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"On est complètement noyés" : face à la vague due au variant Omicron, les agents chargés du "contact tracing" débordés

Article rédigé par Eloïse Bartoli
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Une conseillère de la plateforme de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie (CPAM) de la région Bas-Rhin, en charge des activités de "contact tracing", le 25 mai 2020 à Strasbourg.  (FREDERICK FLORIN / AFP)

Le nombre record de nouveaux cas de Covid-19 met à mal la stratégie du gouvernement, qui est de "tester, tracer et isoler".

"Nous allons vous contacter dans le cadre de la lutte contre l'épidémie Covid 19." Voici le SMS envoyé par l'Assurance-maladie aux personnes testées positives au Covid-19. Mais parfois, l'appel ne vient jamais. Après la réception de ce message, nombreux sont ceux à avoir attendu le coup de fil, sans succès. Et pour cause : le taux d'incidence explose depuis la mi-décembre et les services chargés du traçage des cas contacts peinent à tenir la cadence.

"On a juste reçu ce texto et c'est tout", confirment Elwenn et Matéo, 24 ans tous les deux. Le couple, qui réside à Tours (Indre-et-Loire), a été testé positif le 22 décembre, après avoir effectué un test PCR. Ils se sont chargés de prévenir leurs proches, en espérant être ensuite mis en contact avec l'Assurance-maladie. Non vaccinés contre le virus, ils auraient souhaité obtenir des informations sur les démarches à effectuer. "On attendait cet appel pour en savoir plus sur les conditions de délivrance du certificat de rétablissement, raconte Matéo. On a finalement trouvé les réponses sur Google."

"On ne peut plus appeler tout le monde" 

Le protocole de prise en charge (hors situation exceptionnelle) prévoit que les patients testés positif reçoivent, avant l'échange téléphonique avec l'Assurance-maladie, ce SMS pour préparer l'entretien et renseigner les noms des cas contacts identifiés. Ensuite, l'un des téléconseillers formés au "contact tracing" se charge d'appeler le malade pour lui présenter la marche à suivre et définir avec lui la liste de ses cas contacts. Une procédure qui constitue l'essence même de la stratégie du gouvernement "d'isolement, de traçage, de contact tracing, de séquençage, de criblage", réaffirmée par le ministre de la Santé, Olivier Véran le 16 décembre, face au variant Omicron.

Mais, avec l'explosion récente des contaminations (la barre des 230 000 contaminés a été franchie le 31 décembre), les équipes de "contact tracing" se retrouvent débordées. "On est complètement noyés, on ne peut plus appeler tout le monde", confie Benjamin Sablier, représentant du personnel et délégué CGT de l'Assurance-maladie dans les Bouches-du-Rhône, qui regrette "des conditions de travail de plus en plus compliquées". Les difficultés s'accumulent aussi du côté de la plateforme d'appels entrants, qui représente près de 10% des effectifs du "contact tracing" de l'Assurance-maladie. Le syndicaliste recense un taux de décrochage de seulement 5 à 8% dans les Bouches-du-Rhône et un temps d'attente moyen pour un appelant estimé entre 2 et 3 heures, "des chiffres plutôt semblables aux données nationales".

"On a des besoins urgents dès maintenant"

Les effectifs avaient pourtant été musclés pour faire face à cette cinquième vague, avec même un peu d'anticipation. "A la suite du rebond épidémique survenu fin octobre, nous avons significativement renforcé les moyens", fait valoir l'Assurance-maladie, contactée par franceinfo.

"Depuis le début du mois de décembre, 6 000 personnes sont affectées à cette mission de tracing – soit un doublement des effectifs"

L'Assurance-maladie

à franceinfo

Mais certains renforts, prévus avant l'explosion des contaminations et essentiellement recrutés via des contrats d'intérimtardent à arriver. "La dernière fournée doit arriver le 15 janvier, alors que nous avons des besoins urgents dès maintenant", regrette le syndicaliste.

Depuis le mois de mars et la troisième vague de l'épidémie en France, l'Assurance-maladie priorise les appels téléphoniques vers les personnes testées positives. Les cas contacts, eux, reçoivent un SMS avec le lien d'un site internet contenant les informations utiles, mais ne s'entretiennent plus avec les téléconseillers. Malgré cette modification du protocole, la surcharge de travail pour les agents reste manifeste et peut avoir des effets sur la qualité des interventions. La mission de délivrance d'arrêts de travail dérogatoires s'est complexifiée avec l'augmentation rapide des cas positifs. Les arrêts ont été multipliés par sept ces dernières semaines, a ainsi appris franceinfo fin décembre. "Nous n'étions déjà pas à flot avant la crise sanitaire, on n'arrivera pas à gérer tous les dossiers dans les temps", alerte le représentant de la CGT.

