Covid-19 : la surveillance de la qualité de l'air en entreprise, grande oubliée de la lutte contre le virus ?
Peu d'entreprises sont équipées de capteurs de CO2, selon des spécialistes du secteur. Et aucune mesure contraignante n'est envisagée par l'exécutif pour lutter en France contre le virus, grâce à ces outils.
Scènes de la vie de bureau, près de deux ans après le début de la pandémie de Covid-19. La pause-café est de retour, tout comme la cantine en groupe et les pots festifs, tandis que le télétravail se fait plus rare. Conséquence : davantage de monde en entreprise et un relâchement sur le port du masque (toujours sur le nez, pas en dessous). Soit autant de facteurs qui favorisent la contamination par aérosols, principale cause de la recrudescence de la maladie, dont la cinquième vague est perceptible en France depuis près de deux semaines.
Quant à l'aération des lieux clos, un des gestes barrières vanté sans relâche par les scientifiques, elle se fait plus rare à l'approche de l'hiver. Alors que le virus se transmet principalement dans des espaces fermés et mal aérés, selon les épidémiologistes, la surveillance de la qualité de l'air en entreprise fait office d'angle mort de la lutte contre le Covid-19. Prônée par l'exécutif, elle n'a, jusqu'à présent, jamais été intégrée dans la liste des obligations faites aux sociétés pour endiguer la propagation du virus.
Avant la mise en place d'un nouveau protocole sanitaire en entreprise, lundi 29 novembre, le texte actuel rapppelle que "la maîtrise de l'aération/ventilation est une mesure essentielle de prévention des situations à risque d'aérosolisation du Sars-CoV-2", et ajoute qu'il "est nécessaire d'aérer les locaux par une ventilation naturelle ou mécanique en état de marche."
"Pour renouveler et assainir l'air, il faut un débit minimum de ventilation de l'ordre de 25 mètres cubes d'air neuf, par heure et par occupant, dans les bureaux", précise à franceinfo le docteur Fabien Squinazi, médecin biologiste et vice-président au sein du Haut Conseil de la santé publique (HCSP). Voilà pour les règles prévues de longue date par le Code du travail. Mais comment savoir si un espace fermé est bien ou mal ventilé ? Un gaz polluant, lié à la présence humaine, trahit l'absence de ventilation : le dioxyde de carbone (CO2).
"On parle beaucoup du taux de CO2 en ce moment parce que c'est un indicateur de présence humaine lié à la respiration. Si on le voit augmenter dans un local, ça montre un problème de ventilation."
Fabien Squinazi, médecin biologisteà franceinfo
Peu d'entreprises équipées de capteurs de CO2
D'où le succès des capteurs (ou détecteurs) de CO2, ces petits appareils qui ont fait beaucoup parler d'eux lors de leurs installations dans les écoles à la rentrée 2021. Cet équipement financé par les communes, avec une aide promise de l'Etat, est en effet recommandé – mais pas rendu obligatoire – par le protocole sanitaire de l'Education nationale pour l'année 2021-2022.
Dans les établissements recevant du public (ERP), et notamment les établissements scolaires, il fallait, avant l'épidémie de Covid-19, "s'assurer que le taux de concentration de CO2 ne dépasse pas un seuil de pollution maximale de 1 000 ppm [pour partie par million, soit le nombre de molécules de polluants sur un million de molécules d'air]", explique Fabien Squinazi. "En période de Covid, le Haut Conseil de la santé publique a recommandé de diminuer ce seuil à 800 ppm". Car plus la concentration de CO2 est élevée, plus il y a de risques que le virus circule dans l'air confiné d'une pièce fermée.
