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"Un déchirement de vivre cet instant à distance" : face au confinement, les funérailles et le deuil chamboulés

Le confinement n'épargne pas les obsèques. Jusqu'à nouvel ordre, les inhumations et les crémations doivent se limiter au premier cercle familial. Face à ces règles, les pompes funèbres, les représentants religieux et les familles s'adaptent comme ils le peuvent.

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Un homme fait face au cercueil de sa mère lors de funérailles à Seriate, près de Bergame, en Italie, le 20 mars 2020.  (PIERO CRUCIATTI / AFP)

Josette* est morte il y a une semaine à Marseille. Elle souhaitait être enterrée dans son village natal, en Corse. Son cercueil est parti deux jours plus tard, seul, par le dernier bateau reliant le continent à Ajaccio. "Sans nous, ses enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants et arrière-arrière-petite-fille", écrit Camille* à franceinfo. "Nous avions appelé l'agence régionale de santé qui nous avait fortement déconseillé de venir, sous peine d'être bloqués sur l'île pendant au moins 14 jours."

Ses proches devront attendre la fin de la période de confinement pour aller lui rendre un dernier hommage. "Je vous laisse imaginer notre peine, notre chagrin, notre déchirement de ne pas avoir été présents et de vivre cet instant à distance, confie Camille. Notre seul petit réconfort, c'est de se dire qu'elle ne s'inquiétera plus de savoir si sa famille est en bonne santé, confinée et ne manquant de rien."

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Comme Camille, toutes les personnes ayant perdu un proche depuis le début du confinement doivent s'occuper des obsèques et vivre leur deuil dans des conditions inédites. Pour enrayer la propagation du Covid-19, les pompes funèbres et les lieux de culte se sont pliés à des règles drastiques : les inhumations et crémations doivent se limiter au tout premier cercle familial, seules 20 personnes peuvent accompagner le défunt dans les cimetières ou crématoriums, et les lieux de culte ont dû bien souvent fermer leurs portes. Quatre personnes ont ainsi été verbalisées dimanche 22 mars, pour avoir assisté à l'enterrement d'une de leurs proches, dans le Calvados. "Nous devons limiter au maximum les déplacements et même dans cette circonstance, nous ne devons pas déroger à la règle", a admis le Premier ministre, Edouard Philippe, sur France 2. 

"L'église était si vide"

Michel a perdu sa belle-mère deux jours avant la mise en place du confinement général. Son départ s'est fait "naturellement", à l'âge de 95 ans. "La première difficulté, c'est que la maison de retraite était fermée au public, seule mon épouse a pu s'y rendre", raconte ce retraité du Var. Sa belle-mère avait rédigé ses volontés et souhaitait une cérémonie religieuse catholique, mais toutes les églises du coin avaient fermé leurs portes et les prêtres refusaient de se déplacer, pour leur sécurité ou pour respecter les consignes sanitaires.

"Finalement, c'est un de ses fils qui s'est démené et a trouvé un prêtre qui a accepté de se rendre au cimetière pour une célébration", poursuit Michel. Avec son épouse, ils se sont accordés pour ne pas publier l'avis de décès le jour même des obsèques et éviter une concentration de personnes au cimetière. Seuls les enfants et leurs conjoints ont pu assister à la mise en terre, dans un cimetière particulièrement désert. 

Il n'y a pas eu de cérémonie à l'église, juste son cercueil posé sur des tréteaux au cimetière et nous qui gardions nos distances. Tout s’est passé dans le regard, dans les paroles, tout le monde était conscient de la situation.

Michel, retraité dans le Var

à franceinfo

Eric, éleveur de vaches dans le Limousin, a ressenti la même sensation étrange de vide et de solitude lors des obsèques de sa grand-mère. Le jour des funérailles, seul le premier cercle familial a pu se rendre à l'église collégiale, une bâtisse imposante construite au milieu de Saint-Yrieix-la-Perche (Haute-Vienne), une petite ville de 6 700 habitants. "On s'est tous munis de notre attestation cochée 'motifs impérieux'. On est arrivés dans le village sous le soleil, c'était presque vide", décrit Eric.

