Les plus précaires sont "les premières victimes de l'effondrement du système de santé en France", alerte Médecins du monde
"La crise sanitaire dont nous sortons à peine a révélé l'état de décomposition de notre système de santé, que nous savions déjà exsangue." Dans son rapport annuel publié jeudi 8 décembre, l'Observatoire de l'accès aux soins de Médecins du monde alerte sur les difficultés d'accès aux soins pour les personnes les plus précaires. Pour dresser ce constat, la fondation s'appuie sur les données recueillies auprès des quelque 15 000 patients qu'elle a accompagnés ou soignés durant l'année 2021, marquée par l'épidémie de Covid-19 et la crise de l'hôpital public.
Plus de la moitié des personnes prises en charge en situation irrégulière
Au total, 15 355 personnes ont été prises en charge dans les centres d'accueil, de soins et d'orientation (Caso) de Médecins du monde, soit 1 000 personnes de plus qu'en 2020. Parmi elles, 97% sont de nationalité étrangère et plus de la moitié (53%) sont en situation irrégulière. Il s'agit majoritairement d'hommes (68%) jeunes (51% ont entre 18 et 34 ans). D'après les conclusions des médecins, 40% nécessitent une prise en charge urgente.
Pour ces patients, la quête d'un toit et de nourriture passe avant la santé. Seuls 8% des personnes reçues par Médecins du monde en 2021 dans ses Caso déclarent occuper un logement pérenne. Les autres sont hébergés (61,4%) ou sans domicile (21,5%). La quasi-totalité (96%) vit sous le seuil de pauvreté (1 102 euros net mensuels en 2019 selon l'Insee), et parmi elles, 40% sont sans ressource.
Quand ils tentent de se soigner, de nombreuses barrières, linguistiques et administratives, se dressent devant les patients précaires. Dans ce contexte, la mise en place du pass sanitaire obligatoire leur a fermé les portes des hôpitaux et des centres de santé. Or ce sont les lieux les plus accessibles pour les plus démunis. Faute d'accès, beaucoup renoncent à se soigner.
Cette précarité a des conséquences sur la santé : les pathologies les plus fréquentes relevées sont digestives, ostéoarticulaires et dermatologiques. Près de 6 patients sur 10 reçus souffrent d'une pathologie chronique.
Les droits des demandeurs d'asile peu respectés
La fondation s'inquiète également du non-respect des droits des demandeurs d'asile. Légalement, durant l'examen de leur demande, ils sont censés bénéficier de "conditions matérielles d'accueil" qui "visent à garantir un niveau de vie digne" selon la directive européenne Accueil. Notamment, une domiciliation, un hébergement et une allocation pour demandeur d'asile durant toute la procédure d'examen de leur dossier. Parmi ces réfugiés, deux sur cinq sont sans domicile, ce qui entraîne un retard dans leur parcours de soins.
Même constat concernant les mineurs : 87,2% des moins de 18 ans auscultés par Médecins du monde en 2021 n'avaient pas accès aux remboursements de soins ou de médicaments, alors que légalement, c'est leur droit. En cause : les difficultés administratives et la méconnaissance des structures, selon la fondation.
Covid-19, sida… Les plus précaires en grande difficulté
La pandémie de Covid-19 a également mis en exergue les inégalités d'accès à la vaccination. Dans l'Hexagone, près de 75% des personnes en situation de précarité ont reçu au moins une dose de vaccin contre le Sars-Cov-2, contre 89,3% de la population générale. Et 72,7% d'entre elles une vaccination complète contre 87,3% de la population générale, rappelle Médecins du monde, citant Santé publique France. Des taux de vaccinations inférieurs à ceux des Français, mais néanmoins supérieurs à certaines régions : 35% des habitants de Seine-Saint-Denis et de Corse n'ont pas de schéma vaccinal complet, selon l'hebdomadaire Le Point. En outre-mer, "la proportion est encore plus importante", puisque "54% des résidents à Mayotte ne sont pas vaccinés, 63% en Martinique ou encore 64% en Guadeloupe".
Outre le Covid-19, l'accès aux soins et aux dépistages des maladies sexuellement transmissibles est particulièrement difficile pour les personnes en situation de précarité. Parmi celles qui ont été prises en charge par Médecins du monde, près de 75% ne connaissent pas leur statut sérologique pour le VIH. Idem pour l'hépatite B (83%) et l'hépatite C (un peu moins de 78%).
Des inégalités accrues par la crise de l'hôpital...
La fondation s'inquiète de la situation à l'hôpital. Déjà difficile avant la pandémie, elle ne cesse de s'aggraver. Sans donner de chiffres, elle relève que "dans certains hôpitaux, le service des urgences saturé refuse parfois de prendre en charge des patients sans droits, crée une dette hospitalière ou encore ne mènent pas à terme l'acte de soins (ordonnance sans délivrance de traitements)". Or, souligne Médecins du monde, "pour les publics en grande précarité les services des urgences constituent un ultime recours".
La fondation pointe également des exemples particuliers comme celui de Nantes, où "le service de gynécologie obstétrique suit les femmes enceintes en précarité seulement à partir du cinquième mois de grossesse. En sous-effectif, le service ferme régulièrement l'entrée à de nouvelles patientes." Or là encore, la fondation souligne que "les patientes en grande précarité n'ont d'autres alternatives que le suivi de grossesse hospitalier". La situation risque de s'aggraver, au vu de la situation dans les maternités en 2022. En proie à un manque de personnel et une crise de vocation "inédite", selon l'Ordre des sages-femmes, elles sont contraintes de concentrer l'activité des sages-femmes en salles de naissances.
... et la mise en place du forfait patients urgences
Le forfait patient urgences institué en janvier 2022 prévoit un tarif unique de 19,61 euros par passage aux urgences non suivi d'hospitalisation et non remboursé pour les personnes qui ne disposent pas de complémentaire santé. "Ce forfait risque fortement d'augmenter les inégalités en impactant des publics sans droits ou avec des droits au rabais, déjà éloignés des soins", pointe la fondation. "C'est le cas des trois millions de personnes sans complémentaire santé, pourtant particulièrement fragiles et vulnérables (chômeurs, retraités, petits indépendants notamment)."
"Il est encore difficile d'avoir du recul sur la mise en œuvre réelle de cette mesure, souligne la fondation. Toutefois elle produit déjà des effets d'autocensure de publics marginalisés, craignant d'avoir à payer, et renonçant ou retardant donc leur venue à l'hôpital."
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