Deux ans après le début de la pandémie de Covid-19, où en est l'enquête sur les origines du Sars-CoV-2 ?
De l'aveu même des enquêteurs de l'OMS, les investigations sont "au point mort". Deux hypothèses restent sur la table : le transmission de l'animal à l'homme ou l'échappement d'un laboratoire. Mais aucun indice ne permet de trancher.
Pangolin ? Chauve-souris ? Accident de laboratoire ? Deux ans après les premiers cas de Covid-19 en France, annoncés par les autorités le 24 janvier 2020, l'origine de la pandémie demeure une énigme. Des inspecteurs de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) se sont bien rendus en janvier 2021 dans la ville chinoise de Wuhan, le berceau de l'épidémie, pour mener des investigations. Mais ils n'ont pas pu établir de façon formelle la manière dont le Sars-CoV-2 avait émergé, comme ils l'exposaient dans leur rapport rendu fin mars. L'enquête est "au point mort", ont fini par reconnaître ces experts, en août. Une remarque faite alors que les services de renseignement américains présentaient leur propre rapport sur les origines du virus. Ces investigations n'ont, elles non plus, pas permis de se prononcer avec certitude sur les conditions d'apparition du virus.
Depuis, les connaissances ont peu évolué. "Globalement, deux hypothèses principales restent sur la table", résume auprès de franceinfo le virologue Etienne Decroly, directeur de recherche au CNRS au laboratoire Architecture et fonction des macromolécules. La première est celle d'une zoonose naturelle, c'est-à-dire une maladie infectieuse qui pré-existait chez les animaux et qui s'est transmise à l'homme, franchissant la barrière d'espèce. La seconde hypothèse relie l'apparition du Sars-CoV-2 à des expérimentations menées en laboratoire. Considéré, par certains, comme une thèse complotiste en 2020, le scénario s'est consolidé l'année suivante, jusqu'à devenir plausible et sérieux.
"Aujourd'hui, nous n'avons aucun élément qui permette de pencher en faveur d'une hypothèse ou d'une autre. Nous sommes dans le flou."
Etienne Decroly, virologue, spécialiste des virus émergentsà franceinfo
La chauve-souris, réservoir du virus ?
Le premier scénario, celui d'une transmission de l'animal à l'homme, a été considéré comme "l'hypothèse la plus favorable parce que l'histoire de l'interaction entre l'homme et les animaux est faite de zoonoses", souligne Etienne Decroly, qui s'est intéressé aux origines de la pandémie dès ses prémices. C'est dans ce contexte que la piste du pangolin a été mise en avant par des scientifiques chinois, avant d'être définitivement écartée. La raison : une correspondance qui n'est que partielle entre le code génétique du Sars-CoV-2 et celui d'un coronavirus prélevé sur cet animal.
En revanche, l'hypothèse de la transmission du virus de la chauve-souris à l'homme, via ou non un animal intermédiaire, reste envisagée. "Un virus à 96% identique au Sars-CoV-2 a été identifié chez des chauves-souris capturées en Chine. La chauve-souris est donc très vraisemblablement le réservoir du virus", faisait valoir l'institut Pasteur, fin février 2020. L'hypothèse s'est ensuite renforcée avec la découverte, au Laos, de virus "chez des chauves-souris, très proches des premières souches de Sars-CoV-2 qui ont pu être isolées", les plus proches découverts jusqu'à maintenant et capables d'infecter les cellules humaines, explique à franceinfo Marc Eloit, responsable du laboratoire Découverte de pathogènes à l'Institut Pasteur à Paris. Il a mené, fin 2020 et début 2021, une mission au nord du Laos dans des grottes calcaires où vivent des millions de chauves-souris. Ce type de reliefs et cette faune sont communs à des zones voisines, comme le nord de la Birmanie, le nord du Vietnam et le Yunnan, une province du sud de la Chine.
Une "différence importante" entre le Sars-CoV-2 et les virus de chauves-souris découverts (jusqu'ici)
Trois éléments s'opposent toutefois à la validation complète de cette thèse. D'abord, la ville de Wuhan se trouve à quelque 2 500 km au nord-est du Yunnan, et les chauves-souris ne vivent pas dans cette ville de 11 millions d'habitants ou dans ses environs, souligne Etienne Decroly. De plus, aucun animal hôte, qui aurait joué l'intermédiaire entre les chauves-souris et les humains, n'a été identifié. Rien de probant n'a été découvert au cours des investigations menées sur le marché d'animaux de Wuhan, toujours considéré comme un potentiel point de départ de la pandémie.
