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"Implant Files" : comment Medtronic compte peser sur la réforme du système de santé français pour mieux en tirer profit

Le géant des technologies médicales s'appuie sur son concept de "valeur en santé" pour influer sur la "transformation nécessaire" du système français... Et sur les tarifs de ses produits.

Article rédigé par franceinfo - Laetitia Cherel / Cellule investigation de Radio France / ICIJ
Radio France
Publié
Temps de lecture : 7min
Le site français de Medtronic présentant le concept de "veleur en santé". (CAPTURE D'ÉCRAN)

Medtronic est devenu un acteur incontournable de la santé dans les hôpitaux français, en fournissant des équipements et des salles d'opération clé en main avec, en contrepartie, des quotas d'implants à acheter. C'est ce qu'ont révélé les "Implant Files", l'enquête collaborative internationale menée par l'ICIJ dont Radio France est partenaire. L'industriel va plus loin : voici comment il compte convaincre les autorités qu’il faut réformer notre système de santé.

>> Ce que révèlent les "Implant Files" sur les failles du système de certification des dispositifs médicaux

Pour Medtronic, la clé s'appelle la "valeur en santé". Pas une brochure, pas un discours des dirigeants de l'industriel dans lesquels on ne trouve une référence au "value-based healthcare". Officiellement, il s’agit de "réinventer la prestation de soins", c'est-à-dire de prendre en considération non pas un produit mais le bien-être engendré par ce produit. Mais derrière ces intentions louables, Medtronic propose en fait de revoir la façon dont on fixe le prix de ses produits.

La "valeur en santé", c’est Michael Porter, professeur d’économie à la Harvard Business School et aujourd’hui conseiller influent du PDG de Medtronic, qui l’a inventée. Officiellement, il ne s’agit rien de moins pour le fabricant que de "faire progresser le système de santé" en diminuant notamment "le coût moyen des soins sur chaque patient", en "résorbant les files d’attente" et en remettant "le patient au centre du système de santé".

Dans un colloque organisé en mai 2018 au Conseil économique et social, Laurence Comte-Arassus, la présidente de Medtronic France, expliquait vouloir positionner son groupe "dans l’écosystème de la santé français, de passer de fournisseur à un offreur de solutions, et surtout, à un partenaire à part entière".

Au lieu d'être payés au nombre de boîtes que l'on va réussir à vendre, on veut être payés sur le résultat qui importe au patient de nos technologies et de nos solutions.

Laurence Comte-Arassus, Medtronic France

Un concept qui se vend... dans les ascenseurs

Pour convaincre les hôpitaux d’accepter ses offres commerciales, Medtronic met les moyens. "Il y a beaucoup d’argent dépensé en interne pour former un nombre incroyable de cadres du marketing et de cadres commerciaux", assure une ancienne salariée qui a suivi une de ces formations internes. "On nous dit : si vous rencontrez le directeur d’un hôpital dans un ascenseur, vous lui faites un "elevator speech" sur la valeur en santé. Un argumentaire éclair, pour convaincre en quelques secondes. Après cette formation, on va dans les ministères, dans les agences régionales de santé, ou à l’assistance publique de Paris."

Pour promouvoir cette idée dans les hôpitaux, Medtronic a créé le Cercle de réflexion sur la valeur en santé : un think tank qui réunit une vingtaine de membres non rémunérés. On y trouve beaucoup de praticiens et de dirigeants d’hôpitaux, dont certains ont passé des partenariats avec Medtronic. Sont présents également le président de la Fédération française des diabétiques ou le président d’Elsan, un puissant groupe de cliniques et d'hôpitaux privés.

Parmi les membres du think tank figure Yann Bubien, directeur-adjoint du cabinet d’Agnès Buzyn, l’actuelle ministre de la Santé. Son nom est mentionné sur un manifeste publié début 2017 avec le titre de "directeur-général CHU d’Angers", poste que Yann Bubien a occupé avant de prendre ses fonctions au cabinet de la ministre, en juin 2017.

Interrogé, Yann Bubien conteste avoir fait partie de ce Cercle et assure ne pas en connaître les membres. "Ils m’envoient des invitations mais je ne leur ai jamais répondu, je ne suis jamais allé à une réunion". Un membre du Cercle confirme n’avoir jamais vu Yann Bubien. De son côté, Medtronic n’a pas souhaité répondre à nos questions pour savoir si le directeur-adjoint du cabinet d’Agnès Buzyn figurait dans le Cercle sans en avoir été averti.

Un think tank "à but commercial"

Le Cercle de la valeur en santé se réunit à Paris deux à trois fois par an et, chaque année, ses membres se retrouvent à l’occasion du Cham (Convention on Health Analysis and Management), le Davos de la santé qui a lieu à Chamonix, et dont Medtronic est partenaire. Un de ses membres, qui a souhaité garder l'anonymat, confie. "Lors du dernier Cham, il y avait le Premier ministre, Edouard Philippe, et pour les deux précédents, il y avait Emmanuel Macron. C'est un lieu de lobbying. On est accompagnés de trois ou quatre personnes de Medtronic, on voit bien qu'ils connaissent tout le monde. Ça se passe comme ça dans l'industrie pharmaceutique." 

Pour une ancienne salariée de Medtronic, "le Cercle de la valeur en santé n’est pas un vrai think tank, parce qu’il n’y a pas beaucoup de théoriciens, pas beaucoup d’intellectuels. C’est très centré sur les hôpitaux qui sont les premiers acheteurs de leurs implants. Donc il y a clairement un but commercial. Il y a par exemple des représentants du groupe Elsan, le plus gros groupe de cliniques françaises. Pourquoi est-ce qu’ils sont là ? Parce que leur poids dans le monde de la santé en France est énorme, et tout le monde leur fait la cour."

Pour Anne Chailleu, présidente de Formindep, une association qui défend l’indépendance de l’information médicale, la "valeur en santé" est surtout un moyen pour Medtronic de facturer ses implants plus chers. "La valeur du produit – et non plus son prix – c’est tout ce qu’il va permettre au système de santé d’économiser sur la vie entière du patient."

C’est un peu comme si un vendeur d’airbags, au lieu de vendre l’airbag au prix des coûts plus des marges, se mettait à le facturer au prix de la vie qu’il sauve lors de son usage.

Anne Chailleu, association Formindep

L'enjeu est considérable. Des valves aortiques de Medtronic sont vendues 16 000 euros pièce, et remboursées par la sécurité sociale malgré des marges d’environ 80%.

Une ancienne cadre de Medtronic conclut : "C’est un fourre-tout dans lequel on dit, en gros, qu'on n’est pas que des commerçants, pas que des vendeurs de matériel. On est altruistes, on se préoccupe du bien-être qu’en retire le patient. Mais au milieu de tout ça, il y a des dispositifs implantables qui coûtent cher, et avec ce concept, on essaie d’attirer l’attention sur autre chose que sur le prix."

Medtronic France n’a pas souhaité répondre à nos questions sur ce sujet.

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