Covid-19 : on vous explique comment les vaccins vont être scrutés après leur mise sur le marché en France
En France, les premières vaccinations contre le Covid-19 doivent débuter en janvier. Et de gros renforts vont être déployés pour surveiller les potentiels effets secondaires liés aux vaccins.
Elle sera la clé de voûte de la campagne de vaccination contre le Covid-19. La pharmacovigilance va devoir relever plusieurs défis en 2021 : préciser l'efficacité et les risques des vaccins et répondre aux craintes des Français, très méfiants à l'égard de la vaccination. Les premiers vaccins qui seront disponibles dès janvier en France ont été élaborés en un temps record, et font donc l'objet de doutes en termes de sécurité et d'efficacité.
Pour les lever, les systèmes de surveillance vaccinale seront renforcés, fait savoir l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Objectif : confirmer dans un temps record le bénéfice recherché, celui de diminuer le nombre d'hospitalisations et de morts liés à l'épidémie de Covid-19. Il faudra également "identifier les éventuels effets indésirables qui n'auraient pas été observés lors des essais cliniques." Pour cela, les rouages de contrôle se préparent à faire face à de nombreuses inconnues.
Une phase d'évaluation "en vie réelle"
L'équation est complexe. Six candidats vaccins précommandés pour l'Union européenne, quatre technologies différentes utilisées et un calendrier de vaccination à définir. Le tout pour répondre à un enjeu de santé inédit. L'ampleur de l'épidémie de Covid-19 a accéléré les pendules de la science. Il faut à présent s'assurer qu'elles ne se soient pas emballées. Les candidats vaccins contre le Covid-19 passeront au tamis du Comité des médicaments à usage humain (CHMP), tout comme leurs prédécesseurs, assure l'Agence européenne des médicaments (EMA), en charge de l'attribution des mises sur le marché.
Une fois les précieuses autorisations de mise sur le marché (AMM) délivrées, une nouvelle phase d'évaluation de ces vaccins s'ouvrira. D'une part via la poursuite d'études industrielles et académiques à plus long terme (phase 4) des personnes ayant été impliquées dans les essais cliniques de phase 3. Mais surtout, "en vie réelle". Les vaccins seront injectés à plusieurs centaines de milliers de personnes, ce qui permettra de faire remonter d'éventuels effets indésirables non observés lors des étapes précédentes.
Tout médicament présente des effets secondaires, rappellent les scientifiques. Les vaccins, dont ceux contre le Covid-19, ne dérogent pas à la règle. Reste à savoir quels seront ces effets indésirables. "Les essais cliniques sont adaptés à l'évaluation du bénéfice mais restent insuffisants pour l'étude du risque médicamenteux puisqu'ils incluent trop peu de malades, sont trop courts ou excluent trop souvent les sujets à risque", explique le Centre régional de pharmacovigilance de Toulouse.
"Seul un suivi après la commercialisation permet de bien préciser les effets indésirables et donc le rapport bénéfice/risque du médicament."
Le centre régional de pharmacovigilance (CRPV) de Toulousesur son site web
Les instances responsables de ce suivi sont donc dans les starting-blocks : les publications scientifiques et les données des essais cliniques sont scrutées pour établir une première liste"évolutive" d'effets indésirables à surveiller, explique Rosemary Dray-Spira, directrice adjointe de la structure Epi-phare (un comité indépendant qui travaille avec l'ANSM et l'Assurance-maladie) qui mène des études de pharmaco-épidémiologie. "On sait par exemple que les essais cliniques n'ont inclus que peu de personnes très âgées ou de personnes ayant eu des formes graves du Covid-19", explique-t-elle. La surveillance de ces populations sera donc accentuée. En amont, ses équipes évaluent les risques de pathologies classiques auxquels sont exposées ces catégories de personnes, afin de pouvoir détecter rapidement un "risque différentiel" pathologique lié à la vaccination.
La survenue d'effets indésirables dans les premières populations vaccinées outre-Manche est également l'objet de tous les regards, alors que le Royaume-Uni a débuté sa campagne de vaccination le 7 décembre. "Quand on commencera à vacciner en France, les Anglais auront déjà vacciné plus d'un million de personnes, pointe Bernard Bégaud, professeur de pharmacologie qui a présidé pendant quatorze ans la commission sur les essais cliniques de l'ANSM. Cela nous sera très précieux, car on aura ainsi un recul d'au moins un mois sur une vaccination de masse."
