Manque de sages-femmes, congés, crise des vocations... Les maternités vont-elles (encore) craquer pendant les vacances de la Toussaint ?
Cet été, de nombreuses maternités ont été contraintes de fermer, faute de personnel pour assurer les soins. Depuis la rentrée, la situation est loin d'être revenue à la normale et pourrait de nouveau empirer avec l'arrivée des congés d'automne.
Un air d'été plane sur la Ville rose. En cette mi-octobre, le thermomètre toulousain affiche une température qui flirte avec les 30°C. Il n'y a pas que sur les quais de la Garonne que l'été joue les prolongations. A la maternité du CHU Paule de Viguier, le manque de sages-femmes replonge le personnel dans ses tourments estivaux, contraint de s'adapter aux effectifs réduits. Une situation loin d'être isolée dans les maternités françaises.
D'ordinaire, le casse-tête des plannings est réservé aux mois de juillet et août, à cause des congés. Mais cette année, faute de candidatures pour les remplacements, les difficultés frappent à nouveau pour la Toussaint. Malgré les retours de vacances et le recrutement de douze sages-femmes au CHU de Toulouse, deux demi-journées de consultations d'acupuncture (sur quatre habituellement) seront supprimées pendant deux mois. "Sauf recrutement, nous sommes obligés de prolonger cet aménagement jusqu'à fin décembre, car la période est très tendue", justifie Nathalie Laurenceau, coordonatrice en maïeutique.
"On essaie d'être attractifs"
Ces restrictions suscitent de l'inquiétude au sein du service. "Cela veut dire qu'on va encore retirer des effectifs, de l'acupuncture, des préparations à la naissance pour remettre les sages-femmes dans des services en tension, comme les blocs accouchement", redoute Johanne Reynaud, sage-femme au sein de l'établissement toulousain, membre du syndicat Unsa et de l'Union syndicale des sages-femmes (UNSSF). "Ce n'est pas de gaieté de cœur qu'on supprime ces activités [d'acupuncture], assure Nathalie Laurenceau. Nous avons préféré fonctionner de cette manière pour que tout le monde ait ses congés."
La situation est d'autant plus inquiétante que Toulouse est un département en "zone intermédiaire", selon des données de l'Agence régionale de santé (ARS) d'Occitanie datant de 2017 et citées par France 3. "Pour cet été, on a réussi à boucler les plannings de justesse", constate Stéphanie Mothe, membre du Conseil de l'ordre des sages-femmes de Haute-Garonne. Mais selon elle, ce fut un travail de longue haleine.
"En ce moment, nous allons voir les étudiants en stage chez nous pour leur dire ce qu'on a à leur proposer l'été prochain", explique Nathalie Laurenceau, qui est obligée de voir loin. Une politique de recrutement a été mise en place, avec des embauches immédiates en CDI, une intégration au deuxième échelon plutôt qu'au premier, pour un premier salaire avoisinant les 2 200 euros net. "Ce n'est toujours pas énorme après cinq ans d'études, concède-t-elle, mais il y a encore six mois, on était à 1 900 euros". Paul Guerby, gynécologue et chef de service au CHU de Toulouse, abonde : "On essaie au maximum d'être attractifs, car on sait que si on ne fait pas ça, on court droit à la catastrophe."
Moins d'accompagnement
A près de 700 kilomètres de là, à Montreuil (Seine-Saint-Denis), les cadres de l'hôpital André Grégoire ont également dû se résoudre à réduire la voilure, de manière encore plus drastique. Dès le mois de novembre, le nombre d'inscriptions de femmes enceintes à la maternité va être réduit à 270 par mois, hors grossesses à risque. D'ordinaire, le nombre de naissances n'est pas limité. En novembre 2020, cette maternité a vu naître 358 bébés. En novembre 2021, le nombre de naissances enregistrées était de 333. Pour le mois de novembre 2022, 238 femmes sont déjà inscrites (au 20 octobre).
Cette option est devenue, au fil des semaines, la seule issue possible. Depuis la rentrée, il a été "décidé de concentrer l'activité des sages-femmes en salle de naissance", regrette Patrick Daoud, pédiatre et chef de pôle du centre hospitalier. "Mais même avec ce mode de fonctionnement, on n'y arrive pas. Nous sommes donc contraints de fermer une aile de suites de couche et nous allons essayer de tenir en mettant en place un programme de sortie ultra-précoce, sous 24 heures" après l'accouchement.