Nous étions cinq sur le parvis alors qu'il aurait été noir de monde en temps normal. Cela aurait dû être comme ça pour ma grand-mère. J'ai alors senti tout le poids de cette période exceptionnelle.

Eric, éleveur dans le Limousin

à franceinfo

Durant la cérémonie, le prêtre et les proches ont lu des textes à tour de rôle, face aux bancs vides et dans un silence pesant. "On s'est vraiment sentis seuls. L'église était vide au point que mon regard s'attardait sur des détails que je ne regarde jamais, les vitraux, les gargouilles, le chemin de croix... Habituellement, on croise plutôt le regard des gens", décrit-il. 

Des pompes funèbres sous pression

Depuis le début de l'épidémie, les pompes funèbres se retrouvent elles aussi débordées. "Nous sommes confrontés à une situation sans précédent. On découvre les problèmes au jour le jour", confie Marceau*. Pour ce responsable d'une agence des Hauts-de-France, les enterrements se succèdent dans une atmosphère surréaliste. "Nous avons fermé l'agence pour interdire l'accès au public. Il n'y a qu'une seule personne qui reçoit sur rendez-vous", détaille le directeur. Les familles peuvent venir sur place organiser les obsèques, mais en très petit comité, et en veillant à garder les distances de sécurité. Les enterrements se réalisent également à huis clos. 

Les familles nous disent : 'On ne va pas enterrer notre père comme un chien !' C'est très dur pour elles...

Stéphane, employé d'une entreprise de pompes funèbres de Loire-Atlantique

à franceinfo

Ces restrictions sont encore plus drastiques à Mulhouse (Haut-Rhin), l'une des villes françaises les plus touchées par l'épidémie. Dans la commune, les pompes funèbres ont désormais pour consigne de procéder à des inhumations ou à des crémations directes, sans cérémonie. "Le cimetière de Mulhouse refuse, depuis aujourd'hui [le mercredi 18 mars], l'accès aux personnes endeuillées", témoigne Anne Lantz, directrice générale des Pompes funèbres Lantz. "Ce matin, on a eu un jeune de 25 ans mort du Covid-19. Quand sa mère a appris que le cimetière n'acceptait plus la présence de la famille, ça a été une nouvelle très très difficile. Elle était venue exprès avec son mari pour se recueillir autour du cercueil."

Dans le cas des défunts contaminés par le Covid-19, le protocole est encore plus strict : "On va à l'hôpital avec le cercueil et quand on arrive, les personnes sont déjà dans des housses renforcées et stérilisées. On procède à la mise en bière immédiate, et on ferme le cercueil", qui est ensuite désinfecté. "Il faut être conscient que les familles ne revoient pas leur proche, c'est assez terrible", souligne tristement Marceau.

Cela manque de monde, de chaleur humaine, de fleurs aussi.

Marceau, responsable de pompes funèbres dans les Hauts-de-France

à franceinfo

En plus de la difficulté à annoncer aux familles ces restrictions, les agents funéraires sont confrontés à une autre angoisse : celle d'être contaminés. "Nous ne faisons pas partie des professions qui bénéficient d’un masque alors qu’on est au plus près des défunts et des familles qui sont potentiellement contagieuses, déplore Marceau. Et nous n'avons aucune idée de la contagiosité post mortem."

Une deuxième inhumation en Algérie

A l'autre bout de la France, à Marseille, Mohamed Khous travaille dans une agence qui s'occupe essentiellement des musulmans. Son entreprise s'est pliée aux nouvelles règles : pas de rassemblement, pas plus de deux personnes dans la salle de toilette, espacement d'au moins un mètre entre les personnes durant la prière... "On a dû s'adapter, on ne fait plus la janaza [prière mortuaire] à l'intérieur, mais à l'extérieur, dans des endroits réservés au cimetière", explique-t-il.

