Déconfinement : trois questions pour comprendre le débat parlementaire sur la responsabilité pénale des maires et des employeurs
Le Sénat avait, dans le cadre de l'examen du projet de loi prolongeant l'état d'urgence sanitaire, souhaité aménager le régime de responsabilité pénale des décideurs publics et privés appelés à gérer le déconfinement. Le gouvernement était réservé. Les députés ont commencé à revoir le dispositif.
"Nous ne pouvons pas déconfiner sans protéger l'exercice des responsabilités qui seront prises par beaucoup de Français et qui les dépassent". Cette déclaration, lundi 4 mai, de Philippe Bas, rapporteur (LR) au Sénat du projet de loi sur l’état d’urgence sanitaire, résume les craintes d'élus locaux ou d'employeurs. Risquent-ils, dans le cadre des mesures prises lors du déconfinement, d'être tenus pénalement responsables de cas de contamination au Covid-19 ? Les sénateurs avaient, dans la nuit de lundi à mardi, contre l'avis du gouvernement, adopté une version du projet qui visait à aménager, durant cette période de déconfinement, le régime de responsabilité pénale des décideurs publics et privés. Le débat, animé, se poursuit désormais à l'Assemblée nationale où le dispositif a commencé à être revu. Explications.
Pourquoi certains élus ou employeurs souhaitent être mieux protégés pénalement
Pour de nombreux élus, un régime spécifique de responsabilité est nécessaire, dans le cadre des actions prises pour gérer le déconfinement. Des maires redoutent ainsi que leur responsabilité pénale soit engagée en cas de transmission du coronavirus dans les écoles, qui rouvrent progressivement à partir du 11 mai. L'inquiétude monte également chez les chefs d'entreprises, fonctionnaires ou autres décideurs qui craignent d'être rendus responsables d'une éventuelle contamination au Covid-19 lors du déconfinement
Le Sénat a, dans le cadre de l'examen du projet de loi, souhaité préciser et aménager le régime de responsabilité des maires et des autres élus locaux, ainsi que des employeurs publics et privés, dans le cadre des mesures prises pour gérer la sortie du confinement.
L'amendement complétant l'article premier du projet de loi encadrant cette période spécifique, adopté en première lecture par les sénateurs, précisait que "nul ne peut voir sa responsabilité pénale engagée" pour des contaminations pendant l'état d'urgence sanitaire, sauf en cas d'intention délibérée, imprudence ou négligence. "Il ne s'agit pas d'exonérer totalement des responsabilités pénales les décideurs", avait insisté le président (LR) de la commission des lois Philippe Bas.
Des chefs d'entreprises et organisations patronales ont également exprimé leurs craintes de contentieux liés à leur obligation "d'assurer la sécurité et protéger la santé" de leurs salariés. Dans une lettre commune, les organisations patronales (Medef, CPME, U2P, FNSEA, UNAPL, Udes) ont notamment demandé à la ministre du Travail Muriel Pénicaud de "clarifier le périmètre de cette obligation". Trois de ces fédérations (CPME, U2P, et FNSEA) ont apporté mercredi 6 mai, dans un communiqué commun, leur soutien à l'amendement sénatorial. Tenir les entrepreneurs "pénalement responsables des décisions prises par l'Etat reviendrait, en pratique, indiquent-elle, à freiner leur action"
Quelles sont les réserves du gouvernement et de certains élus et syndicats
Lors du débat au Sénat, la garde des Sceaux, Nicole Belloubet avait indiqué être "sensible aux inquiétudes des acteurs publics et élus locaux, ainsi que des acteurs privés, sur le risque pénal encouru pendant la période de déconfinement" mais avait estimé important de ne pas "atténuer la responsabilité des décideurs" ni "donner l'impression qu'ils seraient irresponsables". "Nous ne sommes pas favorables à ce qui pourrait créer un régime d’exemption de responsabilité" a t-elle répété jeudi 7 mai sur France Inter. La ministre de la Justice a par ailleurs appelé à ne pas modifier le régime de responsabilité pénale pour les seuls faits commis pendant la période d'état d'urgence sanitaire, ce qui risquerait de poser un problème constitutionnel de rupture du principe d'égalité devant la loi. Par exemple, avait elle évoqué au Sénat, entre un directeur d'hôpital qui serait condamné pour une faute caractérisée liée à une décision prise avant la période d'urgence sanitaire et un autre qui ne le serait pas car aurait pris une décision similaire après le déclenchement de cette période.