Une explosion des radiations
La Seine-Saint-Denis est particulièrement concernée par la pénurie de sages-femmes, avec une moyenne de 67 praticiennes pour 100 000 habitants en septembre 2022, quand la moyenne nationale s'établit à 139 maïeuticiens pour 100 000 habitants, selon l'ARS d'Ile-de-France (en PDF). Un taux particulièrement dérisoire quand, à moins de quatre stations de métro de là, à Paris, le taux est presque trois fois supérieur (194 sages-femmes pour 100 000 habitants).
Ce manque de personnel dépasse les frontières de l'Ile-de-France et de l'Occitanie. Le Conseil national de l'ordre des sages-femmes a alerté le 13 octobre sur le nombre de radiations de professionnels en âge d'exercer (des personnes qui quittent l'Ordre pour partir à la retraite ou se reconvertir), qui a explosé (+112% au cours du premier semestre 2022). "Ce phénomène contribue à dégrader davantage la qualité et la sécurité des soins mais aussi les conditions d'exercice, conduisant ainsi sages-femmes et étudiants à fuir la profession", alerte l'Ordre dans son communiqué.
Pourtant, malgré les difficultés que rencontre la profession, elle est de plus en plus sollicitée par les femmes qui accouchent. Pour près de 40% d'entre elles, c'est un maïeuticien qui a été le responsable principal de la surveillance dans les six premiers mois de la grossesse, en particulier en secteur libéral, relève une étude de l'Inserm publiée le 6 octobre. Et ce chiffre est en augmentation notable depuis 2016, note l'institut, dans un contexte où le nombre de gynécologues qui exercent en cabinet ne cesse de chuter parallèlement.
"Quand je suis sortie d'école il y a dix ans, il fallait vraiment montrer qu'on était motivés pour travailler à l'hôpital, parce qu'il y avait beaucoup de demandes. Aujourd'hui, on n'est plus du tout dans cette situation."
Stéphanie Mothe, membre du Conseil de l'ordre des sages-femmes de Haute-Garonneà franceinfo
Ce qui inquiète le plus les sages-femmes, c'est que cette pénurie est récente et inédite par son ampleur. "Pendant des années, le mot d'ordre a été de réorganiser les services à effectifs constants. C'était très compliqué. On s'arrangeait, mais aucun ETP [équivalent temps plein] n'était débloqué", se souvient Johanne Reynaud. "Aujourd'hui, les recrutements sont ouverts, mais il n'y a plus de sages-femmes qui postulent." Même constat à Montreuil, où Patrick Daoud assure qu'au sein de son service, au-delà du recrutement, il cherche surtout à limiter l'hémorragie. "C'est pour ça qu'on limite les inscriptions [pour accoucher], justifie-t-il. On fait très attention."
"L'hôpital, je n'en peux plus"
Si le discours est aussi pessimiste, c'est que la situation à moyen terme semble dans une impasse. Outre les difficultés à recruter, la profession fait face à une crise de vocation "inédite". "A la rentrée 2022, près de 20% des places en deuxième année des études de maïeutique sont restées vacantes", a alerté le 13 octobre le Conseil national de l'ordre des sages-femmes et l'association nationale des étudiant·e·s sages-femmes (ANESF). Et ce, sans compter la réforme étudiée en ce moment à l'Assemblée nationale pour introduire une sixième année d'étude dans le cursus de maïeutique.
A Montpellier (Hérault), onze élèves ont manqué à l'appel à cette rentrée 2022 par rapport à la précédente, a constaté Véronique Lecointe, directrice du site et présidente de la Conférence nationale des enseignants en maïeutique (Cnema). Une situation imputée à la réforme de l'accès aux études de médecine, mise en place en 2020, mais pas seulement.
Même une fois intégrés au cursus, de nombreux apprentis sages-femmes quittent le navire. "Cet après-midi, j'ai reçu un étudiant, qui entre en première année de deuxième cycle. Il m'a annoncé qu'il arrêtait. Il m'a dit : 'L'hôpital, je n'en peux plus.'" Et la directrice d'ajouter : "Dans un bilan de mi-semestre, sur 30 élèves, sept nous ont déjà dit qu'ils demanderaient la passerelle pour faire médecine en troisième année". Des renoncements qui font dresser un constat très sombre à Véronique Lecointe : "Je dis régulièrement à mes étudiants : 'Vous avez le droit de venir habillés en noir, pour dire que vous portez le deuil du métier que vous allez exercer'".
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