La plupart des défunts sont enterrés dans les carrés musulmans, mais d'autres souhaitent être inhumés à l'étranger, dans leur pays d'origine ou dans le pays d'origine de leur famille, une volonté impossible à réaliser avec la fermeture des frontières"Une dame a décidé d'enterrer son mari à Aix-en-Provence puis, quand les frontières rouvriront, d'exhumer son corps et de l'inhumer à nouveau en Algérie", explique Mohamed Khous.

Il y a des défunts qui ont toute leur famille au bled et qui vont être enterrés en France. Leur famille ne verra jamais leur corps car ils ne peuvent pas être rapatriés maintenant.

Mohamed Khous, agent dans une société de pompes funèbres à Marseille

à franceinfo

Mêmes restrictions pour les cérémonies juives. "Nous avons limité les personnes qui souhaitent suivre les funérailles à 20 personnes, ce qui est très difficile pour les familles, et nous avons fermé les synagogues", explique Richard Wertenschlag, grand rabbin à Lyon. Le kaddish, prière de sanctification pour accompagner les morts, est très difficilement organisable à l'heure actuelle.

Laisser les malades et les défunts dans la solitude n'est pas conforme aux règles du judaïsme, mais nous sommes obligés de nous en tenir aux règles.

Richard Wertenschlag, grand rabbin à Lyon

à franceinfo

Dans l'Eglise catholique, des aménagements ont été mis en place pour protéger les prêtres souvent âgés. "Des prêtres plus jeunes vont remplacer si possible les laïcs qui s'occupent des obsèques quand ceux-ci ont plus de 70 ans", explique Raphaël Bui, prêtre aveyronnais. Les gestes liturgiques seront limités. "Si la procession est demandée par la famille, elle sera invitée à s’approcher, à se signer et à s’incliner devant le cercueil sans le toucher", précise un document de la conférence des évêques de France daté du 16 mars 2020. 

Un deuil impossible

Dans cette situation, comment faire son deuil ? Pour les familles contactées par franceinfo, les conditions exceptionnelles constituent une épreuve supplémentaire. Certaines choses, qui pourraient être un détail à l'ordinaire, prennent tout leur sens en cette période, comme l'impossibilité de trouver des fleurs, après la fermeture des commerces non essentiels, dont font partie les fleuristes.

Je me rends compte ces derniers jours que les fleurs ont une vraie utilité. Ce ne sont que des petites choses, mais qui mises bout à bout font que le deuil est beaucoup plus difficile à amorcer et à concrétiser.

Marceau, responsable de pompes funèbres dans les Hauts-de-France

à franceinfo

Cette impossibilité d'inhumer correctement ses proches peut être traumatisante, et peser sur le processus de deuil. "Le rituel de l'enterrement a son importance. Cela permet de matérialiser la perte", explique Marie Boudoux d'Hautefeuille, psychologue. "Chez certaines personnes, cela va créer un traumatisme, mais chez d'autres, cela ira. Peut-être aussi que comme beaucoup de gens ne travaillent plus, ils sauront être plus disponibles pour entourer les gens qui ont perdu un proche, en leur téléphonant ou en leur envoyant un mail, par exemple." 

Des alternatives pourraient être mises en place : Olivier Géhin, directeur du développement du groupe funéraire Dabrigeon, réfléchit déjà à "un canevas de cérémonie à distance, avec des textes, musiques et photos, permettant aux gens de participer depuis chez eux". "On peut tout à fait créer des cérémonies a posteriori", ajoute Marie Boudoux d'Hautefeuille. Une décision déjà prise pour Michel, qui a perdu sa belle-mère. "Dès que la situation le permettra, on organisera une cérémonie religieuse. Et on suivra enfin convenablement ses volontés." 

*Le prénom a été changé

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