"Le nombre de commandes continue d'augmenter, comment va-t-on faire ?" : Marie, maraîchère et mère de 4 enfants, raconte sa semaine de confinement
Depuis le 16 mars, franceinfo recueille, jour après jour, des témoignages de Français durant cette période d'épidémie de coronavirus. Marie, cultivatrice bio en Gironde, revient sur une semaine mouvementée.
"En temps normal, nos clients, ce sont près de 200 familles par semaine. Là, je pense que notre clientèle a doublé." Ces temps-ci, les journées sont éreintantes pour Marie et son époux, maraîchers bio dans le sud de la Gironde.
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A l’heure où la France est à l’arrêt, "confinée" face à la pandémie de coronavirus Covid-19, l’agricultrice multiplie les heures de travail et jongle entre une demande qui explose et la garde de ses quatre enfants – tous âgés de moins de 10 ans. Elle nous livre son récit des débuts du confinement.
Lundi 16 mars : "Quinze, vingt appels de clients ce matin"
"Ce début de semaine est très compliqué. Nos ventes commencent à grimper, elles ont déjà bondi de 30%. Comment travailler et nous occuper des enfants en même temps ? Nous ne sommes que quatre à l'exploitation : moi, mon mari et deux salariés. J'ai demandé hier soir le renfort de notre stagiaire, pour tenter d'avoir une journée ressemblant à quelque chose.
Dans ma vie, je crois n’avoir jamais passé autant de temps au téléphone. Quinze, vingt appels ce matin. Avec le confinement qui s’annonce, des clients veulent compléter leurs commandes, d’autres les annulent. Certains ne savent pas s’ils pourront venir les récupérer. Et beaucoup craignent de ne plus pouvoir sortir. Moi, je tente de les rassurer.
J’ai des clients paniqués au téléphone. Nous, les commerçants, pouvons être de vrais psychologues.
Marie, maraîchère bio
Ce travail, je le fais depuis la maison. Avec la fermeture des écoles, nous avons quatre enfants à garder : deux garçons, 9 et 7 ans, et deux jumelles de 5 ans. Leurs instituteurs nous ont beaucoup écrit pour continuer les classes à domicile. Je les ai déjà prévenus — nous ne pourrons pas tout suivre, et les enfants ne savent pas utiliser un ordinateur. Ce matin, il est impossible de gérer les devoirs et le travail. Je les ai laissés dormir (histoire de gagner du temps pour autre chose !), puis ils ont joué dehors. Nous avons de la chance, avec cette grande maison et ce jardin.
J’ai réussi à concocter riz et poisson pour le déjeuner, entre deux coups de téléphone. Les appels de clients continuent ce midi, dans tous les sens. Des collègues de l’association de producteurs m’appellent à leur tour : il leur faut plus de légumes, leurs clients en réclament."
Mardi 17 mars : "Le travail est épuisant"
"Réveil bien matinal. Ce matin, tout le monde était au travail à 7 heures, contre 8h30 en temps normal. La matinée a débuté avec la récolte des verdures, suivie de la préparation des commandes. Entre celles à compléter et d’autres à annuler, le travail est, intellectuellement, épuisant. Il y a tant de demandes à retenir et le téléphone continue de sonner. On nous demande si les livraisons sont maintenues. Oui, mais nous ne voulons pas être des vecteurs de transmission. J’appelle mes clients âgés, je dois leur demander de ne plus se rendre aux points de distribution.
Confinement oblige, je prépare aussi des attestations pour mes salariés. Une matinée intense. Il y a tellement à gérer, entre le volume de préparation et l’inquiétude des gens qui nous appellent. Notre inquiétude, aussi. Ces clients, vont-ils continuer d’acheter chez nous ? Ne vont-ils pas plutôt aller au supermarché ? Il faut qu’on puisse continuer à travailler !
16h30. Je me dirige vers Langon, le lieu de notre livraison du mardi soir. Il est l’heure des sorties d’école et d’habitude, la circulation est lente. Aujourd’hui, je ne croise personne.
En arrivant à la gare, seules trois voitures sont stationnées. Je n’ai jamais vu ça en huit ans de livraison ici.
Marie, maraîchère bio
Je me sens un peu seule, avant de voir que nous avons... deux fois plus de clients que d’habitude. Moi qui craignais qu’ils ne viennent pas : 60 personnes en deux heures. Les gens sont plutôt calmes, il n’y a aucune panique. Mais contrairement à d’habitude, je porte des gants, et je dépose leurs cagettes dans leur coffre ou au pied de leur voiture. Cette fois-ci, les paiements sont déposés dans une boîte spécifique à laquelle je ne touche pas. Pour éviter les contacts.
