Cet article date de plus de deux ans.

Témoignages Comment le Covid-19 a propagé la fatigue psychologique "au fil du temps et des confinements"

Article rédigé par Guillemette Jeannot
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
La pression liée aux contraintes sanitaires, pour endiguer l'épidémie de Covid-19, pèse de plus en plus sur le mental des Français.  (JESSICA KOMGUEN / FRANCEINFO)

Les fêtes de fin d'année se dérouleront encore sous le signe de la pandémie. Une pression sanitaire qui pèse de plus en plus sur le moral des Français. 

"Depuis pratiquement deux ans, je suis dans un ascenseur émotionnel et c'est usant." Marie, 35 ans, a ressenti cette usure la semaine dernière quand elle a appris qu'elle était cas contact après avoir déjeuné avec un de ses collègues sur son lieu de travail. "Je suis lasse, fatiguée de devoir suivre sans cesse ces mesures sanitaires", reconnaît la jeune femme, prestataire dans une administration parisienne. "On se précipite pour faire des restos et voir des expositions en attendant que l'épée de Damoclès au-dessus de nos têtes tombe", déplore-t-elle, redoutant un éventuel couvre-feu ou confinement.

Depuis le début de la pandémie de Covid-19 en mars 2020, la santé mentale des Français se dégrade, selon l'enquête menée par Santé publique France sur l'évolution des comportements et de la santé mentale pendant l'épidémie. La dernière publication, datée du 25 novembre, rapporte que 17% des Français montrent des signes d'un état dépressif, soit 7 points de plus par rapport au niveau hors épidémie, et 23% des signes d'un état anxieux, soit 9 points de plus qu'avant le début de la crise sanitaire.

Une anxiété que vous avez partagée à travers l'appel à témoignages lancé par franceinfo sur la menace sanitaire omniprésente dans les esprits et qui se traduit par une fatigue, physique et psychologique, de plus en plus grande à vivre en période d'épidémie.

"Une incertitude depuis bientôt deux ans"

"Le Covid ? Je n'y pense pas, il est constamment là, c'est une charge mentale permanente !" s'exclame Adam, 22 ans. Pour cet étudiant strasbourgeois, en histoire et en chant lyrique, le masque porté à longueur de journée est devenu "le symbole" de ce poids psychologique. Ce jeune ténor a mal vécu les précédents confinements qui l'ont obligé à mettre en pause sa vie sociale et ses études. Alors, il essaie tant bien que mal de faire comme si de rien n'était pour garder "la niaque". Mais la menace "que tout peut s'arrêter là maintenant" est tapie "dans un coin de [sa] tête".

"Cette incertitude et cette absence de contrôle depuis bientôt deux ans viennent jouer sur la santé mentale", remarque Alicia Fournier, chercheuse en psychologie de la santé et maître de conférence en psychologie du sport à l'université de Bourgogne-Franche-Comté.

"Certaines personnes, qui n'avaient pas réagi fortement au début de l'épidémie, deviennent plus anxieuses par lassitude et par diminution de leur résilience. Chez d'autres, plus fragiles émotionnellement, cela peut conduire à un abandon."

Alicia Fournier, chercheuse en psychologie

à franceinfo

Cette situation fait craindre à Alicia Fournier "un épuisement psychique de la société" mal anticipé par l'Etat. Pour la chercheuse, ce dernier a privilégié l'immédiateté en cherchant à protéger la population et à limiter la propagation du virus. "Mais il a oublié de considérer, en même temps, l'impact de cette épidémie sur la santé mentale et il y a un moment où l'on va avoir des conséquences importantes", prévient-elle.

Le ministère de la Santé a toutefois mis en place dès le début de l'épidémie des dispositifs de prévention concernant la santé mentale. Et à partir de 2022, les consultations chez les psychologues libéraux seront remboursées "pour toute la population" sur prescription médicale, a annoncé le président de la République en septembre.

"Le stress devient plus insidieux"

Penser à prendre un masque à chaque sortie, peser le risque de contamination avant de voir des proches ou encore s'isoler à la moindre notification de cas contact sont des contraintes devenues quotidiennes. "Au fil du temps et des confinements, le stress devient plus insidieux", avoue Juliette, cheffe de projet dans le domaine culturel, qui redoute plus que tout un retour du télétravail. "Au début, quand on a dû travailler depuis chez soi, j'ai commencé à parler de moins en moins avec mes collèges, puis de peur d'être de mauvaise compagnie, je n'ai plus voulu sortir." 

Face à ces angoisses, son médecin lui a prescrit des antidépresseurs qu'elle tente aujourd'hui d'arrêter, après avoir quitté Paris et emménagé à Libourne (Gironde).

