Coronavirus : ce que l'on sait et ce que l'on ignore encore sur la transmission du Covid-19
La possible transmission du Covid-19 par de fines particules en suspension dans l'air, évoquée publiquement par des scientifiques lundi, n'est pas le seul aspect sur lequel des zones d'ombre persistent.
"Il est temps de parler de la transmission aéroportée du Covid-19". Par leur lettre ouverte à l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), 239 scientifiques du monde entier ont rappelé, lundi 6 juillet, que la façon dont le nouveau coronavirus se transmet fait encore débat entre les scientifiques, et que de nombreuses zones d'ombre persistent, plus de six mois après son apparition en Chine.
Dans un entretien au Monde (article payant), jeudi, le président du Conseil scientifique, Jean-François Delfraissy, rappelle à quel point la connaissance de ce virus est en perpétuelle évolution : "Il y a des choses qu’on ne connaissait pas en mars qu’on connaît maintenant mieux et qu’on connaîtra encore mieux en novembre." Franceinfo vous résume les principales connaissances et interrogations au sujet de la contamination au SARS-CoV2.
Ce que l'on sait
• On peut être contaminé par des gouttelettes. C'est le mode de transmission le plus connu, celui qui ne fait l'objet d'aucun doute ni débat : les grosses gouttelettes de salive projetées par les porteurs du virus, directement sur quelqu'un, mais aussi sur leurs propres mains ou les surfaces environnantes que d'autres touchent ensuite. Le fait que les gouttelettes entrent en contact avec la peau n'est pas en soi problématique. Toutefois, "le virus va se trouver sur les mains et, quand elles vont toucher la bouche ou les yeux, il va infecter", rappelle à franceinfo Etienne Decroly, chercheur au CNRS et membre de la Société française de virologie. Les grosses gouttelettes sont l'environnement dans lequel le virus "est le plus stable" et survit le mieux, explique-t-il, notamment parce qu'elles sont "moins sensibles à la déshydratation". Une idée qui n'est nouvelle pour personne après des mois de pandémie, mais qui ne doit pas être oubliée, rappelait à franceinfo Xavier Lescure, médecin à l'hôpital Bichat à Paris : "La transmission par les mains est un vecteur clair, et donc il ne faut pas tout braquer sur le masque" en oubliant les autres gestes barrières.
• Le contact rapproché et prolongé avec un malade est la situation la plus dangereuse. Cette idée ne soulève pas non plus de débat. Un contact rapproché avec un malade place à portée des plus grosses gouttelettes, celles dans lesquelles le virus est le plus protégé mais dont le poids ne leur permet que de parcourir une distance limitée. Santé publique France considère comme des "contacts à risque" les face-à-face à moins d'un mètre, ou pendant plusieurs épisodes de toux ou d'éternuement, ainsi que le fait d'avoir partagé un espace clos pendant au moins 15 minutes. Cette notion sert notamment de base aux brigades chargées d'avertir les contacts des personnes testées positives, en France comme ailleurs.
• Il est possible d'être contagieux sans avoir de symptômes. C'est une des particularités de ce coronavirus : contrairement à d'autres, il est possible de le transmettre si on est asymptomatique (porteur sans développer aucun symptôme) ou présymptomatique (porteur avant que les symptômes n'apparaissent), ce qui complique la lutte contre sa propagation. Là encore, la question fait désormais consensus, mais le rôle des asymptomatiques a été nuancé.
[Ils] présentent un niveau de virus bien moins important et jouent donc un rôle moins important qu'on ne l'a cru
Jean-François Delfraissy, président du Conseil scientifiqueà Libération
Un point de vue partagé par l'épidémiologiste Pascal Crépey, qui cite à franceinfo une étude de scientifiques d'Oxford publiée par la revue Science (en anglais) estimant qu'au début de l'épidémie en Chine, les asymptomatiques n'étaient responsables que de 10% des contaminations. Dans une synthèse de plusieurs études, Santé publique France juge cette part difficile à évaluer, mais conclut que, dans un contexte de surveillance active du virus, la moitié des contaminations sont l'œuvre de malades n'ayant pas encore déclaré de symptômes. Ce constat démontre l'importance du respect des consignes même par ceux qui ne se pensent pas contaminés.
• Le virus s'attrape surtout en intérieur. "Les espaces confinés dans lesquels la foule s'entasse" apparaissent aujourd'hui comme le "cœur (...) de la contamination", estime Jean-François Delfraissy dans Libération (article payant). Si elle ne recouvre pas l'ensemble des personnes touchées, la liste des clusters (lieux où au moins trois cas sont recensés en sept jours) publiée chaque semaine par Santé publique France en témoigne : la plupart d'entre eux se trouvent dans les établissements de santé (24,7%) ou d'hébergement comme les Ehpad (14,1%), dans les entreprises (16,8%) et lors de rassemblements familiaux (12,2%). "La Chine a montré que le principal lieu de contamination est le foyer familial" (sans forcément atteindra la taille qui en fait un cluster), explique à franceinfo l'infectiologue Anne-Claude Crémieux. La proximité et la durée d'exposition à un malade potentiel sont ici en cause.
