"Les détenus sont inquiets, surtout pour leur famille" : à Mulhouse, les surveillants de prison doivent protéger et rassurer face au coronavirus
Il a fallu réorganiser le travail pour empêcher le virus de pénétrer les murs des prisons. Christopher Pécoraro travaille à la maison d’arrêt de Mulhouse, au cœur d’un département parmi les plus touchés de France.
Il est arrivé depuis seulement neuf mois dans le bâtiment 2 de la maison d’arrêt de Mulhouse. A 31 ans, Christopher Pécoraro est chef de bâtiment. Entré dans l’administration pénitentiaire en 2014, il fait ses armes pendant quatre ans à la prison de Saint-Quentin-Fallavier, dans l’Isère. En 2018, il passe le concours pour devenir cadre, fait sa formation et devient lieutenant en 2019. Nouveau poste, nouvelles responsabilités et nouvelle affectation : la maison d’arrêt de Mulhouse où 300 détenus purgent des peines de détention préventive avant d’être jugés et des peines d'emprisonnement de moins de deux ans.
Dès le 17 mars, son nouveau rôle de manager est mis à l’épreuve. Il faut gérer la crise sanitaire du Covid-19 dans un établissement situé dans une des zones les plus touchées de France. Le jeune cadre, son adjoint et une équipe de six surveillants quotidien doivent gérer un bâtiment où sont actuellement détenues 215 personnes. "215 c’est très bas, habituellement on a entre 250 et 280 personnes détenues dans ce bâtiment", précise Christopher Pécoraro. Les remises en liberté exceptionnelles pour les détenus en fin de peine sont passées par là, allégeant considérablement le travail de Christopher et de ses hommes. Mais pour ce jeune officier, la priorité c’est de s’organiser face au Covid-19. "C’est pour le bien de tous, surveillants, et détenus. Il faut avoir des idées, et organiser le travail autrement", constate le chef de bâtiment.
Quand un détenu présente des symptômes, on l’isole dans une cellule pendant deux semaines.
Christopher Pécoraroà franceinfo
Une aile Covid a été aménagée dans un étage. Les détenus qui y sont placés bénéficient d'une visite médicale par jour. "Le détenu a un masque et les surveillants qui le côtoient aussi. Les promenades se font seul. Ensuite, au bout de 15 jours, si ça va mieux et sur avis médical, il repart en détention ordinaire. La cellule est désinfectée entièrement ainsi que l’endroit où il était détenu avant l’isolement", précise Christopher Pécoraro.
Même régime pour les nouveaux arrivants, isolés d’abord pour éviter tout risque d’entrée du virus dans la prison.
Inventer une nouvelle organisation
Il a fallu avoir des idées pour réorganiser le travail et éviter le plus possible les contacts physiques directement et par objets interposés. "On a mis en place des boîtes pour les cartes de circulation que doivent présenter les détenus pour se déplacer dans l’établissement. Le détenu met la carte dans une boîte mais nous ne la prenons pas directement, pour éviter toute contamination", explique Christopher Pécoraro.
Il faut prendre aussi le temps du dialogue. "On a un métier qui, à la base, est fondé sur l’humain et ce n’est déjà pas simple. Là, avec la maladie il y a beaucoup d’inquiétude. Les personnes détenues sont inquiètes surtout pour leurs familles à l’extérieur. On est dans un département parmi les plus touchés de France et ils le savent bien", confie Christopher. Alors il prend le temps. Le temps de parler, de rassurer. "C’est souvent à l’occasion du mouvement dans la prison, pour les promenades ou autres. Ils nous interpellent, veulent savoir. Alors on les voit parfois un peu plus tard et dans un endroit calme pour parler."
Quand les parloirs ont été fermés, il a fallu expliquer. Pour Christopher, le dialogue est la clé qui permet de désamorcer la tension, même s'il le reconnaît, "elle est palpable, on sent que c’est tendu."
Préparer l'après 11 mai
Pour la réouverture des parloirs à partir du 11 mai, il faudra aussi trouver des idées pour établir des parcours, aménager des salles. Le chef de bâtiment a déjà un coup d’avance et imagine demain, même si le protocole "confinement" ne va pas être levé du jour au lendemain. Les visites seront limitées à une seule personne par détenu. Il faudra repenser la salle d’attente, l’entrée des familles dans l’établissement et ça ne sera pas simple. Mais Christopher s’adapte, "on trouvera des solutions" promet ce grand optimiste avant d’ajouter être fier de son équipe, de la solidarité, de l’entraide. "Quand certains sont malades ou doivent garder leurs enfants, les autres reviennent sur leurs jours de repos. Il y en a même un qui est revenu sur son week-end pour couper les cheveux ! C’est normal, on se doit d’avoir une tenue propre et une bonne présentation, alors il est revenu pour nous couper les cheveux. D’autres on fait des masques en tissu. Je suis très heureux de cette entraide."
La crise sanitaire laissera des traces et le travail ne sera plus comme avant. De l’expérience en plus pour Christopher et une nouvelle mission aussi. Celle de, désormais, protéger les détenus.
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