Le gouvernement estime également que le cadre et l'équilibre actuels encadrant les sanctions pour les délits non-intentionnels (loi du 11 juillet 2000 dite Fauchon) fonctionnent "bien" et sont en soi "protecteurs". Certains sénateurs et députés considèrent eux aussi que les juges sont déjà à même d'évaluer ce type de responsabilités dans des contextes très spécifiques et qu'il n'est pas nécessaire d'ajouter un nouveau dispositif à la jurisprudence qui s'est établie.
Concernant les responsabilités des entreprises, Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT, a, dans une interview au Monde publiée mardi 5 mai, estimé qu'une modification de la loi serait "un très mauvais signal". "Il faut, dit-il, une obligation de moyens renforcée. C'est sur ce sujet que doit être évaluée la responsabilité pénale ou civile des entreprises "
Il n'est pas question de "déresponsabiliser les entreprises qui ont la responsabilité de la santé et de la sécurité de leurs salariés" a précisé mercredi 6 mai la ministre du travail Muriel Pénicaud. Le Premier ministre Edouard Philippe avait la veille, devant les sénateurs, déclaré être contre "une logique d'atténuation de la responsabilité" des décideurs, estimant que cela ne redonnerait "pas confiance à nos concitoyens".
Quelles sont les pistes pour arriver à un texte qui protège sans exonérer de toute responsabilité
Durant le débat au Sénat, le gouvernement avait appelé à "travailler la réponse apportée" sur cette question de la responsabilité pénale des décideurs, durant le temps de la navette parlementaire (lors des discussions au Sénat, à l'Assemblée nationale ou en commission mixte paritaire). "Le gouvernement, avait indiqué la garde des Sceaux, est disposé à ce que la loi puisse être précisée, mais il me semble qu'il faut encore travailler la réponse apportée".
Le projet de loi sur la prolongation de l'état d'urgence sanitaire a été débattu, mercredi 6 mai, en Commission des lois de l'Assemblée nationale. Les discussions ont, au sein de la majorité, fait émerger une volonté d'équilibre entre le fait de ne pas faire reposer sur les maires l'entière responsabilité de décisions qui les dépasseraient, et de ne pas pour autant exonérer les décideurs publics et privés de leurs responsabilités. Marie Guévenou, députée LREM de l'Essonne et rapporteure du texte, a, comme d'autres députés, dit comprendre et partager l'intention des Sénateurs concernant l'encadrement de la responsabilité pénale des décideurs, mais a mis en avant le fait que la rédaction proposée par le Sénat n'était pas "totalement satisfaisante".
A l'occasion de ce débat en commission, les députés ont adopté des amendements MoDem et LREM qui ne "touchent pas" à l'équilibre de la législation actuelle mais ajoutent un alinéa à l'article 121-3 du code pénal, incitant à tenir compte "en cas de catastrophe sanitaire, de l'état des connaissances scientifiques au moment des faits". Cette précision s’ajoutant à la nécessité, déjà inscrite dans la loi, de prendre en compte les moyens dont disposaient les responsables publics ou privés au moment où ces faits ont été commis. L'idée avancée par ces députés en commission serait d'introduire, dans le droit pénal, une précision qui ne soit pas spécifique à la situation liée au nouveau coronavirus, mais puisse s'appliquer à d'autres crises sanitaires.
A droite, des députés ont mis en garde contre un risque d'"amnistie généralisée" qui exonérerait le gouvernement dans la gestion de la crise. L'examen du texte se poursuit en séance à l'Assemblée nationale jeudi 7 mai.
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