"Mon médecin m'a tout de suite rassurée en me disant que sur les 10 patients qu'elle avait vus le même jour elle avait prescrit des anxiolytiques à cinq personnes et des antidépresseurs à deux autres."

Juliette

à franceinfo

Depuis le début de l'épidémie, l'utilisation des médicaments anxiolytiques et hypnotiques est en "forte augmentation" et s'est "encore amplifiée en 2021", souligne un rapport de l'Agence du médicament (ANSM). Sur le premier trimestre de l'année, la primo délivrance d'antidépresseurs a augmenté de 23% et celle d'anxiolytiques de 15,2%.

"On ne voit toujours pas le bout du tunnel"

Malgré la menace des variants Delta et Omicron, Juliette n'envisage pas pour l'instant de réduire sa vie sociale, car cela aggraverait, selon elle, son état psychologique. "J'en ai marre de ces règles ! Même si je les comprends, à un moment ça suffit", clame-t-elle. Pour Alicia Fournier, cette attitude est compréhensible. "Nous ne voyons toujours pas le bout du tunnel et certaines personnes peuvent être épuisées et lâcher toutes les règles de sécurité sanitaire", analyse-t-elle.

Avec le temps, le dilemme entre l'envie d'avoir une vie sociale et l'application des consignes sanitaires devient compliqué. "Il y a une espèce de culpabilité qui s'installe, reconnaît la spécialiste en psychologie de la santé. D'un côté, on veut arrêter de vivre dans cette peur continuelle et retrouver sa vie d'avant. Et de l'autre, on se dit qu'il y a encore des gens qui meurent et qu'il faut tenir bon si un jour on veut revivre normalement."

Certains, comme Jean-Paul, 68 ans, peinent à trouver un équilibre. Ce grand-père à la retraite, à Thurey-le-Mont (Doubs), a toujours envie de protéger ses proches, mais il se pose la question pour lui-même.

"Le jeu en vaut-il la chandelle ? Tant de sacrifices pour mener une vie rabougrie, est-ce encore un projet exaltant ?"

Jean-Paul

à franceinfo

"Quand mon épouse me demande ce qu'on fait la semaine prochaine, je ne réponds plus car je n'en sais rien", souffle-t-il avec lassitude. La crise sanitaire a mis fin, non seulement à ses projets de voyage, mais aussi à un dernier grand projet qui était de faire construire une maison en ville, dans la région de Besançon (Doubs). Le permis de construire n'a pu être déposé à temps, en raison d'administrations paralysées au début de l'épidémie, ce qui a conduit à l'annulation de l'achat du terrain. "Deux ans plus tard, nous sommes trop vieux pour nous lancer à nouveau dans ce projet", se désole Jean-Paul.

"Je prendrai une aide extérieure"

Pour Anne-Bérangère, 39 ans, gérer le risque de ramener le virus à la maison ou de contaminer un de ses proches est devenu "une préoccupation permanente". "Là je me pose la question du marché de Noël organisé par l'école : est-ce que j'y vais ou non ?" s'interroge cette professeure des écoles à Lille (Nord). Le retour des restrictions sanitaires lui pèse "énormément". Pour les fêtes de fin d'année, le Conseil scientifique invite par exemple les Français à limiter le nombre d'invités et à pratiquer un autotest"Tant qu'il n'y avait pas de vaccin, j'étais très stressée, j'avais mis en place des mesures draconiennes à la maison. Avec le vaccin, cela s'est assoupli, mais il y a des périodes comme celle-ci qui ravivent les craintes", lâche la mère de famille.  

"Dans ces moments-là, je deviens plus vite irrationnelle et je panique rapidement."

Anne-Bérangère

à franceinfo

Un cercle vicieux bien identifié en psychologie de la santé. "Les émotions ont un rôle très important dans la prise de décision notamment la peur qui conduit à une hyper vigilance, détaille Alicia Fournier. Associée à plus de pessimisme et à une plus forte inquiétude, la peur amène à donner plus d'importance aux petites probabilités et à surestimer le risque réel." 

D'un naturel enjoué, Anne-Bérangère ne veut pas ternir son image auprès des siens. Donc elle n'extériorise pas son "ressentiment profond". "Mais si cela ne s'améliore pas je pense que je prendrai une aide extérieure", admet-elle. Une attitude qu'encourage Alicia Fournier : "C'est central de pouvoir exprimer ses émotions afin d'éviter à notre corps de somatiser et de développer un trouble psychique ou autre." Le ministère de la Santé a mis à disposition via Santé publique France une série de conseils et de contacts, tels que les sites Covidout.fr ou Psycom.org, afin de prendre soin de sa santé mentale pendant l'épidémie. Une liste d'aides à laquelle Alice Fournier ajoute la méthode de réévaluation positive. "Elle permet d'extraire le positif du négatif ce qui est fort utile dans ces temps incertains", conclut-elle.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.