Enfin, les virus découverts par Marc Eloit et son équipe présentent néanmoins une "différence importante" avec le Sars-Cov-2 : leur génome est dépourvu d'un élément appelé "site de clivage par la furine", qui permet d'augmenter l'efficacité d'entrée du Sars-CoV-2 dans les cellules pulmonaires humaines et son pouvoir pathogène. Ce "site" est fondamental puisqu'il rend le virus dangereux pour l'homme. "Il a pu être acquis par Sars-CoV-2 lors de passages multiples dans des cellules humaines", remarque Marc Eloit. Mais cela signifie "soit des passages successifs sans symptômes chez l'homme, jusqu'au moment où ce site furine est acquis, soit des passages dans des cultures cellulaires en laboratoire", précise-t-il. La circulation d'abord silencieuse du virus chez l'homme, parce qu'initialement sans ou avec peu de symptômes, est "théoriquement possible", explique le virologue. Sans compter que les grottes dans lesquelles vivent les chauves-souris sont fréquentées par des humains : des habitants de ces régions vont y récolter du guano ou consomment parfois ces animaux, et des touristes visitent ces sites.
Un accident de laboratoire pas exclu
L'hypothèse de la zoonose est donc jugée "possible" par l'OMS et demeure privilégiée par la communauté scientifique. Mais "nous n'avons pas de faits scientifiques aujourd'hui qui permettent de démontrer les mécanismes de cette zoonose", conclut Etienne Decroly. L'idée de manipulations en laboratoire mentionnée par le virologue Marc Eloit amène, elle, directement à l'autre grande hypothèse : celle de l'accident. Wuhan compte en effet des laboratoires sensibles : un laboratoire P4 – pour "pathogène de classe 4" – de très haute sécurité, où sont étudiés des virus comme Ebola, et deux laboratoires P3, où sont étudiés les coronavirus.
La virologue chinoise Shi Zhengli, directrice adjointe de l'Institut de virologie de Wuhan, est d'ailleurs surnommée "Batwoman" en raison de sa grande connaissance des coronavirus de chauves-souris. En 2005, elle a codirigé les recherches, publiées notamment dans Nature (en anglais), qui ont permis de découvrir que le virus du Sras avait pour origine un coronavirus de chauves-souris. En 2014, elle a également participé à des travaux, parus dans Nature Medicine (en anglais), impliquant la manipulation du Sras et de coronavirus de chauves-souris, afin d'étudier leur risque de transmissibilité à l'homme. Des scientifiques de Wuhan avaient "l'intention de mener des expérimentations animales pour voir si ces virus étaient capables de franchir la barrière d'espèce, abonde Etienne Decroly. Plusieurs travaux ont été publiés pour présenter les virus chimères élaborés pour étudier ces processus."
"L'un des laboratoires de Wuhan manipule des coronavirus depuis fort longtemps. C'est la référence mondiale dans ce domaine."
Marc Eloit, responsable du laboratoire Découverte de pathogènes à l'Institut Pasteur, à Parisà franceinfo
Un éventuel accident n'est donc pas à exclure. Certains virus décrits au cours des dernières années par les scientifiques chinois ont été récoltés dans le Yunnan, selon le virologue de l'Institut Pasteur. Or, "lorsqu'on va échantillonner dans des grottes, il y a un risque de contamination humaine si des conditions drastiques de protection individuelle ne sont pas mises en place ", avance-t-il. "Quand on introduit ces échantillons dans le laboratoire pour en extraire le matériel pour séquencer le virus, ou pour l'amplifier en culture cellulaire, il y a des risques associés si les règles de sécurité ne sont pas strictement respectées", expose le spécialiste. En 2004, le virus responsable de l'épidémie de Sras s'était d'ailleurs échappé de l'Institut de virologie de Pékin, classé P3, comme le rappelait franceinfo en mars 2021.
