"Ce n'est pas un long fleuve tranquille" : des patients racontent leurs difficultés après une chirurgie de l'obésité
La chirurgie bariatrique a explosé ces dix dernières années dans l'Hexagone. Si ses bienfaits sont avérés, la nouvelle vie des patients est parfois loin des lendemains qui chantent. Ils se confient à franceinfo.
"Quand je vois que des femmes veulent recourir à la chirurgie alors qu'elles n'ont que 10 kg de trop... Elles ne se rendent pas compte que c'est irréversible et qu'il y a des conséquences." Catherine*, une Niçoise de 37 ans, a subi une chirurgie bariatrique pour traiter son obésité sévère, en janvier 2012. Cette chirurgie, qui regroupe en réalité trois types d'opérations (pose d'un anneau gastrique, gastrectomie longitudinale dite aussi sleeve, et court-circuit gastrique également appelé by-pass), est réservée aux personnes qui ont épuisé les autres formes de traitement et dont l'indice de masse corporelle est supérieur à 40 (l'obésité démarre à 30).
Le cas de Catherine est loin d'être isolé : en France, le nombre de ces interventions "a triplé en dix ans pour s'établir à plus de 50 000 par an", analyse l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) dans un rapport rendu public en septembre. Pour les 17% d'adultes souffrant d'obésité dans l'Hexagone, les résultats permis par la chirurgie sont séduisants : perte de poids d'environ 30%, diminution de moitié de la surmortalité, réduction des risques cardiovasculaire et diabétique... Mais en dépit de ces bienfaits avérés, l'Igas note que les opérations s'accompagnent aussi de "complications chirurgicales", de "carences nutritionnelles" et de "risques d’ordre psychique" encore difficiles à apprécier. Entre patients, le sujet reste pourtant "tabou", confie l'une d'entre eux.
"Une fourchette par repas"
"Je regrette de m'être fait opérer. C'est bien pour perdre du poids, mais j'ai eu beaucoup de complications, donc j'ai arrêté de le conseiller", déplore ainsi à franceinfo Alma, opérée en août 2016 à Châteauroux (Indre) d'une sleeve. Grâce à l'intervention, la jeune femme de 29 ans a perdu 51 kg, mais un rétrécissement anormal de son estomac l'empêche désormais de manger "plus qu'une fourchette par repas". Même chose pour Catherine, qui a subi une sleeve en janvier 2012 puis un by-pass l'année suivante.
Mon estomac ne tolérait qu'une très petite quantité de nourriture. A force de vomir, l'acidité m'a bouffé les dents : elles étaient cariées jusqu'à la racine. J'ai dû toutes me les faire arracher.
Catherine, qui a subi une "sleeve" en 2012à franceinfo
Certains patients, bien que ravis de leur perte de poids, décrivent aussi à franceinfo un quotidien bouleversé par les conséquences de l'opération : des troubles physiques, telles que des carences (en fer, calcium ou bien encore en vitamines), la perte de cheveux et le dédoublement des ongles, des vomissements récurrents, la fatigue, les malaises, etc. Difficile, néanmoins, d'évaluer l'ampleur et la gravité de ces désagréments.
D'après les premiers résultats d'une analyse de la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam), communiqués à franceinfo, 15% des patients de chirurgie bariatrique opérés en France, en 2009, ont été de nouveau hospitalisés pour des complications chirurgicales (occlusions, hernies...) au cours des six années qui ont suivi l'intervention, 19% pour des complications digestives non chirurgicales (douleurs, reflux…) et 5% pour complications nutritionnelles graves (des carences notamment). Malgré ces chiffres importants, le taux de mortalité reste faible : en 2016, un an après leur opération, seuls 0,16% des patients sont morts, note l'Igas.
"On ne règle pas le problème de fond"
Après le passage au bloc opératoire, les patients sont aussi confrontés à un défi : s'approprier leur nouveau corps et accepter le regard que le monde pose sur eux. "Des difficultés d'ordre psychologique peuvent apparaître ou s'aggraver, en lien avec les modifications du corps qui ne correspondent pas aux attentes des patients (sentiment de vulnérabilité ou d'étrangeté)", note ainsi l'Igas. C'est le cas de Monique, mère au foyer de 42 ans installée à Montélimar (Drôme). Elle se souvient, pour franceinfo, de la "souffrance" de voir "le poids qui part" après la pose de son anneau gastrique, en 2001.
J'étais habituée à mon visage un peu rond. Dans le miroir, je me suis retrouvée avec des yeux cernés. J'avais l'impression d'être malade.