Mais les entreprises, elles, sont encore loin d'avoir adopté ces petits boîtiers, dont l'utilisation est pourtant préconisée par le Conseil scientifique Covid-19, dans son avis daté du 20 novembre 2021. Le gouvernement n'a pas voulu les imposer, sans doute en raison de leur coût (entre 100 et 300 euros pour des modèles standards). Et du côté des syndicats, l'introduction des capteurs de CO2 ne figure pas vraiment au rayon des revendications prioritaires. "Non, nous n'en demandons pas pour l'instant", répond, surpris, le secrétaire général adjoint chargé de la qualité au travail à l'Unsa, Dominique Corona. "Mais effectivement, il serait peut-être temps de remettre des mesures d'aération et de [contrôle de la] qualité de l'air".
En citant une étude au long cours de l'Institut Pasteur sur les "comportements et pratiques associés à l'infection" par le virus, le ministère du Travail reconnaissait pourtant, en mars 2021, que le lieu de travail pouvait être une source de contamination de premier plan.
"Le milieu professionnel (...) représente 15% des contaminations lorsque la source de celle-ci est connue."
Le ministère du Travaildans une mise à jour du protocole sanitaire en entreprise datée du 23 mars 2021
Une nouvelle étude de l'Institut Pasteur sur la propagation du variant Delta en France cet été, publiée vendredi 26 novembre dans la revue médicale The Lancet Regional Health Europe (en anglais), ne met pas en évidence un sur-risque lié au travail. Mais elle confirme que l'augmentation du risque dans les endroits mal ventilés vient du fait que le Sars-CoV-2 se transmet massivement par aérosols, ces nuages de particules que nous émettons lorsque nous respirons, et plus encore lorsque nous parlons, crions ou chantons.
Un marché encore balbutiant
Si ces capteurs de CO2 peuvent rassurer les salariés sur leurs conditions de travail, ils peuvent aussi fonctionner comme un avertissement à double détente : rappeler qu'il faut garder le masque, d'une part, et aérer, ou quitter une pièce bondée si elle est mal ventilée, d'autre part. "Ces appareils sont un signal d'alerte que tout salarié peut voir", expose Fabien Squinazi. "Il y a des capteurs à situer à hauteur de voie respiratoire qui sont efficaces et permettent de mesurer de façon fiable le taux de CO2, poursuit-il. Mais, pour l'instant, ce sont plutôt les collectivités, les établissements scolaires qui s'équipent", constate Julien Martin, ingénieur commercial de la société Quos, spécialisée dans la mesure et l'amélioration de la qualité de l'air. Il note tout de même le début d'une prise de conscience plus large au sein des entreprises.
"Lors du deuxième confinement, il y a eu un frémissement sur la demande de capteurs d'air dans les grandes entreprises et chez les promoteurs d'immobilier de bureaux."
Julien Martin, ingénieur dans une société spécialisée dans la mesure de la qualité de l'airà franceinfo
Une grande entreprise, dont il ne souhaite pas dévoiler le nom, lui a ainsi demandé "des outils de surveillance et de purification d'air" avant d'emménager dans des nouveaux locaux, où des réunions se tiendront dans des "bulles en verre situées à l'intérieur d'un open space, qui sont hors du système de ventilation global. Mais il s'agit pour l'instant de sociétés qui ont les moyens d'investir".
"Sur les capteurs de CO2, le marché n'en est qu'aux balbutiements", surenchérit Jean-François Merle, vice-président du groupe d’experts intitulé "Filtration et épuration pour la qualité d'air" au sein du syndicat des industries thermiques, aérauliques (la science qui étudie l'écoulement de l'air non comprimé dans les conduits) et frigorifiques Uniclima. Avant de noter que "les pays asiatiques comme le Japon ont une culture de la qualité de l'air bien supérieure à la nôtre. Nous, on commence à peine à en parler. Tant qu'il n'y aura pas de législation stricte obligeant à avoir un capteur de CO2 dans les locaux, de tels équipements resteront rares, même si c'est en train de bouger dans l'industrie". Concernant les ventes, il assure n'avoir ni chiffre ni estimation à donner pour le moment.
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