Faux certificats, fabricants inconnus... Les masques arrivent en France, mais sont-ils conformes aux normes ?
Le gouvernement annonce pouvoir satisfaire aujourd’hui les besoins en masques du système de santé face au coronavirus. Mais quelles garanties prennent les autorités françaises sur la qualité du matériel importé ? De nombreux éléments jettent le doute sur le sérieux de certains fournisseurs et importateurs.
"Les importations en provenance de Chine ont pu reprendre. (…) Cette semaine, nous avons réussi à importer beaucoup plus de masques que ce que nous consommons en ce moment". Lors de sa conférence de presse dimanche 19 avril, Édouard Philippe a semblé expliquer que l’État avait résolu - au moins provisoirement - ses problèmes d’approvisionnement en masques pour le personnel médical, FFP2 ou masques chirurgicaux. Pourtant, ni le Premier ministre ni son ministre de la Santé, Olivier Veran, n’ont abordé le sujet de la qualité des masques qui arrivent en France. Ni cette question : comment les services de l’État s’assurent-ils que les équipements de protection qu’ils livrent aux personnels soignants sont bien conformes aux normes en vigueur ?
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Récemment, plusieurs pays européens, notamment la Belgique, les Pays-Bas ou la Finlande ont eu la désagréable surprise de recevoir des cargaisons de masques inutilisables dans des conditions de sécurité satisfaisantes. En France, plusieurs acteurs du marché ont confirmé à la cellule investigation de Radio France que des entreprises ont connu pareille mésaventure : "Un client est venu vers nous pour voir si nous pouvions lui trouver des masques fiables", explique-t-on chez Sourcing Force, une société lyonnaise spécialisée dans la recherche de fournisseurs chinois. "Sur la cargaison qu’il venait de recevoir, un quart était conforme, mais le reste était de très mauvaise qualité."
Autre spécialiste du "sourcing" (recherche de fournisseurs) sur le marché chinois, Camille Verchery, le PDG de VVR international a été sollicité par l’agence publique Business France pour sécuriser les approvisionnements en masques et en blouses. "En janvier, face à l’explosion des besoins de la Chine en équipements de protection individuels (EPI) à usage médical, explique-t-il, l’État chinois a mis sous contrôle les fabricants chinois, notamment les usines certifiées CE, afin qu’elles produisent pour les besoins de la Chine. Malheureusement, le besoin étant toujours supérieur à l’offre chinoise, de nombreuses usines non spécialisées se sont mises à produire des EPI à usage médical, sans véritable expérience. Dans cette catégorie, on trouve absolument de tout. J’ai eu une cinquantaine de demandes d’entreprises françaises qui m’ont présenté des offres qui leur étaient faites par des producteurs de masques. Dans la quasi-totalité des cas, nous avons conclu que le matériel n’était pas fiable."
Des documents de certification falsifiés
Pour attirer le client, certains de ces "nouveaux" producteurs n’hésitent pas à falsifier des documents censés attester de la conformité de leurs masques. Depuis quelques semaines, plusieurs organismes de certification émettent des alertes à la suite de la diffusion de faux certificats de conformité à la norme CE. L’un d’entre eux, GTS, basé en Chine, a constaté qu’un document actuellement utilisé par un producteur pour vendre des masques avait été en réalité émis pour certifier un thermomètre médical.
Au niveau européen l’ESF (European Safety Federation), qui réunit une bonne partie des acteurs du marché de la protection a recensé des dizaines de faux certificats en circulation. Son représentant français, le Synamap fait le même constat : "On retrouve quelque chose qu’on avait déjà connu lors de la crise du H1N1, explique son président, Renaud Derbin. Les fournisseurs habituels ayant disparu, c’est un peu comme si on achetait à l’aveugle. Je connais deux de nos adhérents, gros importateurs de matériel, qui ont renoncé à faire venir des masques de Chine, parce que là, ce n’est plus possible de savoir ce que l’on achète." Parmi les faux certificats que nous avons pu obtenir, l’un renvoie vers un fabricant de soutiens-gorge chinois, qui annonce pouvoir fournir des masques FFP2 réglementaires.
Côté français, le seul organisme autorisé à certifier des dispositifs médicaux (donc les masques chirurgicaux, mais pas les FFP2, considérés comme équipements de protection), le GMED, n’a vu qu’un seul faux certificat portant son logo depuis le début de la crise. "Il vaut mieux faire appel à un mandataire installé sur le territoire européen plutôt que s’adresser directement aux producteurs de masques, et bien contrôler la documentation. En général ceux qui se sont fait piéger ne connaissent pas bien la réglementation", explique son président, Lionel Dreux. "Le rôle de l’importateur est déterminant, renchérit Pierre Lebon, le directeur de l’Asqual, un organisme qui effectue des tests dans le cadre des certifications d’EPI. Normalement c’est lui qui doit servir de filtre et garantir que les produits sont bien conformes."