Monique, qui s'est fait poser un anneau gastrique en 2001à franceinfo
Tous les psychiatres interrogés par franceinfo soulignent que l'opération n'est pas "une baguette magique". "On ne règle pas le problème de fond : la souffrance psychique qu'il y a en dessous du poids", explique ainsi Brigitte Karcher, maître de conférences en psychologie clinique à l'université de médecine de Brest. Après l'opération, "cet écart entre idéal et réalité peut induire, outre une reprise de poids, le développement d'addictions, d'anorexie, de troubles anxieux et dépressifs", abonde l'Igas. La souffrance psychologique peut même aller jusqu'au suicide : plusieurs études notent que le taux de suicide des personnes obèses après intervention est plus important que dans la population obèse non opérée. Et selon la Cnam, 5% des patients opérés en 2009 ont été de nouveau hospitalisés à la suite de complications psychiatriques.
Parmi les témoignages récoltés par franceinfo, Christelle, ancienne commerciale de 37 ans en Charente-Maritime, passée d'une boulimie à une anorexie après sa sleeve, en 2017. "Après des années de frustrations" liées à des régimes inefficaces, elle vit sa perte de poids de 49 kg comme "une délivrance". Mais elle se pèse désormais "six à dix fois par jour" et reconnaît que "la peur de redevenir celle qu'[elle était] est obsessionnelle".
Plus je vois mon poids descendre sur la balance, et plus je veux qu'il descende encore plus.
Christelle, opérée d'une "sleeve" en 2017à franceinfo
De son côté, Aurélie, cadre de 37 ans en région parisienne, a développé des troubles du comportement compulsif "allant jusqu'à des pensées suicidaires", après sa sleeve survenue en 2016. Ses troubles, qui justifient un arrêt maladie de longue durée, se manifestent par un besoin de se doucher "cinq ou six fois par jour", et de "nettoyer entièrement la maison tous les jours, jusqu'à épuisement, jusqu'à ce que j'en tombe". Mais aussi par une addiction grandissante à l'alcool. Un cas courant, selon une étude (en anglais) américaine publiée en 2017 : aux Etats-Unis, plus d'un patient sur cinq souffre d'alcoolisme, cinq ans après une chirurgie bariatrique. "Sur internet, tout le monde dit que l'opération est une renaissance, que c'est merveilleux, déclare Aurélie, deux ans après sa sleeve. C'est vrai, mais ça n'est pas que ça : ça n'est pas du tout un long fleuve tranquille."
Renforcer le suivi des patients
Tous les patients qui ont confié leurs difficultés à franceinfo estiment qu'ils n'ont pas reçu assez d'aide du milieu hospitalier après leurs interventions. "La prise en charge avant opération est très médicalisée, mais ensuite, j'ai eu l'impression d'être lâchée dans la nature", regrette ainsi Christelle. L'ancienne commerciale a décidé, il y a trois mois, d'entamer une psychothérapie pour juguler son anorexie, en plus du suivi diététique prescrit par sa clinique.
Dans l'idéal, tous les patients devraient pourtant bénéficier d'un suivi chirurgical, diététique et psychologique. Mais, en pratique, cela varie selon les établissements. Ainsi, seulement 6 patients opérés sur 10 ont bénéficié d'un bilan pré-opératoire complet, et seules 4 interventions sur 10 ont été décidées par "plusieurs professionnels et fait l'objet d'une communication au médecin traitant", alerte la Haute autorité de santé, dans un rapport paru en 2016. De son côté, la Cnam fait savoir que seuls 30% des patients opérés en 2009 ont été revus en secteur hospitalier cinq ans après leurs chirurgies.
Pour améliorer cette prise en charge, les autorités sanitaires recommandent de mieux encadrer les 500 établissements qui pratiquent la chirurgie bariatrique. En 2016, 40% d'entre eux ont pratiqué moins de 50 opérations (soit une par semaine). Dans ceux-ci, le risque de mortalité est accru, et les équipes ne sont pas assez spécialisées pour réaliser un suivi adéquat. L'Igas propose donc de fixer aux établissements "un seuil minimum compris entre 50 et 100 interventions par an". Mais aussi de "consacrer le rôle pivot du médecin traitant" et de renforcer le dispositif des Centres spécialisés de l'obésité (CSO), label instauré en 2012.
Par ailleurs, les professionnels de santé contactés par franceinfo soulignent l'importance de l'implication du patient après l'opération. "Une fois les gens opérés, certains ne suivent pas le contrat, regrette le chirurgien Jérôme Dargent, président de la Société française et francophone de chirurgie de l'obésité et des maladies métaboliques (Soffcomm). Mais on ne peut pas forcer quelqu'un à vouloir se faire suivre." Pour Christelle, c'est pourtant une nécessité : "Sans suivi diététique et psychologique, c'est l'échec et la rechute totale".
* Tous les prénoms de patients ont été modifiés, à leur demande.
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