Pourquoi la Chine n'abandonne pas sa stratégie "zéro Covid" malgré la contestation de la population
Face à la contagiosité du variant Omicron, Pékin peine à endiguer le nombre de contaminations. Malgré la colère des habitants et les conséquences pour l'économie du pays, le pouvoir central n'entend pas infléchir sa position.
Après Shanghai, Pékin va-t-elle à son tour être mise sous cloche ? Depuis mars, la Chine affronte une flambée épidémique de Covid-19 liée au variant Omicron du Sars-CoV-2 dans au moins 17 de ses régions. Les autorités ont fait part, jeudi 28 avril, de 11 285 nouveaux cas, dont 9 791 cas asymptomatiques. Des chiffres élevés pour un pays qui vise le "zéro contamination". A Pékin, plus d'une centaine de cas positifs ont été recensés depuis la semaine du 18 avril, dont 50 rien que mercredi, et les Pékinois craignent de subir à leur tour un confinement drastique.
Depuis la découverte du virus, fin 2019 à Wuhan, le pouvoir central applique une stratégie "zéro Covid" définie par le tryptique "tester, tracer, isoler". Cette politique vise à empêcher à tout prix la circulation du virus en identifiant et isolant au plus vite les personnes infectées. L'Australie et la Nouvelle-Zélande ont un temps misé sur cette approche, avant de l'abandonner à l'automne 2021, débordées par la progression du variant Delta.
Aujourd'hui, la plupart des pays dans le monde ont fait le choix de vivre avec le virus, mais la Chine continue d'imposer un confinement à des millions de personnes dans des circonstances parfois très dures. "La persévérance apportera la victoire, a martelé Xi Jinping le 14 avril. Nous devons respecter la rigueur scientifique, la stratégie de zéro Covid." Car en dépit de son coût de plus en plus élevé, cette bataille sanitaire est aussi politique pour le président chinois.
La population âgée insuffisamment vaccinée
Jusqu'à l'apparition du variant Omicron, la stratégie "zéro Covid" a permis à la Chine d'éviter un confinement de l'ensemble du pays. Au moyen de confinements localisés, de tests massifs et d'isolement des malades, Pékin a limité son bilan total à moins de 5 000 morts et 200 000 cas depuis le début de l'épidémie fin 2019, selon les chiffres officiels, qui n'intègrent pas les asymptomatiques et restent très inférieurs aux estimations internationales.
Mais concernant la vaccination, des disparités existent au sein de la population. Selon les données de Our World in Data*, 1,25 milliard d'habitants présentent un schéma vaccinal complet, soit 88% de la population, mais le taux de vaccination reste faible chez les plus âgés. Le 18 mars, seuls 51% des plus de 80 ans avaient reçu deux doses et 20% avaient reçu une troisième dose, selon la Commission nationale de la santé chinoise, citée par Le Monde (article payant). A Shanghai, les autorités ont déclaré le 19 avril que les deux tiers des plus de 60 ans avaient reçu deux injections et moins de 40% d'entre eux, une dose de rappel.
"'Zéro Covid' ne fait pas de différence entre les infections graves et les infections légères, ce qui explique pourquoi la Chine n'a pas mis la priorité sur la vaccination des personnes âgées."
Yanzhong Huang, spécialiste des politiques de santé en Chinedans "The Lancet"
"Le pouvoir central a privilégié la vaccination des gens qui travaillent et qui se déplacent, plutôt que celle des populations vulnérables", rajoute auprès de franceinfo Valérie Niquet, spécialiste de la Chine à la Fondation pour la recherche stratégique. Or, le système de santé chinois est mal adapté à ces populations, qui ont davantage de difficultés à se déplacer ou s'informer, car l'essentiel des soins se fait à l'hôpital. "Le taux de vaccination est correct en ville, mais dans les campagnes, on a très peu d'informations", poursuit Valérie Niquet.
La population âgée est aussi plus réticente à se faire vacciner à cause de rumeurs infondées selon lesquelles les vaccins auraient des effets indésirables pour elle. "Beaucoup refusent donc la vaccination, d'autant plus que la croyance dans les vertus de la médecine traditionnelle chinoise est très forte dans ces tranches d'âge", analyse l'épidémiologiste Antoine Flahault auprès de L'Express.
Des vaccins pas assez efficaces
La question de la vaccination est d'autant plus importante que les seuls vaccins disponibles dans le pays – les vaccins chinois Sinovac et Sinopharm à virus inactivés – sont moins efficaces que ceux à ARN messager, notamment contre le variant Omicron et son sous-variant BA.2.
Selon un article de la revue scientifique The Lancet* publié le 20 avril, l'essai en phase 3 du vaccin Sinopharm a montré que deux doses étaient efficaces à 79% contre une infection symptomatique et que Sinovac était efficace à 51%. En comparaison, le vaccin à ARNm Pfizer-BioNTech présente une efficacité de 95% contre une infection symptomatique, relève l'OMS. Cette efficacité relative a conduit en mars les ressortissants français en Chine à demander à Paris l'envoi en urgence de vaccins à ARNm pour se protéger.