A l'inverse, les transports sont peu touchés, avec seulement quatre clusters mis au jour en France. Par ailleurs, alors que l'ouverture des parcs et des plages a longtemps fait débat, l'épidémiologiste Pascal Crépey note qu'"on n'a, à [sa] connaissance, identifié aucun cluster de contamination en extérieur. Cela peut arriver, mais les espaces confinés sont un facteur de risque plus important". Dans Libération, Jean-François Delfraissy relève que "nous venons de passer le délai de quinze jours après la fête de la musique", où des images de foules compactes dans les rues avaient inquiété, sans qu'aucun rebond de l'épidémie n'ait été observé.
• Le port du masque et le lavage des mains sont utiles. Quelles que soient les incertitudes sur la transmission du virus, une chose est certaine et fait désormais consensus : vous êtes mieux protégé contre le virus en respectant les gestes barrières (se laver les mains et porter un masque).
Quand on se retrouve entre amis ou dans une famille élargie, c'est important de garder des distances suffisantes, de ne pas se faire la bise. Ce n'est pas facile, mais il faut le faire. Et se laver les mains très régulièrement.
Xavier Lescure, médecin à l'hôpital Bichatà franceinfo
Le port de masques "même d'une efficacité modeste" contribue à réduire le taux de contamination, conclut par ailleurs une étude (en anglais) publiée par The Lancet en juin, qui a conduit l'Organisation mondiale de la santé (OMS) à réviser ses recommandations sur le sujet.
Ce que l'on ignore encore
• Si le virus peut être présent dans de fines gouttelettes. C'est le débat du moment. Dans une lettre ouverte dévoilée lundi, 239 scientifiques ont demandé à l'OMS de reconnaître que le virus peut être transmis via de fines gouttelettes en suspension dans l'air. L'organisation n'envisage pas jusqu'ici ce scénario, pas plus que les autorités françaises : "Pas de transmission par l'air", peut-on encore lire jeudi sur le site du gouvernement.
Ces scientifiques n'affirment pas qu'un coup de vent pourrait représenter un facteur de contamination. Cependant, l'être humain, quand il tousse ou parle, émet "de grosses gouttelettes, mais aussi des particules plus fines" qui peuvent aussi porter le virus, explique à franceinfo Francis Allard, un des signataires de la lettre ouverte. Plus elles sont petites, plus celles-ci flottent dans l'air, potentiellement sur "des dizaines de mètres", précisent les scientifiques dans leur lettre. En extérieur, elles se dispersent vite, mais "dans des endroits fermés, si la ventilation est faible, elles peuvent rester longtemps", précise Francis Allard, ingénieur spécialiste de la qualité de l'air intérieur à l'université de La Rochelle. Une étude américaine en laboratoire publiée en avril dans The New England Journal of Medicine (en anglais) a estimé à trois heures la durée de vie du nouveau coronavirus à l'état de particules dans l'air. Il a également été retrouvé dans l'air de chambres d'hôpital en Chine, comme l'avait rapporté le New York Times (en anglais), en avril.
• Si ces fines gouttelettes suffisent à contaminer. Plus petites, elles contiennent en effet moins de virus. Mais les scientifiques qui lancent l'alerte citent plusieurs exemples où la contamination par l'air apparaît à leurs yeux "comme la seule explication plausible". Le cas d'un restaurant, en Chine, où un malade a contaminé d'autres convives assis à des tables éloignées, a été étudié par des chercheurs chinois (en anglais), dans un article qui n'a néanmoins pas fait l'objet d'une relecture scientifique par une revue. "C'est une hypothèse intéressante parce qu'elle correspond à la réalité de l'épidémie", estime Anne-Claude Crémieux.
Elle expliquerait pourquoi on a observé dans presque tous les pays des événements de contamination massive qui étaient à chaque fois des rassemblements importants (festifs, sportifs, religieux) dans des lieux clos...
Anne-Claude Crémieux, infectiologueà franceinfo
On sait également que cette voie de contamination est possible pour d'autres virus comme la grippe ou le MERS.
"Ce n'est pas parce qu'on trouve quelques cas qu'on prouve une vérité générale", répond Pascal Crépey. "Il est très compliqué en épidémiologie de démontrer de façon certaine la causalité" qui expliquerait une contamination, puisqu'il est impossible, évidemment, d'organiser des expériences sur des cobayes humains. Des chercheurs ont en revanche observé le phénomène chez des hamsters, dans une étude hongkongaise publiée par Nature (en anglais) en mai dans une version non éditée. Etablir s'il s'agit d'un mode de contamination exceptionnel ou courant s'avère également très compliqué.