Jonathan*, 30 ans, en a été le témoin. Ce salarié dans une entreprise de communication a été testé positif le 23 novembre avec un test antigénique réalisé en pharmacie. Lui a bien été appelé par l'Assurance-maladie le lendemain, mais les difficultés sont apparues au moment de se voir délivrer son arrêt de travail : "J'ai expliqué à mon interlocutrice que je n'en avais jamais eu de ma vie, que je ne connaissais pas les démarches. Elle m'a répondu que je recevrai le document dans une quinzaine de jours." Un délai jugé trop long par le jeune actif. "Mon employeur m'a dit que si l'arrêt n'arrivait pas, mon absence serait transformée en congés payés ou en congés sans solde. J'ai donc essayé d'appeler le numéro d'aide, mais impossible d'avoir quelqu'un au bout du fil, je me suis senti un peu abandonné", déplore-t-il.

"Une telle incidence, c'est du jamais-vu"

L'Assurance-maladie, chargée de cette prise de contact avec le tout-venant, met régulièrement à jour ses critères de priorisation des appels. "Au début, on devait traiter prioritairement les cas positifs au variant Omicron, mais la distinction n’existe plus depuis fin décembre, on prend les fiches au fil de l’eau", explique Stéphanie*, chargée de faire du "contact tracing" pour l'Assurance-maladie en Auvergne-Rhône-Alpes. Et l'agente d'ajouter : "Depuis les fêtes, lorsqu'on arrive le matin, on traite les dossiers qui remontent à la demi-journée précédente, nous n'appelons plus les testés positifs à J-1 ou J-2." Les personnes qui ne renseignent que des téléphones fixes, notamment les personnes âgées, sont également priorisées dans les appels car ces derniers ne pourront pas recevoir de SMS.

L'Assurance-maladie n'est pas la seule institution à devoir revoir son mode de fonctionnement face à l'explosion des cas. Les Agences régionales de santé interviennent également dans le "contact tracing" pour enquêter sur les cas positifs qualifiés de "complexes" pouvant être à l'origine de grands foyers de contamination. "Il y a une forte tension des services, il ne faudrait pas croire que c'est 'business as usual'", confirme-t-on du côté de l'ARS d'Ile-de-France, alors que la région est particulièrement touchée par la vague de contaminations au variant Omicron

"Une telle incidence, c'est du jamais-vu. Pour faire face, on a dû mettre en place une priorisation dans le traitement des signalements, explique Cécile Somarriba, directrice de la veille et sécurité sanitaire de l'ARS Ile-de-France. On se base sur deux critères : la population concernée, avec une priorité donnée par exemple à l'investigation des cas en Ehpad et dans toutes les collectivités fragiles. Le deuxième critère, c'est le nombre de cas confirmés au moment du début de l'enquête sanitaire. Nous traitons d'abord les situations les plus à risque."

"200 000 nouveaux cas, c'est ingérable"

Et alors que la situation pourrait encore de se tendre dans les prochains jours avec un pic épidémique attendu à la mi-janvier, la pertinence de ce travail de fourmi est remise en question, selon certains experts.

"La politique 'tester, tracer, isoler', ça marche bien lorsque l'on est à moins de 10 000 cas par jour."

Philippe Amouyel, épidémiologiste

à franceinfo

Pour ce médecin au CHU de Lille, "200 000 personnes positives quotidiennement, c'est ingérable. Lors de la deuxième vague à 50 000 cas, les équipes étaient déjà débordées". Selon lui, même un effort de recrutement ne suffirait pas : "Il faut le temps de les trouver, de les former, alors que c'est maintenant que ça explose. Et puis, on ne va pas pouvoir mobiliser une large population pour ce travail." 

Les annonces gouvernementales concernant l'allègement des critères d'isolement ne devraient pas pour autant soulager les agents chargés du "contact tracing". "Ces nouvelles règles, ça va faire perdre un peu de temps au début puisque je suis devenue une forme d’automate à force de répéter la même chose à chaque appel. Nous allons un peu tâtonner les premiers jours, mais cela redeviendra vite la routine", prédit Stéphanie*.

* Les prénoms ont été modifiés.

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