Coronavirus : quatre questions sur les brigades chargées de retracer les contacts des malades après le déconfinement
Ces équipes sont jugées indispensables par le Conseil scientifique. Elles se chargeront d'appeler les personnes ayant côtoyé de façon proche les malades du Covid-19, pour les encourager à se faire tester et à se confiner.
Elles ont moins de deux semaines pour se mettre en place. Mardi 28 avril, devant l'Assemblée nationale, le Premier ministre a annoncé, dans le cadre du plan de déconfinement, la création de brigades chargées d'aider à "casser les chaînes de contamination". Un élément clé, réclamé notamment par le Conseil scientifique, pour éviter que l'épidémie ne reparte de plus belle.
Concrètement, ces équipes seront chargées d'interroger les malades testés positifs au Sars-CoV-2 sur leurs activités, afin de retrouver les personnes avec qui ils ont été en contact et de placer ces dernières en isolement, le temps qu'elles soient testées à leur tour. Franceinfo fait le point sur le fonctionnement de ces brigades et sur leur efficacité potentielle.
1Quel sera le rôle de ces équipes ?
Les brigades devront rechercher les "cas contacts", les personnes ayant été suffisamment proches des malades confirmés pour risquer d'avoir été contaminées et de contaminer à leur tour. Elles interviendront en deuxième rideau dans cette mission. La "première ligne", a expliqué Edouard Philippe mardi, sera composée des professionnels de santé libéraux, en particulier les généralistes, à qui il appartiendra de rechercher les contacts "pour tout ce qui concerne la cellule familiale". Quand un de ses patients sera testé positif, "le médecin généraliste va remplir les noms et coordonnées" des membres de sa famille "dans une application dédiée", détaille à France Bleu Occitanie le directeur général de la Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Haute-Garonne, Michel Davila.
Ces coordonnées remonteront alors aux fameuses brigades, pilotées par les CPAM de chaque département. A elles de contacter les personnes recensées par les généralistes, mais aussi d'assurer "la démultiplication de cette démarche d'identification des cas contacts au-delà de la cellule familiale", a résumé mardi le Premier ministre. C'est-à-dire toutes les personnes croisées hors du domicile du malade pendant une durée suffisante à une contamination.
Pour cela, ces équipes recontacteront le patient pour l'interroger sur ses activités récentes, "jusqu'à 48 heures avant l'apparition des symptômes", précise à Ouest-France le directeur général de la CPAM du Morbihan, Mohamed Azgag. Elles disposeront pour cela de "critères précis, une batterie de questionnaires élaborés par Santé publique France", explique-t-il. On ne sait pas encore précisément quelles questions seront posées, mais l'épidémiologiste Pascal Crépey donne des exemples au Figaro : "Combien de temps avez-vous passé à discuter ? A quelle proximité étiez-vous ? Portiez-vous un masque ?" La coopération avec ces enquêteurs sanitaires, bien que fortement conseillée, ne sera pas obligatoire, assure à France Bleu Occitanie le président du conseil de l'ordre des médecins du Tarn, Etienne Moulin.
Si quelqu'un ne veut pas parler de ses contacts, on n'y pourra rien, on n'est pas en Chine.
Etienne Moulinà France Bleu
Une fois la liste des contacts du malade établie, ces brigades auront aussi pour rôle de tous les contacter, dans un délai maximum de 24 heures, selon la CPAM de Haute-Garonne. Ainsi prévenues du risque qu'elles soient contaminées (sans que l'identité du malade leur soit révélée), ces personnes seront alors invitées à se faire tester, même si elles ne présentent pas de symptômes, et à se confiner. En Ile-de-France, où l'AP-HP a mis en place un dispositif semblable, les équipes peuvent même se déplacer à domicile pour dépister tout un foyer – un fonctionnement dont on ignore s'il sera généralisé. Les brigades vérifieront, enfin, si les tests ont bien été effectués et si le confinement est effectivement appliqué.
2Qui va les composer ?
C'est une question cruciale, car cette méthode demande d'importants moyens humains. Ceux-ci seront en premier lieu fournis par l'Assurance maladie elle-même, qui compte, selon Le Figaro, environ 5 000 enquêteurs téléphoniques. Ils seront formés à ces démarches par les agences régionales de santé et par Santé publique France.
