Covid-19 : l'hôpital entre méfiance et impatience avant la réintégration des soignants non vaccinés
A l'occasion de la réintégration des soignants non vaccinés contre le Covid-19, qui entre en vigueur lundi 15 mai, nous republions cet article initialement mis en ligne en avril.
Depuis son départ, Nicolas est parfois revenu boire le café avec certains collègues. "Ça fait plus de 20 ans que je travaille ici, ils connaissent mes enfants, il n'y a pas de problème entre nous", assure ce transporteur d'organes à l'hôpital de Montpellier, suspendu depuis septembre 2021 parce qu'il refusait d'être vacciné contre le Covid-19. Un avis de la Haute Autorité de santé (HAS) a ouvert la voie, fin mars, à sa réintégration et à celle de quelques centaines de professionnels de santé qui, comme lui, s'opposaient à l'obligation vaccinale pour les soignants. Comment les concernés appréhendent-ils ce retour ? Et leurs collègues vaccinés, eux, les attendent-ils ? Pour le moment, l'incertitude règne chez les soignants avec lesquels franceinfo s'est entretenu. Aucun décret actant la réintégration des suspendus n'a encore été publié et il faudra sûrement patienter jusqu'à l'été et un nouvel avis de la HAS, attendu en juillet.
Des questions qui se posent
Médecins, infirmiers, aides-soignants... Nicolas les côtoyait au quotidien avant d'être écarté. "Eux, je ne sais pas comment ils vont le prendre. Quand j'ai croisé mon responsable, c'était très froid, je pense qu'il n'est pas favorable à notre retour", pressent-il. Contrairement à lui, certains n'ont pas remis les pieds sur leur lieu de travail depuis un an et demi.
A l'idée de retourner à l'hôpital, Elsa Ruillère, porte-parole très médiatique des soignants non vaccinés, évoque "la crainte d'être mal accepté par les collègues". Selon elle, le personnel de santé opposé à la vaccination contre le Covid-19 a été "insulté pendant deux ans". Des questions pratiques se posent aussi. "Est-ce qu'on sera réintégrés dans le même service ? Quand est-ce que la décision sera effective ?" s'interroge ainsi Elsa Ruillère.
>> Combien de soignants ont été suspendus pour avoir refusé de se vacciner contre le Covid-19 ?
Avant d'être éventuellement réintégré, Nicolas aimerait obtenir réparation pour les mois de salaires perdus et être assuré de retrouver son ancien service hospitalier "sans être jeté comme un mouchoir trois mois plus tard". "Mon objectif, c'est que cette réintégration se passe le moins mal possible", a assuré le ministre de la Santé, François Braun, au micro de France Bleu.
La crainte d'être ostracisés
Avant sa mise à l'écart, Nicolas se souvient des conflits qu'il a pu avoir avec des médecins et des infirmiers au sujet du vaccin contre le Covid-19. "Ça a été très tendu le dernier mois", se rappelle-t-il. Malgré tout, il n'appréhende pas son potentiel retour : "Entre temps, je me suis séparé de ma femme, j'ai dormi dans ma voiture pendant trois semaines, je n'ai pas eu de salaire pendant des mois, j'ai fait des petits boulots, donc j'en ai vu d'autres, on relativise."
Le père de famille assure qu'il ne sera pas "dans la provoc" avec ses collègues. Celui qui a marché de Montpellier à l'Elysée pour défendre sa cause prévient quand même : "Si les chefs se comportent avec moi comme avec les autres personnels, il n'y aura pas de souci." Adélaïde, orthophoniste à l'hôpital de Périgueux suspendue depuis 18 mois, "espère qu'ils ne vont pas nous désavantager dans les plannings ou me refuser mon temps partiel par exemple".
"Avec les collègues, il y aura des discussions houleuses, mais on ne peut pas être d'accord sur tout, on aurait aussi pu se fâcher sur l'éducation des enfants ou sur les élections."
