Quatre questions sur la nouvelle étude sur le Levothyrox qui donne raison aux malades
Une nouvelle étude réalisée par des chercheurs et publiée jeudi 4 avril révèle que la nouvelle formule du médicament ne présentait pas de garanties suffisantes pour les patients.
Une équipe de scientifiques de l'université de Toulouse a épluché les données fournies par le laboratoire Merck, qui fabrique le Levothyrox, lors de la validation de la nouvelle formule de ce médicament en mars 2017. Et leur étude, publiée dans la revue Clinical Pharmacokinetics (en anglais) jeudi 4 avril, sonne comme une victoire pour les malades qui pointent du doigt la nouvelle formule. Les résultats des chercheurs permettent en effet d'affirmer qu'il existe bien des différences entre l'ancien et le nouveau Levothyrox, prescrit contre l’hypothyroïdie. Franceinfo fait le point sur ce que changent ces travaux scientifiques.
1Que dit cette étude ?
Elle a été réalisée conjointement par des chercheurs en biostatistique et en pharmacologie de l’université de Toulouse, de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et de l’université de Londres. Les cinq scientifiques ont repris l'analyse des essais de bioéquivalence, réalisés par le laboratoire allemand Merck et mis en ligne par l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) en 2017 par souci de transparence. Ces tests, recommandés par l'Union européenne, sont conçus au départ pour pouvoir commercialiser des génériques en vérifiant qu'ils produisent les mêmes effets que les médicaments de référence.
Sur les 204 personnes volontaires qui ont testé cliniquement les deux versions du Levothyrox, 40% ont subi des variations hormonales dans la norme et 60% étaient hors limite, soit hors de la norme acceptée, selon les moyennes statistiques. "C'est un signal qui aurait dû alerter", estime Pierre-Louis Toutain, pharmacologue et coauteur de l'étude. "Les gens ne sont pas des moyennes et quand on impose à plus de 2millions de personnes une substitution, on doit mieux étudier les variations individuelles" propres à chacun, ajoute-t-il.
Malgré ces résultats, la nouvelle formule a été validée et les reproches de patients souffrant d'effets secondaires ont commencé à affluer : une très grande fatigue, des maux de tête, des crampes, voire un état dépressif.
J'ai commencé à être de plus en plus épuisée. Au point de ne même plus pouvoir me lever de mon lit. J'avais la tête qui tournait. Je ne savais pas ce qu'il m'arrivait.
Lucienne, une patiente de 76 ansà franceinfo
Pour expliquer ces effets secondaires, les chercheurs évoquent le changement d'excipients, des substances sans effet thérapeutique. Dans la nouvelle formule, le lactose a été remplacé par le mannitol et l'acide citrique, ce qui serait susceptible d'altérer l'absorption du médicament chez certains patients, relèvent-ils.
2Qu'est-ce que cela change pour les patients ?
Selon un rapport de pharmacovigilance dévoilé en juillet 2018 par l'ANSM, 31 411 patients subissaient ces effets indésirables. Un chiffre impressionnant qui représente en réalité 1,43% des quelque 2,2 millions de patients traités avec le Levothyrox. Pour ceux qui déclarent souffrir de ces effets secondaires, cette nouvelle étude change tout, car ils ont enfin le sentiment d'être entendus et compris. "On a été en souffrance, on a été méprisés, on a été malmenés, on n'a pas été accompagnés", souffle Sylvie Chéreau, présidente du collectif Victimes du Levothyrox Occitanie, à France 3. "Pour toutes les victimes, c'est une porte qui s'ouvre enfin", ajoute-t-elle.
Même soulagement chez Beate Bartès, présidente de l'association Vivre sans thyroïde (VST) : "Forcément, après avoir entendu pendant deux ans qu'on est hystériques, que c'est dans notre tête, que c'est l'effet nocebo [apparition d'effets indésirables d'origine psychologique)… Voir écrit qu'on n'affabule pas, ça chamboule", assure-t-elle dans Le Parisien.
3Comment réagit le laboratoire Merck ?
Cette nouvelle étude met en cause les méthodes d'analyse du labotaroire Merck, le fabriquant du Levothyrox. "Etudier la substitution [le remplacement du lactose par de l'acide citrique et du mannitol], ce n'est pas la même chose sur le plan scientifique que d'étudier un médicament générique", détaille Pierre-Louis Toutain, coauteur de la nouvelle étude. Le pharmacologue regrette que la France n'ait pas mis en place des tests de bioéquivalence individuels adaptés. C'est ce qu'ont fait par exemple les Etats-Unis pour la Ritaline (un psychoanaleptique pour les enfants hyperactifs) ou la Belgique pour la Gabapentine (un antiépileptique). Toutefois, "il n'y a pas de faute réglementaire de la part du laboratoire" Merck, assure le pharmacologue dans Le Parisien.
Le laboratoire a critiqué la parution de cet article, évoquant "une extrapolation scientifiquement contestable". Merck indique ainsi que dans les autres pays, "les lancements de la nouvelle formule de Levothyrox, en Suisse et en Turquie, se sont très bien déroulés, sans problématique d'effets secondaires particuliers et sans changement de traitements pour les patients". La firme ajoute que "des experts indépendants se sont penchés sur ces études (de 'bioéquivalence moyenne') et ont conclu à la pertinence et à la rigueur scientifique de l'approche". Elle ajoute que "la nouvelle formule satisfait plus de 2,5 millions de patients en France (sur 3 millions de patients sous traitement de produit à base de lévothyroxine)."
"On ne pense pas qu'il y ait de complot, on ne pense pas qu'il y ait de malveillance, on pense que peut-être qu'il y a eu une rupture d'expertise dans la chaîne de décisions", précise Pierre-Louis Toutain à France 3. L'ANSM, elle, n'a pas réagi à cette nouvelle étude.
4L'étude peut-elle avoir des conséquences judiciaires ?
En septembre 2017, une enquête avait été ouverte pour "tromperie aggravée, atteintes involontaires à l'intégrité physique et mise en danger d'autrui". Le parquet avait pris le 30 novembre des réquisitions supplétives pour "homicide involontaire", après que le magazine Ebdo eut révélé la mort de 13 patients prenant du Levothyrox. L'ANSM avait réagi en parlant de 14 décès sans qu'un lien soit établi avec la prise du médicament.
Une procédure civile a tout de même été ouverte à Lyon en décembre 2018. Le 5 mars dernier, les 4 113 plaignants ont été déboutés de leur action contre Merck. A l'époque, l'avocat des plaignants, Christophe Lèguevaques, avait évoqué "une grosse déception". "[Les malades] attendaient une reconnaissance par la justice de leurs souffrances. Et on leur dit aujourd'hui que c'est simplement un problème sociologique et non pas juridique. Ces termes ne sont pas acceptables", avait-il martelé.
Les plaignants avaient fait appel et l'étude publiée jeudi leur offre de nouvelles perspectives. "Ce rapport sera très utile dans le cadre de la procédure d'appel qui réunit, à ce jour, plus de 3 000 participants", a prévenu Christophe Lèguevaques, interrogé vendredi par l'AFP.
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