric Bizard, président fondateur de l’Institut Santéà franceinfo
Il est régi aujourd'hui par des règles qui datent de 1958 et les ordonnances Debré, avec le plein-temps hospitalier, d'une grande rigidité dans la gestion des carrières. Il faut redonner beaucoup de vie et de modernité à tout ça. Ce qui est vrai, c'est qu'il faut aussi étendre le service public en dehors de l'hôpital, à l'ensemble des acteurs. Des fonctions comme la permanence de soins doit être obligatoire pour tous les acteurs publics et privés, financée par la Sécurité sociale.
Je pense qu'il faut une équité de traitement public-privé, mais aussi des droits et des devoirs équivalents. C'est comme ça que notre système de santé a été conçu, il est hybride public-privé. Le public a des spécificités en matière de recherches, de formation… Mais pour le gros du soin, il faut cette équité.
Qu'entendez-vous par moins de rigidité à l'hôpital ?
Aujourd'hui, vous êtes obligés de travailler à temps plein à l'hôpital. Or, il y a beaucoup de jeunes qui ont envie de travailler trois jours par semaine à l'hôpital et deux jours dans les territoires ou sur un autre projet extérieur à l'hôpital. Il faut mettre de la flexibilité. Autre chose, le système de promotion à l'hôpital est extrêmement rigide, c'est très compliqué pour une aide-soignante de devenir infirmière et c'est compliqué pour une infirmière de devenir cadre et d'avoir des responsabilités de management. Le Covid est arrivé et a fait prendre conscience aux gens que l'équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée est très important.
"On ne peut plus gérer le personnel soignant comme on le gérait au 20e siècle et c'est ce qu'on fait avec l'hôpital public."
Frédéric Bizardà franceinfo
Vous dites que les dépenses de santé augmentent, où va l'argent ?
On a un peu l'impression d'un tonneau des Danaïdes. Le gouvernement sous l'ère Macron est passé par exemple de 100 à 120 milliards d'euros de dépenses pour l'hôpital. Ce n'est pas rien. On n'a jamais fait un tel effort budgétaire depuis 2020. Pourtant, les soignants ont l'impression de ne pas en voir la couleur. Pourquoi ? En France, les soignants, comme les professeurs, sont mal payés, donc quand vous les augmentez de 200 euros, ils n'ont pas l'impression que ça va changer leur vie. Il faut que tout ça s'inscrive dans un ensemble de mesures qui améliorent les conditions de travail au sens large. Ce n'est pas qu'une question financière. Les soignants exigent d'être dans un cadre qui reconnaisse leur valeur, leur expertise.
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