Covid-19 : une mutation a-t-elle vraiment rendu le virus moins virulent ?
Une étude évoquant une souche particulière du coronavirus a été largement relayée ces derniers jours. Toutefois, celle-ci reste très prudente sur d'éventuelles conséquences sur la contagiosité et la sévérité du virus.
Une mutation du Sars-CoV-2, le virus à l'origine du Covid-19, l'aurait-elle rendu moins agressif mais aussi plus contagieux ? La hausse du nombre de cas détectés en France, pour le moment déconnectée d'une augmentation significative des entrées à l'hôpital et en réanimation, alimente cette interrogation. A la faveur de ce constat empirique, le postulat d'une moindre virulence, mais d'une plus grande transmissibilité du virus, a été avancé par certains observateurs et relayé dans plusieurs médias ces derniers jours.
Des hypothèses qui s'appuient notamment sur les travaux d'un groupe de chercheurs britannico-américains, parus dans la revue scientifique The Cell, le 2 juillet. L'étude met en avant une mutation du Sars-CoV-2 qui l'aurait en partie rendu plus infectieux. Mais contrairement à ce qui a pu être suggéré, elle appelle à la prudence quant à de potentielles conséquences sur la contagiosité et la sévérité des cas liés à cette forme du virus. Décryptage.
Une souche baptisée D614G
Comme tout virus, le Sars-CoV-2 est susceptible de connaître une mutation, c'est-à-dire "un changement ponctuel au niveau de son génome", explique Samira Fafi-Kremer, cheffe du laboratoire de virologie des hôpitaux universitaires de Strasbourg. Des chercheurs des universités de Sheffield (Royaume-Uni), de Duke et du laboratoire national de Los Alamos (Etats-Unis), se sont intéressés à l'une de ses mutations, baptisée D614G. Pour cela, ils ont notamment eu recours à la base de données Gisaid, qui centralise plus de 80 000 séquences du virus. Par ailleurs, l'équipe a analysé les données de 999 patients britanniques hospitalisés pour une infection au Covid-19.
C'est une étude très sérieuse sur le plan méthodologique.
Samira Fafi-Kremerà franceinfo
Concrètement, la mutation qu'ils ont observée modifie la structure d'une molécule-clé du virus, la protéine S, qui permet au virus de se fixer sur certains récepteurs des cellules humaines. Cette forme du virus a également fait l'objet de deux autres parutions sur le site de pré-publication bioRxiv.org les 12 juin et 7 juillet – mais ces études n'ont pas encore validées par un comité de relecture de scientifiques.
Des hypothèses mais pas de certitudes
Reste à savoir si cette mutation a eu des conséquences sur le comportement du virus. "Les chercheurs montrent que cette mutation permet au virus de mieux infecter les cellules", décrypte Anne Goffard, virologue au CHU de Lille. Selon les données recueillies sur le panel de patients britanniques, ceux contaminés par le virus muté présentent en effet une charge virale supérieure aux autres malades. L'étude suggère donc que celui-ci se reproduirait plus rapidement au sein des organismes. De quoi rendre le virus plus transmissible ? "Infectiosité et contagiosité ne sont pas forcément synonymes", rappelle Samira Fafi-Kremer. Les chercheurs suggèrent que cette forme du virus puisse être plus contagieuse, justement parce qu'elle infecterait plus rapidement les personnes contaminées. Mais ils ajoutent prudemment que d'autres études devront étayer ce postulat.
Enfin, l'équipe se penche sur les éventuelles conséquences de la mutation sur la virulence du virus. "Quand un virus mute, on craint toujours qu'il soit plus dangereux", avance la virologue strasbourgeoise. Et sur ce point, les chercheurs ne parviennent pas à se prononcer. A partir de leur panel de patients, ils ne constatent pas de symptômes cliniques plus sévères liés à cette mutation, comparés à ceux observés lors d'une infection par une autre forme du virus. "Contrairement à ce que j'ai pu entendre, il ne faut pas non plus en déduire que cette mutation génère des formes moins graves", met en garde Samira Fafi-Kremer. Les auteurs concluent encore une fois que d'autres travaux devront étudier les éventuelles conséquences sur la sévérité des cas liés à cette mutation.
Dans leur étude, les chercheurs sont beaucoup moins catégoriques que ce qui a pu être rapporté dans les médias.
Samira Fafi-Kremerà franceinfo
Une mutation déjà présente en mars
L'étude s'intéresse par ailleurs à l'apparition de cette forme du virus dans les différentes régions du monde. Elle montre ainsi que c'est la forme qui prédomine en Europe et aux Etats-Unis. D'autre part, ce variant était présent dans environ 80% des séquences connues du virus fin mai, alors qu'il n'était présent que dans 10% des échantillons en mars.
C'est cette version du virus qui circule majoritairement dans la population sur l'ensemble de la planète.
Anne Goffardà franceinfo
Selon leurs données, certains pays comme la France ou l'Italie n'auraient même quasiment connu que cette souche, alors que, dans d'autres pays d'Europe, plusieurs variants ont coexisté. C'est donc bien cette souche qui est responsable de la vague épidémique qui a durement frappé l'Hexagone au printemps.
Si cette étude, réalisée dans le système artificiel d'un laboratoire, permet d'apporter des pistes de réflexion sur l'évolution du virus, elle doit cependant être complétée par d'autres travaux scientifiques. C'est "un travail de virologie fondamentale qui demande confirmation clinique et épidémiologique", juge Jean-Paul Stahl, professeur-infectiologue au CHU de Grenoble, auprès de La Croix (article payant). Un constat partagé par les virologues interrogées par franceinfo. "Pour en savoir plus, il faudrait notamment des études qui s'appuient sur des modèles animaux", avance Samira Fafi-Kremer.
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