Consciemment ou non, certains de ces intermédiaires fournissent également des certificats qui, bien qu’authentiques et en ayant toutes les apparences, ne garantissent pas en réalité que l’équipement est bien conforme à la réglementation européenne. La cellule investigation de Radio France a pu le constater à au moins cinq reprises, soit en nous faisant passer pour des acheteurs auprès d’intermédiaires, soit au travers de documents qui nous ont été fournis par de vrais acheteurs, et qui leur avaient été envoyés par des importateurs.
Ces certificats, portant la marque CE ont été délivrés par des organismes de certification parfois bien connus sur le marché. Mais en réalité, ces certificats ne reposent que sur l’examen d’un dossier technique, envoyé par un producteur situé à 7 500 km du contrôleur. Nous avons interrogé l’émetteur de l’un d’entre eux, ECM, une société italienne qui n’est pourtant pas autorisée à certifier des équipements de sécurité. "Il s’agit d’un certificat établi à la demande du producteur, nous a-t-elle expliqué. Nous intervenons comme consultants indépendants. Il faut le voir comme une première étape pour obtenir la certification CE. Nous ne pouvons pas être tenus responsables d’un mauvais usage de ce document."
Ces dernières semaines, ces "vrais-faux" certificats se sont multipliés sur le marché. "Déontologiquement, c’est très discutable comme procédé, mais on sait que ça se fait", explique sous couvert d’anonymat un professionnel de la certification français, qui fulmine : "Certains jouent avec le feu". L’un de ces organismes, le polonais ICR Polska, a annoncé fin mars qu’il ne délivrerait plus ce type de certificats dorénavant. "Vous avez en Europe des organismes où n’importe qui peut certifier n’importe quoi, se désole Renaud Derbin. C’est déjà vrai en temps normal, alors en ce moment…" Camille Verchery confirme : "Face à l’explosion des besoins en Europe, certains de ces fabricants ont acheté des certificats CE de complaisance à certains organismes peu regardants."
La course aux certificats semble battre son plein. "Je reçois dix demandes de dossiers par jour, explique Pierre Lebon, de l’Asqual, alors que nous ne sommes pas autorisés à délivrer des certificats, mais les nouveaux acteurs connaissent mal la réglementation. En général, il faut trois à cinq mois pour un processus de certification complet, alors quand vous voyez un certificat qui vient tout juste d’être émis, il faut être prudent."
Des masques à la qualité douteuse
Pour autant, ces masques non certifiés sont-ils de mauvais produits ? Pas nécessairement, considère la Fédération européenne de sécurité (EFS) qui explique dans une note à ses adhérents : "Il est possible que ces masques offrent la protection annoncée, même si les documents ne sont pas conformes. En tout état de cause, il conviendra de les tester." C’est ce qu’a fait la région Île-de-France qui a commandé 30 millions de masques, dès le 21 mars, directement auprès de producteurs chinois. L’un d’eux, Wensli, est une société qui n’était connue jusque-là que pour fabriquer des écharpes de soie. Dans un reportage tourné par la télévision nationale chinoise, son PDG raconte comment il a transformé une chaîne de production textile. À leur arrivée, les masques Wensli ont été pris en charge par l’Agence régionale de santé (ARS) qui les a confiés au laboratoire national d’essais. Verdict : ces masques offrent une protection conforme aux exigences européennes.
Pour autant, tous les masques qui entrent sur le territoire français sont-ils testés et notamment ceux qui sont distribués aux personnels soignants dans les hôpitaux ? Plusieurs soignants ont fait part à la cellule investigation de Radio France de leurs doutes quant à la qualité du matériel qui leur était parfois distribué. "D’emblée visuellement, ça ne se voit pas forcément, explique Aglawen Vega, infirmière à l’hôpital Cochin et élue CGT. Mais sur les masques chirurgicaux, vous avez une barrette en métal qui doit assurer l’étanchéité au niveau du nez, et sur certains masques, ça part dès les premières minutes. Ça avait dû m’arriver une fois en dix ans, là, c’est arrivé plusieurs fois, ça dépend vraiment des lots de masques. De toutes façons, on ne sait plus d’où ils viennent. On est rationnés. Les masques sont distribués dans des enveloppes à nos noms."
À l’hôpital Henri Mondor de Créteil, son collègue Éric Tricot, infirmier anesthésiste, et délégué Sud, a aussi remarqué des changements de qualité sur le matériel qu’il utilise depuis le début de la crise. "Certains masques FFP2 qu’on utilise en bloc sont très inconfortables, explique-t-il. D’autres ont un format trop petit, je dois privilégier la bouche ou le nez, ce qui est quand même gênant. Il faut que je les replace sans cesse. Incontestablement, ce n’est plus le même matériel."
Ces masques ont-ils été fabriqués par un producteur référencé ? Étaient-ils certifiés ? Testés ? L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), qui est responsable de leur conformité, n’a pas répondu à nos questions malgré nos nombreuses relances. Même silence au ministère de la Santé. L’ARS Île-de-France nous a expliqué que les seuls tests qu’elle avait fait diligenter étaient ceux qui avaient été demandés par la région Île-de-France. De son côté, le Laboratoire national d’essais (LNE) confirme avoir effectué des tests sur des masques mais ne communique ni sur ses commanditaires, ni sur leurs résultats.
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