Les 239 scientifiques interpellant l'OMS le reconnaissent eux-mêmes : "Les preuves sont incomplètes". Toutefois, ils estiment le scénario suffisamment plausible pour justifier un principe de précaution, d'autant plus que cette hypothèse ne ferait que renforcer l'importance donnée au port du masque, et à la ventilation avec de l'air extérieur. Mardi, l'OMS a assoupli sa position, affirmant que la possibilité d'une contamination par l'air ambiant "ne peut pas être exclue". L'organisation doit mener une revue des connaissances, qui pourrait déboucher sur une évolution de ses recommandations.
• Quelle est la bonne distance à respecter. L'hypothèse d'une contamination par l'air amène une interrogation : faut-il revoir la recommandation d'une distance d'un mètre entre les personnes en France ? "La conséquence logique est d'admettre que cette distance peut être insuffisante", répond Anne-Claude Crémieux. Selon elle, ce "dogme" a déjà été mis à mal en constatant les choix d'autres pays. Ainsi, aux Etats-Unis, les autorités recommandent six pieds, soit un peu moins de deux mètres.
"La distance d'un ou deux mètres recommandée par la plupart des hôpitaux se base sur des conclusions dépassées datant des années 1940", tranche même une étude publiée en juin par The Lancet (en anglais), d'après laquelle certaines grosses gouttelettes peuvent atterrir jusqu'à huit mètres de leur émetteur. Pour autant, les auteurs ne jugent pas la distance d'un mètre inutile : elle réduit le risque de contamination de 82%, assurent-ils. Reste que la protection est encore plus efficace quand on s'éloigne d'un mètre supplémentaire, au moins jusqu'à trois mètres, affirment les chercheurs. En somme, quel que soit le chiffre choisi par les autorités, il s'agit toujours d'un indicateur. Les principales certitudes sont qu'un mètre constitue un minimum et qu'une plus grande distance n'offre que des bénéfices.
• S'il existe des "supercontaminateurs" du virus, et pourquoi. La progression du Covid-19 s'explique en partie par des événements de contamination massive, comme le rassemblement évangélique de Mulhouse (Haut-Rhin), où on estime qu'un millier de participants ont été contaminés. Serait-ce lié à des individus plus contagieux que d'autres ? Les avis des scientifiques interrogés par franceinfo divergent. "A mon sens, ce sont plutôt des éléments de contexte qui favorisent la propagation", estime Pascal Crépey. A Mulhouse, outre le rassemblement de milliers de personnes dans un espace clos, "on peut facilement imaginer qu'il y a eu des chants" propices à l'émission plus importante de gouttelettes portant le virus.
Etienne Decroly, lui, affirme que les individus "supercontaminateurs" existent bel et bien, pour des raisons méconnues mais "probablement plutôt liées à leur système immunitaire", qui permettrait au virus de se développer plus facilement. Plusieurs médecins français expliquaient, dans un article publié en avril par les Archives des maladies professionnelles et de l'environnement, qu'il y a des "super-émetteurs" de particules, qui projettent des particules contaminantes en quantité plus importante. "L'existence de supercontaminateurs est confirmée, mais on ne sait pas pourquoi ils le sont, ni, surtout, les identifier", explique le président du Conseil scientifique Jean-François Delfraissy dans Libération jeudi. "Le risque est là : dans un rassemblement avec des supercontaminateurs."
• Pourquoi certains intérieurs semblent plus dangereux que d'autres. Les contaminations massives se produisent plutôt dans certains types d'endroits, mais il n'est pas évident de comprendre pourquoi. L'épidémiologiste Pascal Crépey prend l'exemple des abattoirs, où sont apparus de nombreux foyers en France, et un particulièrement massif en Allemagne. "Est-ce que l'air brasse en continu du virus parce que les abattoirs sont mal ventilés ?", s'interroge-t-il.
Est-ce qu'il résiste mieux dans les parties réfrigérées d'un abattoir ? Est-ce l'humidité qui détériore les masques ? Il y a beaucoup de bruit : les employés sont-ils obligés de se rapprocher et de crier pour se parler ? Ou est-ce lié aux conditions de vie et d'accès aux soins de ces ouvriers, qui les rendraient plus vulnérables ?
Pascal Crépey, épidémiologisteà franceinfo
Face à une telle avalanche de facteurs, tous plausibles et qui peuvent se compléter, de nombreuses incertitudes demeurent. "Face à un nouveau virus, on ne doit pas vivre sur des certitudes", ajoute Anne-Claude Crémieux. Si l'observation permet de constater que les milieux clos et mal ventilés sont plus dangereux que l'extérieur, "la vérité est qu'on est incapable de dire ce qui se passe vraiment, et de mesurer exactement le risque", indique l'infectiologue.
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