Adélaïde, orthophoniste suspendueà franceinfo
Après une grève de la faim de 44 jours, Adélaïde se réjouit de retrouver l'hôpital pour " aller jusqu'au bout de la lutte". Même si elle se défend de tout prosélytisme auprès des patients, elle compte tout de même utiliser l'affichage dans les couloirs de l'établissement pour faire la promotion, par exemple, d'une conférence ou d'un débat organisé par son collectif de lutte contre l'obligation vaccinale.
Des avis partagés sur leur retour
C'est ce que craignent plusieurs soignants restés en première ligne depuis ces longs mois d'épidémie. "Le risque, c'est que les prises de position contre la vaccination augmentent", estime Sarah Carmaux, cadre chargée du recrutement et de la gestion du pôle femmes-enfants à l'hôpital de Montreuil. "On a réussi à éradiquer pas mal de maladies grâce aux vaccins, on travaille en pédiatrie, on a un devoir vis-à-vis des parents", estime-t-elle.
"Ces propos peuvent fragiliser l'acceptabilité de la vaccination au sein de la population."
Sarah Carmaux, cadre supérieure de santéà franceinfo
Au-delà d'une question "éthique", Patrick Daoud, chef du service de réanimation néonatale à l'hôpital de Montreuil, pointe une différence de traitement. "U n certain nombre de soignants se sont fait vacciner alors qu'ils n'en avaient pas envie, mais ils l'ont fait par devoir. En tant que manager, je trouve que ça serait une iniquité par rapport à eux." Le pédiatre est donc opposé au retour de ceux qui ont refusé de se faire vacciner pendant la pandémie, même si quatre agents suspendus n'ont pas été remplacés dans son service. Le chef de service assure néanmoins qu'il les accueillera "normalement, ni mieux ni moins bien".
"Je garderai mon avis pour moi, et évidemment, ils auront le même traitement que les autres."
Patrick Daoud, chef du service de réanimation néonataleà franceinfo
"Ils ont fait un choix, ils l'ont assumé assez durement... Si la loi les autorise à revenir, il n'y a pas à discuter", estime Françoise Gaillard, sage-femme. "Evidemment, chacun peut donner son opinion, mais de manière raisonnable. Si c'est pour que les collègues soient exclus des équipes et qu'ils se prennent des réflexions à longueur de temps, ça ne sera pas possible", prévient l'élue CGT au CHU de Montpellier. La syndicaliste promet qu'elle veillera au grain et va solliciter la direction pour "réfléchir à des solutions en amont" et "ne pas attendre que ça se passe mal".
"On aimerait discuter avec les encadrants des équipes pour savoir quels soutiens ils peuvent apporter aux agents suspendus. On pense à des dispositifs de médiation, de soutien psychologique."
Françoise Gaillard, sage-femmeà franceinfo
Certains établissements ont commencé à réfléchir à la question. Au CHU de Dijon, six professionnels, dont trois soignants, sont toujours suspendus. La direction assure à franceinfo qu' "un dispositif d'accompagnement pour leur réintégration est prévu par les ressources humaines", sans donner davantage de précision.
Jerome Choteau, aide-soignant dans un Ehpad de Perpignan, se dit de son côté "soulagé" de pouvoir compter à nouveau sur une de ses collègues suspendus. Selon lui, pendant la pandémie, "ça n'a pas été facile". Et d'évoquer "des moments difficiles", "avec parfois trois ou quatre personnes en moins". Dans les Ehpad comme à l'hôpital public, "on est déjà en manque de personnel, alors les suspendre, c'était aberrant", estime de son côté Julie Baillon, infirmière dans une clinique à Lorient.
"Ça a mis à mal le système de santé. On s'est retrouvés encore plus en sous-effectifs."
Julie Baillon, infirmièreà franceinfo
Aurélie Sinna, infirmière à l'hôpital Bichat à Paris, se réjouit aussi de retrouver ces soignants non-vaccinés. Et de conclure : "De nombreux services sont sous tension avec des unités fermées et des lits fermés, faute de présence infirmière. Si ça permet de les rouvrir et de soigner plus de malades, je suis pour."
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