Souveraineté pharmaceutique : "Relocaliser de vieux médicaments en France n'est pas une bonne idée", lance un économiste
Ce n'est pas un problème d'expertise mais d'imposition et de lenteurs bureaucratiques, explique Frédéric Bizard qui suggère un "Airbus du vaccin" pour envisager d'être de nouveau compétitifs.
Quinze milliards d'euros du plan de relance du gouvernement seront destinés à l'innovation et à la relocalisation. Mais "relocaliser de vieux médicaments en France n'est pas une bonne idée", selon Frédéric Bizard, spécialiste des questions de protection sociale et de santé. Invité vendredi sur franceinfo, l'économiste pense qu'il faut une "bonne stratégie" et "raisonner à l'échelle européenne".
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franceinfo : Pourquoi la France a-t-elle perdu sa souveraineté dans le secteur pharmaceutique ?
Frédéric Bizard : Il faut dresser un peu un état des lieux. La France a été une terre théoriquement très fertile sur le plan de la production pharmaceutique, puisqu'on a été leader européen jusqu'aux années 2007-2008, mais nous sommes numéro 4 aujourd'hui. Il est intéressant de regarder pourquoi on a perdu des parts de marché. Il y a plusieurs raisons. Il y a une raison en effet de compétitivité liée à des coûts de production qui ont plutôt plus augmenté que dans les autres pays. Ces fameux impôts, notamment sur la production, dont on parle beaucoup et dont on va enfin démarrer un petit peu la baisse. La deuxième chose c'est que, sur le plan de l'environnement, de la recherche et développement, sur le plan scientifique, alors que la France a vraiment une expertise et des ressources assez exceptionnelles, on a fait rentrer une bureaucratie et une sur-administration dans les processus qui ont découragé pas mal de laboratoires internationaux.
Je vous prends juste un seul exemple : le temps d'accès au marché pour un médicament en France est de l'ordre de 500 jours alors qu'il est de 100 jours en Allemagne.
Frédéric Bizard, spécialiste des questions de protection sociale et de santéà franceinfo
Il y a trois instances, la Haute Autorité de Santé, l'ANSM, la Commission d'évaluation des produits de santé. Donc, il faut vraiment ne pas faire de la cosmétique. C'est vraiment un changement structurel profond.
Pensez-vous que cette souveraineté peut-être restaurée, comme le souhaite le président Emmanuel Macron ?
On parle beaucoup de milliards d'euros, mais pour être utilisés à bon escient, ils doivent s'appuyer sur une réforme de fond. Les pays qui produisent beaucoup plus, comme l'Allemagne, comme la Suisse, ont développé une force en matière d'innovation, en matière de recherche et de développement beaucoup plus importante que nous. Il faut une bonne stratégie. En France, 85% de la capacité de production de médicaments repose sur des vieux médicaments. Or, il est évident que, du fait de notre modèle social et donc du coût de ce modèle social, il faut aller vers des médicaments à forte valeur ajoutée. C'est sur ça qu'il faut avoir de la souveraineté. Avoir de la souveraineté sur le paracétamol n'a aucun intérêt. Vous pouvez le gérer par des stocks. Il faut probablement des stocks plus importants en cas de pandémie comme on a là. Mais relocaliser de vieux médicaments en France, je trouve que ce n'est pas une bonne idée.
La France a-t-elle les moyens des ambitions du président ?
La France est un terreau historique en matière de médecine et de recherche. On a des compétences qui sont de niveau mondial, on a des laboratoires de recherche qui sont de niveau mondial. Mais il faut raisonner à l'échelle européenne parce que les concurrents face à nous ne sont pas seulement l'Allemagne et la Suisse, ce sont les États-Unis et la Chine. Il faut qu'il y ait une réflexion aussi pour avoir la masse critique suffisante en matière d'investissement et aussi pour mutualiser un certain nombre de procédures et raisonner à l'échelle de l'Europe. Le seul problème, c'est que l'Europe de la santé n'existe pas dans les traités. On pourrait créer, par exemple, l'Airbus du vaccin. On l'a fait dans l'aéronautique comme sur des secteurs extrêmement capitalistiques qui demandent beaucoup de moyens. On pourrait envisager, à défaut d'avoir l'Europe de la santé, un consortium entre quelques grands pays historiques comme l'Allemagne, comme la Suisse, comme le Royaume-Uni, qui permette véritablement de peser sur le marché mondial, et là, de retrouver une souveraineté sanitaire pour la France mais à travers ce consortium entre plusieurs pays européens.
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