Pass vaccinal : les commerçants peuvent-ils vraiment exiger de leurs clients une pièce d'identité ?
Selon le Conseil constitutionnel, seules les forces de l'ordre peuvent exiger la présentation d'un document d'identité pour vérifier que le pass sanitaire est bien celui du client qui le présente, mais une phrase inscrite dans le projet de loi adopté jeudi laisse planer le doute.
C'est une petite phrase dans le projet de loi sur le pass sanitaire adopté par l'Assemblée nationale jeudi 6 janvier à l'aube : dans les lieux où il est exigé, par exemple au restaurant, ou au cinéma, "il peut être exigé, en cas de doute sur ces documents, la présentation d’un document officiel d’identité". Le projet de loi doit encore être examiné au Sénat en début de semaine prochaine et le calendrier initial du gouvernement, qui prévoyait une entrée en vigueur le 15 janvier, semble difficile à tenir. Mais la formulation, en l'état, sème le doute.
On ne connaît pas encore le cadre précis dans lequel cette proposition s'inscrit, mais elle signifie en l'état qu'un commerçant pourra demander une carte d’identité ou un passeport pour vérifier que le nom inscrit sur le QR code correspond bien à celui de son client. L'objectif du gouvernement est d'empêcher les fraudes au pass vaccinal. Le ministre de l'Intérieur avançait fin décembre le chiffre de 182 000 fraudes au pass sanitaire, liées notamment à des usurpations d'identité. Sauf que jusqu'à présent, seuls les forces de l'ordre pouvaient réaliser des contrôles d'identité pour vérifier les pass.
C'est un principe qu'a rappelé le Conseil constitutionnel l'été dernier : les commerçants et gérants de lieux soumis au pass sanitaire peuvent, en substance, contrôler que leurs clients ont bien un pass sanitaire valide dans leur poche ou sur leur téléphone. Par contre, seules les forces de l'ordre peuvent exiger la présentation d'un document d'identité pour vérifier que le pass est bien celui du client.
Un buraliste peut déjà exiger une pièce d'identité
Dès lors, comment le gouvernement justifie de changer la donne pour le pass vaccinal ? "Il y a le contrôle d'identité qui relève uniquement des forces de police et de gendarmerie, indique à cet égard le Premier ministre Jean Castex jeudi 6 janvier. Et puis il y a la vérification d'identité : quand vous payez par chèque, on vous demande votre pièce d'identité. Ce que je veux vous dire c'est que ce n'est pas nouveau de faire ces contrôles d'identité..." "Et on fait confiance !, ajoute le chef des députés LREM Christophe Castaner. On fait confiance à celui qui a la responsabilité de contrôler la minorité d'un jeune homme ou d'une jeune femme qui vient dans son bar : il a déjà cette capacité."
En effet, il existe dans le droit français certains cas où il est obligatoire de prouver son identité à des personnes qui ne sont pas des policiers et des gendarmes. Ainsi, un buraliste peut exiger une carte d'identité pour être sûr de vendre ses cigarettes uniquement à des personnes majeures. Idem, dans les bars pour la vente d'alcool, comme l'impose le Code de la santé publique. Ou encore pour entrer dans un casino, comme l'impose de son côté le Code de la sécurité intérieure. Les commerçants doivent aussi demander une preuve d'identité avant d'accepter les chèques pour éviter les fraudes, comme l'impose aussi le Code monétaire. Juridiquement, il ne s'agit donc pas d'un contrôle d'identité mais d'une vérification, à laquelle il est possible de s'opposer.
La Défenseure des droits a exprimé ses réserves
On ne connaît pas encore le fond juridique de cette mesure et il faudra sans doute attendre l'adoption définitive par le Parlement et les décrets d'application. Le Conseil d'État a d'ores et déjà signifié qu'elle se justifiait au regard des impératifs de santé publique. De son côté, la Défenseure des droits s'est dit inquiète de voir des citoyens non formés exercer une forme de pouvoir de police sur la simple base de doutes sur une éventuelle fraude au pass vaccinal. Et que pointe un risque de discrimination. Les députés Les Républicains ont d'ores et déjà annoncé qu'ils saisiront le Conseil constitutionnel sur cette question.
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