Malgré la situation, le pouvoir central n'entend pas importer pour le moment des vaccins à ARNm Pfizer ou Moderna. "Pékin veut montrer qu'elle est suffisamment puissante et organisée pour gérer seule l'épidémie", explique à franceinfo Jean-Louis Rocca, professeur à Sciences Po et spécialiste de la Chine.
"Maintenir la stratégie 'zéro Covid' est une question de légitimité politique auprès de la population et de compétition avec les pays étrangers, notamment les Etats-Unis."
Jean-Louis Rocca, spécialiste de la Chineà franceinfo
Depuis deux ans, les médias d'Etat chinois ne cessent de diffuser une propagande sur les échecs de l'Occident face à la circulation du virus et louent au contraire les réussites de la Chine.
Un système de santé saturé
La Chine a-t-elle seulement les moyens de changer de politique et de laisser déferler le virus ? En empêchant quasiment toute contamination depuis le début de l'épidémie, les autorités n'ont pas laissé l'immunité se développer au sein de la population. Elles craignent de se retrouver dans une situation similaire à Hong Kong, qui affronte une cinquième vague dévastatrice depuis l'émergence du variant Omicron, et ce malgré sa stratégie "zéro Covid".
"La Chine n'a pas beaucoup de choix. Si elle assouplit ses restrictions, il y aura inévitablement un très grand nombre d'infections et de décès", prévient dans The Lancet* Zhengming Chen, professeur d'épidémiologie à l'université d'Oxford. A titre d'exemple, si les taux de mortalité actuels à Hong Kong étaient appliqués à la population chinoise, il y aurait plus de 50 000 morts par jour en Chine, illustre le Journal du dimanche (article payant).
Une situation intenable pour le système de santé chinois, déjà saturé et caractérisé par de très fortes disparités. Si les villes disposent de grands hôpitaux avec des médecins et des moyens, les campagnes manquent de centres et de soignants. En janvier, une femme enceinte de huit mois a fait une fausse couche après s'être vu refuser l'entrée d'un hôpital à Xi'an (Nord), car elle n'avait pas de test de dépistage valable. Dans une vidéo* devenue virale en avril, mais censurée par le pouvoir, des habitants ont dénoncé le refus de prise en charge des malades non-Covid, faute de place.
"Le système de santé chinois est incapable d'absorber l'épidémie actuelle. C'est une des raisons de la poursuite de la politique 'zéro Covid'."
Mary-Françoise Renard, économiste spécialiste de la Chineà franceinfo
D'autres voix se sont élevées contre l'approche "zéro Covid". Zhong Nanshan, l'épidémiologiste chinois qui avait reçu des mains de Xi Jinping la médaille de la République en 2020 pour son rôle dans la lutte contre le Covid-19, est désormais censuré après qu'il a écrit que cette stratégie n'était pas tenable à long terme.
Dans un article publié dans la revue Nature*, des scientifiques chinois suggèrent de développer les consultations à distance pour les infections les plus bénignes et de stocker davantage de masques, de blouses et de respirateurs dans les hôpitaux communautaires. Une approche qui permettrait, selon eux, de changer de trajectoire en "avril et mai 2022".
Xi Jinping face à sa réélection
A ce jour, il est peu probable qu'ils soient entendus par Pékin. La Chine est confrontée depuis le début de l'année à un ralentissement de son économie provoqué par les mesures de quarantaine, et Xi Jinping a fait de la relance économique sa priorité. Selon le quotidien américain Wall Street Journal*, le président chinois a ordonné à son administration de faire en sorte que la croissance du pays soit supérieure à celle des Etats-Unis cette année.
La Chine entend atteindre une croissance du PIB de 5,5% en 2022. Une telle performance permettrait à Pékin de confirmer la supériorité de son modèle sur celui de la démocratie à l'occidentale. Mais avec le confinement de Shanghai, moteur économique du pays, et auparavant de la métropole technologique de Shenzhen, cet objectif semble de plus en plus hypothétique. "La situation économique est mauvaise, les transports sont bloqués, les usines à l'arrêt, les sites de construction fermés", décrit le chercheur Jean-François Rocca.
"La légitimité du Parti communiste est basée sur sa capacité à protéger la population et à lui assurer un bon niveau de vie. Avec le 'zéro Covid', il y a une contradiction entre protection et prospérité."
Jean-François Roccaà franceinfo
Reconnaître un échec dans cette stratégie signifierait que le Parti n'est plus le meilleur gouvernement possible. Un aveu inconcevable, d'autant plus que le XXe Congrès du Parti communiste doit avoir lieu à l'automne et que Xi Jinping joue sa réélection. Relâcher les mesures de confinement, au risque d'affronter une vague meurtrière, affaiblirait durement le président sortant. Pour Jean-François Rocca, Pékin fait désormais face à "un tournant pour ses politiques publiques, mais aussi pour son régime."
* Tous les liens suivis d'un astérisque pointent vers des contenus en anglais.
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