Covid-19 : ce que nous apprend la campagne de vaccination massive en Israël sur l'efficacité du vaccin
L'Etat hébreu présente aujourd'hui la plus grande couverture vaccinale du monde à la faveur d'un accord avec le groupe Pfizer pour fournir des données médicales sur l'efficacité de son produit en échange de millions de doses.
L'optimisme est de mise en Israël. L'Etat hébreu a lancé, il y a deux mois, une campagne de vaccination à l'ampleur inédite dans le monde : le pays ambitionne de vacciner tous les habitants de plus de 16 ans (6,4 millions de personnes sur une population de 9 millions) d'ici à la fin du mois de mars, mais près de 3 millions de personnes ont déjà reçu deux doses du vaccin Pfizer-BioNTech, selon les données actualisées jour après jour par le ministère de la Santé israélien.
La situation épidémique en Israël est donc scrutée de près, car le pays a conclu un accord avec le laboratoire Pfizer : des millions de doses de vaccin en échange de données médicales sur l'efficacité de son produit. La première étude de grande ampleur a d'ailleurs été publiée dans le New England Journal of Medecine (en anglais), mercredi 24 février, et elle livre un tableau très encourageant sur le bénéfice de la vaccination.
Le vaccin permet d'éviter de développer une forme grave du Covid-19
Cette étude menée par des experts indépendants analyse les données de la Clalit, la plus grande des quatre caisses d'assurance-maladie israélienne. Elle compare un groupe de près de 600 000 personnes vaccinées entre le 20 décembre et le 1er février avec un autre groupe de même taille non vacciné. Verdict ? Le vaccin de Pfizer-BioNTech est efficace à 46% après la première dose et à 92% après la seconde dose pour prévenir les infections. La vaccination permet aussi d'éviter à 87% les hospitalisations et à 92% les cas graves.
C'est donc le principal enseignement de cette étude parue dans le New England Journal of Medecine : l'efficacité mesurée dans la population israélienne vaccinée correspond aux résultats des essais cliniques de phase 3 menés par Pfizer et BioNTech. "Il s'agit de la première preuve validée par les pairs de l'efficacité d'un vaccin dans les conditions du monde réel", résume Ben Reis, l'un des co-auteurs de cette étude, interrogé par l'AFP.
Ces dernières semaines, plusieurs documents avaient déjà envoyé des signaux positifs. Le ministère de Santé avait annoncé dans un rapport que le vaccin de Pfizer-BioNTech permettait de prévenir les formes graves du Covid-19 à 99,2%. Les caisses d'assurance-maladie Clalit et Maccabi avaient également publié des données encourageantes, fin janvier, et une correspondance parue récemment dans The Lancet (en anglais) suggérait déjà une bonne efficacité après une seule dose du vaccin de Pfizer.
"Je suis agréablement surpris", résumait alors le professeur Cyrille Cohen, de l'université Bar-Ilan de Tel Aviv, interrogé par franceinfo avant cette publication, sur la foi des données ministérielles. "Il arrive parfois que ces données d'efficacité des essais cliniques diminuent un peu quand le vaccin arrive dans la population." Même enthousiasme pour l'épidémiologiste Mahmoud Zureik, professeur à l'université de Versailles, qui saluait déjà des premiers résultats d'efficacité "très encourageants" avant la publication de l'article du New England Journal of Medecine.
La tension hospitalière diminue et les admissions en réanimation baissent
En toute logique, le professeur observe désormais une amélioration sensible, et bienvenue, de la situation dans les hôpitaux du pays. "Le mois de février avait été très dur pour Israël, raconte Mahmoud Zureik, avec une saturation des équipes médicales et une déprogrammation de certaines interventions non urgentes." Mais cette baisse des admissions coïncide également avec des mesures strictes de confinement ; elle ne suffit pas pour mesurer les effets de la campagne de vaccination. Pour se faire une idée, il faut donc comparer la catégorie des plus de 60 ans – ciblée en priorité et donc de manière plus précoce – avec les autres catégories.
Force est de constater que les efforts ont payé. Le 11 février, pour la première fois depuis le début de l'épidémie, le chercheur Eran Segal, analyste de données au Weizmann Institute de Tel Aviv, observait un nombre hebdomadaire d'hospitalisations plus élevé chez les moins de 60 ans que chez les plus de 60 ans. "On pense que cette différence s'explique par la vaccination parce que les moins de 60 ans ont commencé à être vaccinés plus tard", expliquait alors le chercheur à France 2.
Israel: For the first time in the pandemic, there were fewer COVID-19 hospitalizations this week in the 60 y/o and older age group than in the 60 y/o and younger age group
— Eran Segal (@segal_eran) February 11, 2021
The 60 y/o and older were first to vaccinate and 91% of them have been infected or vaccinated to date pic.twitter.com/adbHlQE8hx
Cet écart entre les deux populations suggère un effet important de la vaccination. La situation n'est pas simplement inédite sur la période, mais elle diffère également de "ce qui avait été observée lors des deux premières vagues en Israël", souligne Mahmoud Zureik. Si le nombre de personnes âgées hospitalisées était évidemment plus haut que pour les moins de 60 ans, les deux courbes évoluaient en revanche de manière parallèle dans le temps. "Or, on note cette fois-ci une divergence, un contraste" au bénéfice du public vacciné en priorité. Cette divergence apparaît clairement dans cette récente visualisation d'Eran Segal, qui compare le nombre de cas graves par tranche d'âge, lors du deuxième (à droite) et du troisième confinement (à gauche).
