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Enquête franceinfo Les pratiques de Fabrice Di Vizio, l'avocat des antivaccins, sont-elles "réglos" ?

Article rédigé par Benoît Zagdoun - Mathilde Gracia
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 14min
L'avocat Fabrice Di Vizio, lors d'une manifestation contre le pass sanitaire, le 14 août 2021 à Paris. (SAMEER AL-DOUMY / AFP)

Figure des opposants au pass sanitaire, ce spécialiste des plaintes groupées a fait l'objet d'une procédure de la commission de déontologie du Conseil de l'ordre du barreau de Paris.

Il est partout. Dans les manifestations des antivaccins et des opposants au pass sanitaire aux côtés de Florian Philippot, sur le plateau de "Touche pas à mon poste" ou sur le trottoir du studio de Cyril Hanouna quand il refuse de se soumettre au contrôle par QR code, sur les réseaux sociaux où il abreuve sa communauté de tweets et de longs monologues en vidéo en direct... Au fil de l'épidémie de Covid-19, l'avocat Fabrice Di Vizio a émergé comme une figure de la contestation de la gestion de la crise sanitaire.

Principal fait d'armes de celui qui assure la défense de Didier Raoult : avoir rédigé le modèle de plainte qui a mené à la mise en examen d'Agnès Buzyn, l'ex-ministre de la Santé, devant la Cour de justice de la République. Quatre jours après "cette victoire" pour lui, Fabrice Di Vizio annonce pourtant, mi-septembre, à la surprise générale, qu'il se retire du combat politique, judiciaire et médiatique dans lequel il s'est tant investi – en dépit de cette déclaration, il reste cependant très mobilisé sur les réseaux sociaux. 

Le lendemain, franceinfo révèle en fait qu'il est visé par une procédure de la commission de déontologie du Conseil de l'ordre du barreau de Paris. Selon les informations de franceinfo, des clients de l'avocat se sont plaints. L'intéressé assure ne pas en avoir été informé et conteste tout lien entre sa décision et cet examen de son cas par ses confrères. Franceinfo s'est penché sur les pratiques de Fabrice Di Vizio.

Il entend aider "la résistance"

A la fin du mois de juin 2021, Fabrice Di Vizio a déposé avec son épouse les statuts de l'Association d'information et de défense de la santé publique et environnementale (ADSPE). La structure n'a qu'une raison d'être : fournir sur son site internet et contre quelques euros les "outils juridiques de la résistance". Des plaintes ou des recours sur lesquels il ne reste qu'à ajouter son prénom, son nom et son adresse, signer et envoyer le tout à la juridiction concernée.

Pour deux euros, l'internaute a le choix entre trois modèles de plainte. Les deux premières sont à adresser à la Cour de justice de la République. L'une vise à la fois le Premier ministre Jean Castex et le ministre de la Santé Olivier Véran, l'autre concerne le ministre de l'Education nationale Jean-Michel Blanquer. La troisième cible Olivier Véran et est à expédier à son Conseil départemental de l'ordre des médecins, en Isère. Le site internet a depuis été fermé. 

Un objectif plus politique que judiciaire

L'ADSPE propose aussi de s'associer à deux recours contre le pass sanitaire et la vaccination obligatoire. Le premier coûte 1,20 euro. Le second, destiné aux soignants, est facturé entre 120 euros pour les infirmiers ou les aides-soignants et 360 euros pour les médecins. La participation comprend aussi un possible futur référé à envoyer à leur tribunal administratif local, s'ils sont sanctionnés en raison de leur refus d'être vaccinés.

"Le but n'est pas tant d'obtenir gain de cause – ça je ne sais pas. Le but, c'est de faire pression sur le gouvernement."

Fabrice Di Vizio

sur YouTube

Fabrice Di Vizio ne manque jamais une occasion de faire la promotion de ses procédures. Son objectif est plus politique que judiciaire, il ne s'en cache pas. "Nous avons la possibilité ni plus ni moins de faire sauter le système de l'intérieur, de venir saturer le système. Il ne faut absolument pas s'en priver, assène-t-il dans l'une de ses vidéos. Vous ne risquez absolument rien." Un appel à porter plainte relayé par Florian Philippot en manifestation.

L'avocat Fabrice Di Vizio aux côtés du fondateur du mouvement d'extrême droite Les Patriotes, Florian Philippot, lors d'une manifestation contre le pass sanitaire, le 28 août 2021 à Paris. (SAMEER AL-DOUMY / AFP)

Ses procédures rencontrent un vif succès. Sur quelque 14 500 plaintes reçues par la justice en août, "6 ou 7 000" ont été téléchargées sur le site de l'association, avance l'avocat sur la plateforme Twitch. Interrogé récemment par franceinfo, il minimise toutefois, n'en dénombrant qu'"entre 3 000 et 4 000", "peut-être 5 000". Quant au recours fusionné contre le pass sanitaire et la vaccination obligatoire, l'avocat affirme l'avoir présenté au nom de "70 000 personnes", d'après les documents remis au Conseil constitutionnel début août.