Ils pourront être appuyés par des employés de centres communaux d'action sociale (CCAS), de mairies, de départements ou encore d'associations comme la Croix-Rouge, selon des partenariats qui se noueront au niveau local. Dans le Morbihan, par exemple, le directeur général de la CPAM explique à Ouest-France que celle-ci fera "sans doute appel à [ses] partenaires naturels" comme les CCAS, la Caisse d'allocations familiales et la sécurité sociale agricole (MSA). Dans le Tarn, en revanche, le président du conseil de l'ordre des médecins pense que les CCAS et la Croix-Rouge "ne seront mobilisés que pour les personnes en grande fragilité".
Les besoins mobilisés devraient dépendre des situations locales. "On considère que pour une personne positive, il faut un agent", estime Mohamed Azgag, de la CPAM du Morbihan. Dans son département, peu touché, il table sur "plusieurs dizaines" d'enquêteurs, mais il explique à Ouest-France que le nombre exact n'a pas encore été déterminé. En Haute-Garonne, Michel Davila compte mobiliser entre 60 et 80 employés de la CPAM. Dans les deux cas, les brigades devront sans doute fonctionner tous les jours de la semaine, sur des amplitudes horaires conséquentes, pour parvenir à contacter tout le monde dans un court délai. Mais avant toute chose, ces enquêteurs, n'étant pas médecins, devront être autorisés à participer à ce processus par une nouvelle loi, a expliqué Edouard Philippe mardi. Il s'est engagé à la présenter samedi en Conseil des ministres, avant de la soumettre aux députés et sénateurs la semaine suivante, juste à temps pour le 11 mai.
3Est-ce une méthode efficace ?
Le suivi des cas contacts est une méthode éprouvée, comme le rappelle le Conseil scientifique dans son avis du 20 avril : "L'application d'un tel dispositif a permis de contrôler des épidémies telles que celles du Sras, du Mers-CoV et d'Ebola", et a "montré son efficacité sur le terrain en Corée mais aussi en Norvège" pour juguler l'épidémie de Covid-19. Les scientifiques jugent sa mise en place "indispensable" après le déconfinement. Des enquêtes de terrain avaient d'ailleurs été utilisées en France au début de l'épidémie, via un dispositif plus simple mis en place par Santé publique France, pour remonter les chaînes de contamination des premiers foyers comme celui des Contamines-Montjoie. Elles avaient été abandonnées, de même que les tests systématiques, lors du passage à la phase 3 de l'épidémie, conformément aux recommandations de l'OMS, a justifié Edouard Philippe mardi.
Certaines conditions sont cependant nécessaires pour que cette stratégie fonctionne. Il faut, bien sûr, que la capacité de tester promise par le gouvernement soit effective : sans malades dépistés, il n'y aura aucun cas contact à retrouver. Il faut aussi que les enquêteurs soient en nombre suffisant. Dans un entretien au Monde (article abonnés), le 26 avril, le président du Conseil scientifique, Jean-François Delfraissy, estimait que "vu la taille de notre pays, il faut tabler sur environ 30 000 personnes" pour composer les brigades d'enquêteurs. "Sans cela, cela ne marchera pas", assurait-il. Rappelant qu'ils sont 20 000 en Corée du Sud, pays de moins de 52 millions d'habitants contre 67 millions en France, et qui compte beaucoup moins de cas à surveiller.
Un autre écueil a été évoqué par le Premier ministre à l'Assemblée : ces enquêtes "se heurtent parfois, dans les centres urbains, à l'impossibilité de reconstituer les chaînes de transmission dans les lieux plus denses, notamment les transports en commun". Si un malade a pris le métro ou fait la queue longtemps au supermarché avant d'être dépisté, il a pu être en contact proche avec des personnes qu'il ne connaît pas, et qu'il sera difficile de retrouver.
4Quel est le rôle de l'application StopCovid dans ce dispositif ?
Cette appli n'a pas forcément été pensée pour fonctionner seule. Les pays qui emploient déjà une application similaire (Singapour) ou d'autres moyens de traçage numérique des malades (comme la Corée du Sud) conjuguent tous les outils technologiques avec des moyens humains d'enquête similaires aux brigades que la France veut mettre en place.
Reste que l'application est pensée par le gouvernement comme un autre élément de cette stratégie, susceptible notamment d'aider à retracer les contacts avec des inconnus. Mais il semble de plus en plus improbable qu'elle soit disponible d'ici au 11 mai. "Je serais bien en peine de vous dire si elle marche, et comment elle fonctionnera précisément", a ainsi reconnu Edouard Philippe devant les députés. Outre les obstacles techniques qui rendent la concrétisation du projet incertaine, il se heurte aux objections éthiques de certains observateurs, notamment au sein de la classe politique. Mardi, le Premier ministre a promis que l'application ferait l'objet d'un autre débat et d'un vote à l'Assemblée.
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