Malgré des protocoles bien établis, "il peut toujours y avoir un tuyau qui fuit, un filtre mal maintenu", illustre auprès de franceinfo l'ingénieur Rodolphe de Maistre, qui a participé au projet DRASTIC, un collectif pluridisciplinaire d'experts menant des recherches indépendantes sur les origines de l'épidémie de Covid-19. Il souligne que des travaux étaient en cours, à Wuhan, en 2019, à proximité de sites sensibles. Selon lui, "les risques d'accident [de laboratoire] étaient élevés", avec un laboratoire en opération manipulant des virus pathogènes, à côté d'un site en pleine construction et, tous près, une usine fabriquant des vaccins.
"Les accidents de laboratoire, ça arrive, c'est assez commun. J'en ai vu et j'ai moi-même fait des erreurs", a d'ailleurs remarqué, en juillet 2021 lors d'une conférence de presse, Tedros Adhanom Ghebreyesus, le directeur de l'OMS, faisant référence à sa carrière d'immunologiste dans un laboratoire.
Manque de transparence de Pékin
Mais la Chine a toujours réfuté l'hypothèse de l'accident de laboratoire, dénonçant une simple "rumeur". "Elle n'a pas envie de passer pour responsable d'une pandémie", remarque auprès de franceinfo Antoine Bondaz, chercheur à Sciences Po et à la Fondation pour la recherche stratégique, et spécialiste de la Chine. C'est pour cela que le pays a condamné "l'arrogance" et le "manque de respect" de l'OMS qui avait demandé, pendant l'été 2021, la poursuite des investigations sur son sol. Pékin avait aussitôt rejeté les réclamations de l'agence onusienne, jugeant la première enquête suffisante.
Pourtant, l'OMS a pointé un manque de transparence des autorités chinoises quant à ces investigations. Le Danois Peter Ben Embarek, qui a dirigé la délégation d'experts internationaux à Wuhan, a relaté les tensions ressenties lors de la visite. "Jusqu'à 48 heures avant la fin de la mission, nous n'étions toujours pas d'accord pour évoquer la 'thèse du laboratoire' dans le rapport", a-t-il raconté dans un documentaire diffusé par la télévision publique danoise TV2 (en danois). "A la suite de ces échanges, la délégation de l'OMS obtient finalement la permission de visiter deux laboratoires où s'effectuent des recherches autour des chauves-souris", a-t-il expliqué.
"Nous avons pu parler et poser les questions que nous voulions poser, mais nous n'avons pas eu l'occasion de consulter la moindre documentation."
Peter Ben Embarek, chef de la délégation d'experts internationaux à Wuhandans un documentaire de la télévision publique danoise
Cette lacune dans l'enquête s'avère regrettable, selon l'OMS. "Afin de pouvoir examiner l'hypothèse du laboratoire, il est important d'avoir accès à toutes les données brutes", a souligné l'agence sanitaire de l'ONU. La Chine a brandi le secret médical pour les premiers patients concernés, afin d'écarter la requête. Elle n'a pas non plus conduit, malgré les demandes, une large enquête sérologique à Wuhan couvrant la période pré-pandémique. Marc Eloit explique que cette "démarche basique" avec des "outils simples et disponibles", d'analyse des sérums stockés dans les biobanques, aurait permis de dater le début de circulation du Sars-CoV-2 par rapport aux premières détections cliniques et d'identifier une éventuelle circulation au sein de la mégalopole avant les premiers signaux connus.
La situation est "paradoxale", juge Antoine Bondaz, entre, d'un côté, la Chine qui vante constamment ses grandes capacités et, de l'autre, "l'impasse totale" qu'elle orchestre sur l'origine du virus et les voies de contamination initiales.
"La Chine pourrait sortir grandie, apparaître comme celle qui a permis de faire toute la lumière. Mais elle a une gestion politique et non pas scientifique de l'enquête sur l'apparition du Sars-CoV-2."
Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégiqueà franceinfo
Connaîtrons-nous un jour la vérité sur l'apparition du Sars-CoV-2 ? Marc Eloit relève qu'il n'est pas exclu de trouver, lors de prochains prélèvements sur des chauves-souris, des souches virales disposant d'un "site de clivage par la furine". Cela entérinerait l'hypothèse d'une zoonose d'origine naturelle. Si la nouvelle commission d'experts formée par l'OMS est pour l'instant dans l'incapacité de négocier un nouveau mandat d'enquête, Etienne Decroly se montre plutôt optimiste. Il espère que la vérité éclatera un jour, peut-être grâce à de nouveaux outils qui nous sont encore inconnus.
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