Quelques-uns de mes clients sont tendus. Ils sont infirmiers et commencent à être réquisitionnés. Je le sens en les voyant, quelque chose d’anormal se produit."
Jeudi 19 mars : "Nous avons fait des masques jusqu’à 1 heure"
"Des clients continuent de nous appeler. Certains — que nous ne connaissions pas — sont même passés ce matin. Ils sont rentrés dans la maison, inquiets quant à nos stocks et prêts à acheter sans attendre. Je leur ai demandé de sortir, préférant qu’ils se tiennent à distance des enfants. C’est extrêmement délicat : plus je m’éloignais, plus ils s’approchaient ! Les gens ont encore du mal avec les distances de sécurité. Je le comprends bien, maintenir un tel écart est étrange.
L’une de mes tantes et ma grand-mère de 88 ans sont venues chercher des légumes. Nous avons interdit à ma grand-mère de descendre de la voiture.
Marie, maraîchère bio
Entre les allers et venues, la comptabilité, je tente de faire travailler les enfants. Impossible ! Ils ont regardé des dessins animés comme Il était une fois... l’Homme et joué dehors. Cet après-midi, le vélo et la trottinette dans le jardin les ont bien amusés ! Ma fille est tombée dans une énorme flaque de boue... J’ai aussi lancé un puzzle de 1 500 pièces pour les occuper. Leurs instituteurs sont prévenus : avec l’exploitation, nous ne pourrons pas faire travailler les enfants durant la semaine. Nous tenterons de faire les devoirs le week-end. Plusieurs nous ont répondu, se montrant très compréhensifs.
L’heure du dîner. Un film, un morceau de pizza, une bière : je vis ma meilleure soirée de la semaine. Jusqu'à ce que mon mari décide de fabriquer des masques pour la livraison de demain ! Nous démarrons la couture, munis de tissus wax et d'une vieille robe de chambre des enfants. Comme si nous n’étions pas assez fatigués, nous en avons donc fait jusqu’à 1 heure du matin. Drôle d’idée !"
Vendredi 20 mars : "Les gens vérifient que nous restons à distance d’eux"
"Mon mari étant en livraison de kiwis, je reste à la maison pour surveiller les enfants... et préparer les paniers pour notre livraison, ce soir. D’habitude, nous amenons les légumes en vrac et les bénévoles de l’Amap se chargent des paniers. L’épidémie nous oblige à placer chaque commande dans une poche en papier. Il faut limiter au maximum la manipulation, et le temps des clients sur place.
Toujours aucun contrôle des forces de l’ordre sur la route. Quand j’arrive, je porte un masque et mets en place une espèce de guichet, garantie d’une distance de sécurité. Nos clients arrivent par la droite et repartent par la gauche. L’ambiance, d’habitude si conviviale et chaleureuse, est très particulière. Avec le virus, je sens bien que certains vérifient qu’on ne touche pas à leurs légumes, que nous restons bien à distance d’eux.
Je sens aussi que d’autres ont envie de s’attarder, de discuter. Ils vivent seuls et ce temps de confinement est très long.
Marie, maraîchère bio
Au retour, chose rare, ma voiture est quasiment la seule sur le tronçon de l’autoroute que j'emprunte. J'aperçois d'un œil ce panneau lumineux : "Alerte Covid-19, limitez les contacts." J’ai cette impression d’être dans un film catastrophe."
Dimanche 22 mars : "Comment va-t-on faire ?"
Très grande fatigue hier. Aujourd’hui, nous n’avons rien fait, ou presque. Nous avons regardé un film avec les enfants, continué le puzzle de 1 500 pièces et fait des gâteaux. Je dois l’avouer, je n’en peux plus du gâteau au yaourt ! Les devoirs ? Nous n’avons même pas essayé.
Nous sommes dimanche, mais il faut tout de même suivre nos ventes sur internet. Nous avons dû en arrêter certaines. À un moment dans cette épidémie, il faudra réduire nos quantités. Il n’y aura plus rien à récolter si l’on récolte trop vite, et plus rien à vendre.
Comment allons-nous faire si les gens continuent à se ruer sur les légumes ?
Marie, maraîchère bio
Nous voilà à J +6. Le confinement ne nous fait pas peur, nous l'avons déjà vécu lorsque nous vivions au Tchad et en République démocratique du Congo. L'inquiétude, pour nous, est ailleurs. Les commandes continuent d’augmenter. Nous voyons tous ces gens venir chez nous pour se nourrir... Comment va-t-on faire ?"
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