Info franceinfo Au moins deux millions de bouteilles de Perrier détruites à la suite d’une contamination bactérienne

La destruction de bouteilles de Perrier "par précaution" concerne au moins deux millions de bouteilles, apprennent franceinfo et "Le Monde", mercredi.
Article rédigé par Marie Dupin
Radio France
Publié
Temps de lecture : 8min
Nestlé a détruit une partie de sa production d’eau en bouteille Perrier après avoir observé une dégradation de la qualité de l’eau dans l’un de ses puits du Gard. (MIKAEL ANISSET / MAXPPP)

À peine trois semaines après nos révélations sur un potentiel risque sanitaire lié aux eaux minérales naturelles du groupe Nestlé, la multinationale annonce avoir détruit au moins deux millions de bouteilles de la marque Perrier à la suite d’une dégradation de la qualité de l'eau dans l'un des sept puits de son usine du Gard. Selon un arrêté préfectoral consulté par franceinfo et Le Monde, qui n'a jusqu'à présent pas été rendu public en dépit des obligations légales, deux autres puits sont désormais exploités pour produire, dans des conditions floues, une nouvelle gamme de boissons gazeuses.

Des traces de matières fécales et de germes

Mercredi 24 avril, Nestlé Waters France, filiale du leader mondial de l'agroalimentaire, a annoncé à l’AFP avoir, "par précaution", détruit "plusieurs lots de bouteilles", habituellement livrés en magasin. Une destruction qui concerne au moins deux millions de bouteilles, comme l’annonce à franceinfo et au journal Le Monde l’entreprise Nestlé, qui assure que "toutes les autres bouteilles sur le marché peuvent être consommées en toute sécurité". Concernant la contamination de ses bouteilles d’eau minérale, Nestlé se contente d’évoquer une "déviation microbiologique ponctuelle" apparue à la suite "des très fortes pluies liées à un évènement de type méditerranéen récent dans le Gard", la tempête Monica qui a frappé le sud-est de la France pendant le week-end du 10 mars.

De son côté, le préfet du Gard annonce avoir mis en demeure l'entreprise de "suspendre sans délai" l'exploitation d'un des puits de son usine de Vergèze dans le Gard, où est mise en bouteille l’eau de Perrier. Ce captage aurait en effet "présenté un épisode de contamination à partir du 10 mars 2024 et sur plusieurs jours par des germes témoins d'une contamination d'origine fécale (coliformes, Escherichia coli) mais aussi par des germes de l'espèce Pseudomonas aeruginosa". Il est aussi indiqué "qu'une contamination des eaux conditionnées à partir de ce forage ne peut être exclue et peut faire courir un risque pour la santé des consommateurs".

Le puits dont l'exploitation a été suspendue se trouve à Vergèze, où est historiquement puisée l'eau de la marque Perrier, créée en 1903. Or, comme l’avaient révélé Franceinfo et Le Monde récemment, les ressources en eau exploitées par Nestlé à Vergèze font l’objet de contaminations régulières, et ce depuis des années, tout comme celles de l’autre usine d’eau minérale Nestlé en France, dans les Vosges, où sont produites les marques Vittel, Hépar et Contrex.

Déjà des alertes de l'Anses

En octobre dernier déjà, l’Anses, l’agence nationale de sécurité sanitaire alertait le gouvernement dans une note restée confidentielle mais dévoilée par Franceinfo et Le Monde, à propos d’un "niveau de confiance insuffisant" pour assurer la qualité sanitaire "des produits finis", c'est-à-dire les bouteilles destinées aux consommateurs. Concernant le site de Vergèze, les experts de l’Anses évoquaient la présence de "bactéries coliformes nombreuses", de "dégradations de la qualité microbiologique des eaux", et signalaient la présence de pesticides et métabolites de pesticides dans "tous les puits de forages", leur somme pouvant parfois dépasser les seuils réglementaires.

Dans un courrier annexé au rapport, l'agence régionale de santé Occitanie relevait pour sa part que l'usine Perrier était confrontée à une "contamination bactériologique régulière sur au moins cinq des sept forages autorisés". Des contaminations qui, suggéraient les experts de l'Anses, contraignent à des traitements qui ne devraient plus permettre la production d'eaux labellisées "eau minérale naturelle".

Des traitements de l'eau interdits

Un risque qui en réalité ne date pas d’hier puisque, dès 2021, lors d’un rendez-vous confidentiel à Bercy, l’entreprise Nestlé avait admis avoir recours à des traitements interdits par la réglementation, dans le but de purifier des ressources en eau contaminées par des bactéries et des pesticides. Le gouvernement, après avoir découvert la tromperie, ayant décidé de n’informer ni la justice, ni les autorités européennes, sans tenir compte de la réglementation, avait alors commandé un rapport à l’Inspection générale des affaires sociales. Ce rapport, qui n’a été rendu public qu’après la publication de notre enquête, n’excluait pas, lui non plus, un risque sanitaire en cas de retrait de traitements interdits. Des traitements (filtres à charbon actif et filtres UV) pourtant retirés par la multinationale, dans le but de pouvoir continuer à vendre ses produits sous l'appellation eau minérale naturelle.

Officiellement, Nestlé affirme depuis le début de l’affaire avoir toujours garanti la sécurité sanitaire de ses produits. Rassurante, la multinationale annonçait en janvier avoir fermé ses captages les plus problématiques, et engagé un "plan de transformation de son usine de Vergèze, sous le contrôle des autorités", certains puits ayant été détournés pour produire, non plus de l’eau minérale naturelle, mais la marque Maison Perrier. Une nouvelle gamme de boissons gazeuses dont Nestlé assure actuellement la promotion à grand renfort de panneaux publicitaires et de vidéos sponsorisées sur les réseaux sociaux, avec pour égérie l’actrice de la série Emily In Paris, Lily Collins.

Un arrêté préfectoral du 22 décembre 2023, que franceinfo et Le Monde ont pu consulter, fixe en effet les conditions de production de ces nouvelles boissons destinées à la consommation humaine, pour lesquelles la réglementation est moins stricte que pour les eaux minérales naturelles. Sans jamais évoquer les contaminations microbiologiques et physicochimiques des ressources en eau, l’arrêté autorise la société Nestlé à utiliser deux de ses captages dans le but de produire une "boisson pétillante". Mais certaines formulations de l’arrêté interrogent sur l’étanchéité des canalisations, "les mêmes lignes" pouvant "être exploitées pour conditionner soit de l’eau minérale naturelle, soit des boissons gazeuses".

Cet arrêté n’a toujours pas été publié au registre des arrêtés préfectoraux, en dépit des obligations légales. La préfecture, interrogée à ce sujet affirme "ne pas comprendre", et renvoie vers l’Agence régionale de santé Occitanie (ARS), qui n’a pas, à ce stade, répondu à nos questions, tout comme le ministère de la Santé.

Sur franceinfo aujourd'hui, la directrice de l’information à Foodwatch, qui a porté plainte contre le groupe Nestlé, regrette que les informations sur cette affaire "arrivent au fil de l’eau. Depuis le début, Nestlé ne respecte pas la directive européenne. Il est très clair dans la directive que dès lors qu'il y a une contamination ou une pollution sur les eaux, il est absolument interdit de les mettre en bouteille et même de les commercialiser. Or, ce n'est pas ce qui s'est passé du tout".

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