A la mi-septembre, Fabrice Di Vizio met pourtant un coup d'arrêt à ces activités. Dans une série de messages publiés sur Twitter, l'avocat annonce pêle-mêle qu'il compte dissoudre son association, parce que "le site [lui] coûte trop cher", qu'il va céder ses parts dans son cabinet, prendre "le large tant désiré" et "précipiter un projet qui [lui] tenait tellement à cœur". "Je retournerai faire ce que j'aime plus que tout : m'occuper de ma fille et de ses chevaux", lance-t-il.

Des clients "complètement désemparés"

L'annonce laisse ses clients "complètement désemparés", reconnaît l'avocat, qui dit avoir reçu "plus de 600 mails" et assure que "deux avocats et trois juristes" sont mobilisés pour y répondre. Certains demandent à être remboursés. Car Fabrice Di Vizio prodigue également ses conseils dans des vidéoconférences qu'il fait payer 30 euros. "Elles sont remboursées aux gens qui ont fait des recours", plaide l'avocat.

A condition qu'ils en fassent la demande à l'association par e-mail. "L'intendance prend du temps", prévient sur Twitter l'ADSPE, visiblement submergée de demandes, qui annonce, quatre jours après la mise en retrait de Fabrice Di Vizio, avoir déjà remboursé "une trentaine d'inscrits aux recours collectifs" ainsi que "tous les étudiants ayant réglé des formations"

"L'ensemble des recours qui a été fait par mon cabinet continue d'être suivi."

Fabrice Di Vizio

à franceinfo

Pourtant, des plaignants sont dans l'expectative. "Je n'ai pas un gros salaire et j'avais estimé pouvoir leur faire confiance", glisse une quinquagénaire qui a participé au recours. "A ce stade, il n'y a pas grand chose à faire", résume le courriel du cabinet Di Vizio, consulté par franceinfo, lui annonçant l'échec du recours, tout en lui proposant de poursuivre le combat, sans aucun frais, avec un autre recours, contre l'extension du pass sanitaire aux adolescents. Un peu perdue, cette femme, employée d'une collectivité, ne sait plus très bien si elle a déjà reçu ou non le référé la concernant.

Une aide-soignante, elle, n'a aucun regret. "Personne ne m'a forcée, lâche-t-elle. Je peux encore investir dans une cause et pour des raisons qui me semblent justes. Je l'ai fait en conscience de l'échec possible. Je n'ai pas été manipulée par maître Di Vizio", assure-t-elle. "Très affectée" cependant, elle n'a pas encore décidé si elle allait pousser jusqu'au référé.

L'avocat Fabrice Di Vizio, lors d'une manifestation contre le pass sanitaire, le 17 juillet 2021 à Paris. (MAXPPP)

L'action judiciaire en série et au forfait est une spécialité de Fabrice Di Vizio. Le collectif Les Pendus en sait quelque chose. Il a confié à l'avocat environ 400 dossiers de commerçants, de restaurateurs ou d'indépendants ayant pâti du confinement et en demandant réparation. "On l'a vu sur les plateaux télé, sur les réseaux, ça nous a décidés, raconte Christophe Chirat, administrateur du collectif. Il avait cet avantage déterminant qu'il était spécialisé en santé publique."

"Peut-être qu'on s'est trompé, mais on le saura plus tard."

Christophe Chirat, client de Fabrice Di Vizio

à franceinfo

"On avait été contacté par d'autres, mais on nous demandait des sommes, certainement légitimes, mais au moins cinq fois supérieures. On n'aurait jamais pu demander autant aux gens, poursuit le restaurateur. On n'aurait pas pu y aller sans cet accord avec lui. On a déterminé un forfait de 100 euros par commerçant. Ça comprend tout, du début à la fin. C'est individualisé. C'est réglo."

Des actions "qui ne donnent pas grand chose"

Jean-Paul Hamon, président d'honneur de la Fédération des médecins de France (FMF), garde lui un très mauvais souvenir du cabinet Di Vizio. C'était en 2011. Le médecin avait fait appel à l'avocat pour le défendre face à son prédécesseur, Jean-Claude Régi, qui contestait son élection à la tête de la FMF. "Il était moins cher que les autres, mais il se payait sur les plaintes groupées. Il voulait tout le temps qu'on en fasse et ça ne débouchait sur rien. On a rapidement arrêté de bosser avec lui", se souvient le médecin. Et de conclure : "Il exploite les gogos, c'est tout."

