Les participants à la Fête de la musique ont-ils pris le risque de relancer la propagation du coronavirus ?
Les images de foules compactes dimanche soir, notamment à Paris, ont suscité des réactions indignées sur les réseaux sociaux.
Tout sourire, une foule joyeuse et compacte a dansé, rue de Paradis, dans le 10e arrondissement. Elle célébrait la Fête de la musique, dimanche 21 juin, à Paris. Mais toutes les personnes qui se sont réunies ont-elles pris des risques inconsidérés, pour elle-même et pour les autres ?
Interrogé à ce sujet lundi 22 juin, le ministre de la Culture, Franck Riester, a reconnu qu'"ici ou là", l'interdiction d'"occupation spontanée du domaine public" à plus de dix personnes n'avait pas été respectée. Tout en ajoutant que, "globalement à l'échelle du territoire", les mesures sanitaires pour la Fête de la musique avaient "été respectées".
Sur les réseaux sociaux, en revanche, certaines images ont provoqué l'indignation de nombreux internautes, qui craignent que l'épidémie de coronavirus ne reparte en France. Qu'en disent les spécialistes ? Les danseurs parisiens ont-ils mis leur santé (et celle des autres) en danger ?
"En Corée du Sud, il s'agissait d'endroits fermés"
Premier élément de réponse : "Il est très probable que les risques en extérieur soient bien inférieurs à ce qu'ils sont en intérieur", a expliqué le professeur Eric Caumes, chef du service des maladies infectieuses et tropicales de la Pitié-Salpêtrière, lundi sur franceinfo. Médecin infectiologue dans ce même service, Alexandre Bleibtreu explique pourquoi les contaminations semblent moins fréquentes à l'air libre :
On sait que plus le volume d'air par personne est important, et plus l'air se renouvelle, moins le virus aurait des chances de se transmettre.
Alexandre Bleibtreuà franceinfo
"Mais on ne peut pas l'affirmer de façon tranchée", ajoute-t-il. Pour la bonne et simple raison qu'il n'y a, à sa connaissance, aucune d'étude sur le sujet. "On ne trouve pas grand-chose dans la littérature scientifique sur des contaminations qui auraient eu lieu à l'extérieur, précise-t-il à franceinfo. Il n'y a pas de données solides. Pour documenter des transmissions, il faut au départ repérer l'endroit commun où des gens se sont contaminés. On connaît l'exemple, en Corée du Sud, de cette personne qui avait fait la tournée des bars et des boîtes de nuit en contaminant des dizaines de personnes à Séoul. Mais il s'agissait d'endroits fermés."
"Le risque dépend de plusieurs paramètres"
Si les risques semblent moindres à l'extérieur, ils ne sont pas inexistants. Petit rappel signalé dans cet avis du Haut Conseil de la santé publique d'avril 2020 : "Les données actuelles suggèrent que le Sars-CoV-2 se transmet principalement par des gouttelettes. (...) La transmission de personne à personne se produit lorsqu'une personne infectée émet des gouttelettes contenant des particules virales en toussant, en éternuant et en parlant." Ce qui est possible à l'expérieur comme à l'intérieur.
Dans un contexte festif, "on sait que si on postillonne, si on s'embrasse, si on partage un verre, il y a un risque de partage de sécrétions entre l'individu A et l'individu B, avec la possibilité de développer le virus si l'un des deux est contaminé", détaille Alexandre Bleibtreu. "Prenons un autre exemple : si hier [dimanche 21 juin] quelqu'un dansait rue de Paradis à proximité de quelqu'un de contaminé, qu'est-ce qu'il risquait ? Ça dépend du type de contact, si on danse collé l'un contre l'autre ou pas. Ça dépend du volume d'air, de la distance, du temps passé ensemble... Tous ces paramètres font que le risque est plus ou moins grand."
Sans oublier "les conditions atmosphériques", complète le docteur Fréderic Tanguy, responsable du laboratoire innovation de l'Institut Pasteur. "Même s'ils sont dispersés, les postillons peuvent dépasser les 2 mètres s'ils sont portés par le vent. Et l'humidité et la pression atmosphérique jouent aussi... Oui, il y a un risque de transmission si les gens se touchent, postillonnent, éternuent, dans une foule dense en plein air."
"On stigmatise mais ce n'est pas ça le problème"
Plutôt jeunes, les fêtards de dimanche soir ne font pas, a priori, partie des personnes les plus à risque. Ils peuvent néanmoins être vecteur du virus, alors que la pandémie s'accroît presque partout dans le monde, à l'exception de l'Europe. "Il y a plus d'un million de nouveaux cas dans le monde ces derniers jours, ça frappe énormément. Si on veut éviter une deuxième vague inévitable, il faut prendre des précautions", assure Frédéric Tanguy. Mais dans le cas particulier de la Fête de la musique, il admet : "On ne peut pas obliger les gens à aller au bal masqués".
"On ne peut pas reprocher aux gens de se relâcher, estime pour sa part Alexandre Bleibtreu. On stigmatise, mais ce n'est pas ça le problème. Quand ils sortaient pendant le confinement dix minutes de plus qu'autorisé, les gens apparaissaient comme des dangereux criminels. Là, on stigmatise à nouveau la population alors qu'elle n'y peut rien si la crise a été mal gérée. Bien sûr, ce n'est pas très malin de se mettre dans une ruelle pour danser dans une foule compacte, mais toutes les épidémies sont suivies de relâchement, de fêtes trompe-la-mort."
La vraie question, c'est : si jamais on n'avait un grand nombre de cas, est-ce qu'on peut désormais dépister, protéger et isoler la population, contrairement à ce qui s'est passé au début de l'épidémie en France ?
Alexandre Bleibtreuà franceinfo
Et l'infectiologue juge que la réponse est oui, en terme de tests, masques et capacités hospitalières. Frédéric Tanguy conclut : "Bien sûr, il y a des comportements de société à modifier, mais sans devenir facho. Chacun doit se sentir concerné."
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