Anorexie : une addiction à la perte de poids ?
Plus d’une femme sur 10 entre 15 et 35 ans est touchée par l'anorexie. Outre la restriction alimentaire menant à la perte de poids, les malades souffrent d’une perception déformée de leur silhouette et jusqu’à présent l’autre critère de définition était la peur de grossir. Mais une récente étude vient de révéler qu’en réalité les anorexiques développeraient surtout une addiction à la perte de poids… Une subtilité qui ouvre de nouvelles perspectives de prise en charge.
"L'anorexie a la plus forte mortalité suicidaire de toutes les pathologies mentales", rappelle le Pr Gorwood, chef de service de la Clinique des Maladies Mentales et de l'Encéphale (CMME) du du centre hospitalier Sainte-Anne. La peur intense de grossir est l'un des trois critères nécessaires pour poser le diagnostic d'une anorexie mentale. Cette maladie est aussi associée à l'existence d'une restriction alimentaire menant à la perte de poids et à une perception déformée du poids et du corps.
Le professeur Gorwood, et son équipe, en continuité avec les travaux d'autres chercheurs, ont remis en cause cette phobie de la prise de poids en tant que critère de déclenchement et d'entretien de l'anorexie mentale. Ils ont testé l'hypothèse que plus qu'un sentiment de peur face à la prise de poids, les malades développent une addiction au fait de maigrir (sans que la notion de "plaisir" entre en jeu). Ce phénomène activerait le système de récompense dans le cerveau et les rendrait "addict" à la perte de poids.
Un test pour mesurer l'émotion devant des images de maigreur
Pour valider cette hypothèse, une étude à été lancée par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), l'université Paris-Descartes et le centre hospitalier Sainte-Anne. Le Pr Gorwood, directeur de l'étude, et son équipe ont testé la réaction émotionnelle de patientes anorexiques et de sujets sains face à des images de personnes normales, en surpoids et en situation de maigreur.
Deux groupes ont été constitués : un groupe de 70 patientes atteintes d'anorexie mentale à des degrés variés consultant à la Clinique des maladies mentales et de l'encéphale et un groupe témoin de 20 patientes ne présentant pas de troubles anorexiques. Pour tester objectivement la réaction des sujets, un test de conductance cutané a été utilisé. Il mesure le taux de sudation de la peau et reflète ainsi l’état émotionnel du sujet lors de la présentation des images. Les résultats ont ensuite été comparés.
Chez aucun des deux groupes la vision d'images présentant des personnes de poids normal ou en surpoids ne déclenchait de réactions particulières.
En revanche, face à des images corporelles de maigreur, les patientes anorexiques ressentaient des émotions évaluées comme positives tandis que l'autre groupe ne réagissait pas.
Une nouvelle façon d'aborder le traitement de l’anorexie mentale
Les résultats de cette étude, même si le nombre de patientes testées reste restreint, peuvent orienter la recherche sur l'étude des circuits de récompense dans le cerveau plutôt que d'évitements phobiques dans les anorexies mentales.
Ils suggèrent d'autre part que si l'anorexie est considérée comme une addiction au fait de maigrir, certaines approches thérapeutiques comme la remédiation cognitive et la thérapie en pleine conscience pourraient avoir un bénéfice sur cette pathologie qui ne dispose pas de beaucoup de moyens de traitement. "On est très démuni au niveau thérapeutique, et aucun pays n'a de médicament ayant une AMM (autorisation de mise sur le marché) pour l'anorexie", confie le Pr Gorwood à l'AFP.
De précédentes études ont montré que la présence d'un gène codant pour le BNF, un facteur impliqué dans la survie des neurones et la neuroplasticité étaient souvent associée à l'anorexie. "Il n'y a pas de gène de l'anorexie, mais des gènes de vulnérabilité" vis à vis de ce trouble, précise le Pr Gorwood à l'AFP. Lors de l’étude, une forme particulière de ce gène chez les patientes anorexiques présentant une réponse émotionnelle positive aux images de maigreur. Il semble que la piste génétique mérite donc de continuer à être explorée.
L'étude devrait venir remettre en question la définition de la maladie, qui passerait ainsi dans le champ des addictions. Alors que la moitié des malades s’en sortent, plus de 20% des anorexiques s’enferment dans un trouble chronique. Et 5 % finissent par en mourir.
Etude de référence : Higher reward value of starvation imagery in anorexia nervosa and association with the Val66Met BDNF polymorphism Transl Psychiatry (2016) 6, e829; doi:10.1038/tp.2016.98
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