Malgré les mises en garde de la Fédération des médecins de France, l'Union française pour une médecine libre (UFML) engage elle-aussi Fabrice Di Vizio en 2014. L'UFML bataille contre la loi Touraine et fait appel à l'avocat pour des conseils juridiques. "C'était un garçon charmant, se souvient le président Jérôme Marty. Au début, on le trouvait plutôt pas mal, mais on s'est aperçu que ses actions ne donnaient pas grand chose." A l'époque déjà, l'avocat prodigue également ses conseils aux professionnels de santé dans des vidéos. Des conférences que l'on peut louer ou acheter en ligne pour 4 à 16 euros environ.

L'UFML dit avoir découvert les méthodes de son conseil. "On a été alerté par des adhérents qui nous ont dit qu'il les avait démarchés pour les pousser à lancer des actions de groupe. Ce n'était pas des sommes fortes, mais il l'avait fait dans notre dos, c'était éminemment scandaleux", fustige Jérôme Marty. 

"Il fait partie de ces profiteurs de crise, de ces gens qui nous ont ralentis dans la lutte contre le Covid-19, en propageant des idées fausses, avec des morts à la clé. Il y a plein de gens fragiles qui les suivent."

Jérôme Marty, président de l'Union française pour une médecine libre

à franceinfo

Contacté par franceinfo pour répondre à ces accusations, Fabrice Di Vizio n'a pas répondu à nos nombreuses sollicitations, mais il y a réagi dans un de ses lives sur Twitch, dénonçant des accusations "gratuites", "couvertes par le secret".

L'efficacité de ces plaintes en question

Les pratiques de l'avocat hérissent les professeurs de droit contactés par franceinfo. "La Cour de justice de la République n'est compétente que pour des infractions pénales visant des ministres. Or, en pénal, il n'existe pas d'action de groupe, expose Bruno Py, professeur de droit pénal à l'université de Lorraine. Di Vizio juxtapose des plaintes pénales, mais qu'il y ait un plaignant, 10, 100 ou 1 000, ça ne change rien."

"Ces plaintes, parce qu'elles sont toutes identiques, ne rajoutent rien à la saisine de la Cour de justice de la République, puisqu'elle est déjà saisie des mêmes faits. Il n'y a pas de nouveau plaignant qui se rajoute, puisqu'il n'y a pas de plaignant particulier devant la CJR", poursuit Didier Rebut, professeur de droit pénal à l'université Panthéon-Assas. 

"Il vend du vent, de l'inefficacité juridique. Il n'y a pas escroquerie. On est sur de l'exploitation de la crédulité", tance Bruno Py. "Cette multiplication de plaintes n'a aucune utilité juridique, confirme Didier Rebut. Ce dépôt massif de plaintes est un défouloir strictement vindicatif. Ça encombre la commission des requêtes qui est obligée d'en prendre connaissance."

Des pratiques très lucratives

"Il suffirait d'un seul [recours], confirme lui-même Fabrice Di Vizio sur Twitch. On peut imaginer n'en faire qu'un seul. Pourquoi j'en ferai qu'un seul ? Pourquoi les confrères auraient le droit de prendre les dossiers par centaines et pourquoi je n'en prendrai plus qu'un." Et de poursuivre : "Si je comprends bien, ce qu'on me reproche, c'est d'avoir potentiellement gagné de l'argent sur la crise, là où j'aurais dû continuer à en perdre."

Selon L'Express et Le Journal du dimanche (articles payants), l'avocat dit gagner entre 18 000 et 25 000 euros par mois, grâce à des dossiers de cliniques de médecine esthétique. "On me prête des propos que je n'ai jamais tenus", argue l'intéressé. "On se fait l'écho que je gagne très bien ma vie, ce qui est parfaitement vrai", plastronne-t-il néanmoins.

Quant aux après-midis qu'il a le temps de passer à s'occuper des chevaux qu'il entraîne, il rétorque que c'est l'avantage d'exercer une profession libérale et qu'il lui arrive de répondre à des e-mails jusqu'à tard dans la nuit. 

"Je ne veux pas de votre argent et ceux qui ne l'ont pas encore compris sont des abrutis."

Fabrice Di Vizio

sur Twitch

Fabrice Di Vizio assure que l'association reversera l'intégralité des fonds perçus via les plaintes en ligne à la caisse de solidarité du Syndicat Liberté Santé, émanation du collectif RéinfoCovid, créé par l'anesthésiste marseillais Louis Fouché, autre figure du mouvement antivaccin et antipass, sur qui Fabrice Di Vizio ne tarit pas d'éloge. Moins d'une semaine après avoir annoncé son retrait de la vie publique, tout en poursuivant ses lives sur Twitch et ses interviews dans des médias choisis, l'avocat a annoncé sa candidature aux prochaines élections législatives, avec le soutien de Florian Philippot. Il espère ainsi "faire taire toute rumeur".

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