Israel: Strong & clear vaccine effects
— Eran Segal (@segal_eran) February 23, 2021
2nd lockdown (no vaccines): Drop across age groups occurred at similar times
3rd lockdown (+ vaccines): Drop in cases, positivity rate, and severe illness was ordered from the oldest to the youngest age group, matching order of vaccination pic.twitter.com/O3RDXzzbK6
A mesure que la campagne de vaccination s'étend à toute la population israélienne, ces courbes devraient diminuer en conséquence pour les autres catégories d'âge. Mais l'effet n'est pas immédiat. Il faut compter environ "un mois et demi ou deux" pour observer les premiers effets, observe Cyrille Cohen, car plusieurs éléments doivent être pris en compte (délai de la réponse immunitaire, schéma à deux doses, durée de l'infection éventuelle, masse critique de personnes vaccinées).
On ne sait pas encore si le vaccin empêche de transmettre le virus
C'est l'une des principales inconnues sur la vaccination. Permet-elle de réduire les cas de transmission du virus ? Et si oui, dans quelle proportion ? L'étude parue dans le New England Journal of Medecine rapporte une efficacité de 92% contre la possibilité même d'être infecté, et non seulement de développer des symptômes. Une donnée cruciale, car si elle était confirmée, elle pourrait indiquer que les personnes vaccinées ne peuvent plus transmettre le virus. Mais ce résultat doit être pris avec prudence, de l'aveu même des auteurs. "Cette étude ne peut pas garantir que nous ayons détecté toutes les infections asymptomatiques", a averti Noam Barda.
Récemment, l'agence Reuters et le Financial Times s'étaient déjà appuyés sur le rapport ministériel déjà évoqué, dévoilé par le site Ynet (en hébreu), pour écrire que le vaccin de Pfizer permettait de réduire ces transmissions de l'ordre de 89,4% pour les cas asymptomatiques et 93,7% pour les cas symptomatiques. Cette information avait déjà fait naître des espoirs, mais le nombre de tests est supérieur dans la population non vaccinée, ce qui rend difficile l'interprétation de telles données. Le journaliste de Ynet Nadav Eyal avait lui-même précisé que "la contribution majeure de cette étude ne portait pas sur les infections, mais bien sur la baisse des décès et d'hospitalisation".
En résumé, les scientifiques ont de bonnes raisons de penser que le vaccin diminue la transmissibilité du virus, mais ils peinent encore à quantifier le phénomène. En attendant la levée des mesures de confinement, qui pourrait faire office de premier grand test pour le pays, il est à ce stade "prématuré de conclure sur les données de transmission", souligne Cyrille Cohen, "car ce sont des études qui prennent beaucoup de temps". L'une des pistes, par exemple, consisterait à étudier les cas contacts de personnes vaccinées, mais qui ont tout de même été infectées par le virus.
Selon Mahmoud Zureik, il est également possible de réaliser des études dites "écologiques", c'est-à-dire par population, afin d'obtenir de premières réponses "dans moins d'un mois". En cas de données concluantes sur une réduction de la transmission, il serait possible d'orienter différemment les stratégies vaccinales, en passant par exemple d'une stratégie de vaccination individuelle, par facteur de risque, à une stratégie de vaccination à visée collective, en fonction des groupes où circule davantage le virus.
Impossible de dire quand le pays en aura fini avec l'épidémie
Le Premier ministre Benyamin Nétanyahou en est convaincu : son pays est proche de l'emporter. Si tous les Israéliens de plus de 50 ans se font vacciner, "nous en aurons fini avec le Covid", a déclaré le 15 février le chef du gouvernement, cité par The Times of Israel (en anglais), en s'adressant aux quelque 570 000 personnes concernées n'ayant pas encore répondu à l'appel. Voici pour la carotte. Le ministre de la Santé, lui, s'est chargé de manier le bâton. "Se faire vacciner est un devoir moral", a déclaré Yuli Edelstein. "Quiconque ne se fera pas vacciner sera laissé de côté."
Et, en effet, l'accès à certains lieux est désormais soumis à la présentation d'un "passeport vert" (salles de sport, piscines, évènements sportifs et culturels, etc.). Les demandes en ligne pour obtenir le sésame ont été si nombreuses que le site du ministère de la Santé a été temporairement indisponible samedi soir, rapporte le correspondant de Radio France à Jérusalem. Une nouvelle phase du déconfinement permettra le retour en classe des collégiens et des lycéens avant, pourquoi pas, une réouverture des bars et des restaurants.
Dès le mois de janvier, le pays avait annoncé des objectifs ambitieux. La fête de "Pessa'h est dans presque trois mois et demi [fin mars] et je suis convaincu que nous pourrons célébrer le Seder [repas rituel] avec nos familles grâce au vaccin", avait notamment déclaré Jonathan Halevy, président du centre médical Shaare Zedek de Jérusalem, selon des propos rapporté par The Times of Israel (en anglais). Un scénario optimiste ou réaliste ? A vrai dire, le seuil d'immunité collective dépend d'un trop grand nombre de paramètres (taux de reproduction du virus, contagiosité des variants, efficacité du vaccin...) pour fixer un objectif chiffré. Petit à petit, le pays semble tout de même se rapprocher d'un printemps radieux.
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