Un traçage inédit
"Tous les nouveaux vaccins sont systématiquement surveillés de plus près", explique Annie-Pierre Jonville-Bera, présidente du Réseau français des centres régionaux de pharmacovigilance. Et les vaccins contre le Covid-19 bénéficieront en plus de dispositifs inédits : "On va faire des enregistrements les plus systématiques possibles pour ne rien laisser passer, on va les surveiller de très près", explique la médecin.
Pour ce faire, le "formulaire de signalement sera adapté afin de recueillir des données supplémentaires relatives aux vaccins Covid-19", précise l'ANSM. Ce dernier, disponible en ligne via la plateforme signalement-santé est, en l'état, "extrêmement fastidieux", dénonce Cathy Gaches, présidente de Réseau des victimes d'accidents vaccinaux (Revav). "La majorité des gens n'en connaissent pas l'existence" et la constitution des dossiers par les patients ou les membres du personnel médical est laborieuse. Les médecins et les pharmaciens sont soumis à l'obligation de déclarer tout effet indésirable suspecté d'être dû à un médicament. Une campagne de communication à destination du grand public sera menée, précise l'agence de santé.
Une grande plateforme, nommée SI-Vaccination, complétera le dispositif. Pensée pour s'inscrire en "amont de la déclaration", elle rassemblera de nombreuses informations sur la provenance et les conditions de distribution du vaccin, sur le profil des patients ou encore sur les conditions d'inoculation. Elle permettra un accès facilité au portail de signalement. De quoi réjouir les médecins généralistes, qui demandaient la mise en place d'un outil leur permettant de faire remonter un maximum d'informations sur la vaccination, tout en organisant le suivi des patients concernés.
"Dans les vaccins que l'on connaît actuellement (grippe, hépatite B...), on sait qu'après trois mois, il n'y a plus rien en termes d'effets secondaires, même pour les effets très rares. L'enjeu, avec ces nouveaux vaccins, c'est de s'en assurer."
Annie-Pierre Jonville-Bera, présidente du Réseau français des centres régionaux de pharmacovigilanceà franceinfo
En parallèle, des études de pharmaco-épidémiologie seront menées par plusieurs instances, dont Epi-phare, sur les personnes vaccinées et sur des groupes spécifiques pour identifier d'éventuels événements indésirables graves. "L'Inserm va aussi suivre des cohortes dans la population pour analyser d'éventuels événements indésirables", a également assuré la semaine passée Alain Fischer, professeur d'immunologie chargé par le gouvernement de piloter la stratégie vaccinale en France, dans les colonnes du JDD (article payant).
Les données de pharmacovigilance ainsi récoltées seront publiées chaque semaine par l'ANSM pour informer en temps réel, avec transparence, l'évaluation qui est faite du rapport bénéfices-risques de la campagne de vaccination. L'agence européenne promet d'en faire de même, en publiant ouvertement, sur une base de donnée européenne, les rapports sur les effets indésirables qui lui seront transmis.
Comment fonctionne la pharmacovigilance ?
— ANSM (@ansm) October 12, 2018
Retrouvez l’organisation de la pharmacovigilance 2017 dans notre #RapportAnnuel : https://t.co/FCxjawdV5B pic.twitter.com/zrnTFXHhcG
Les agences régionales de pharmacovigilance, qui maillent le territoire, analyseront les déclarations récoltées "afin de confirmer le lien entre le médicament et la pathologie" et transmettront l'alerte. "Dans la base française de pharmacovigilance et (...) spécifiquement à l'agence (ANSM)", explique Annie-Pierre Jonville-Bera. Les signaux remontés peuvent être des effets non connus ou des effets indésirables connus, mais présentant une gravité supérieure à ce qui était attendu. Pour qu'ils soient détectés, nul besoin d'une multitude de déclarations, rassure la pharmacologue : "Pour émettre un signal, un seul cas suffit. Il faut seulement qu'il soit bien documenté avec toutes les informations cliniques nécessaires à l'analyse."
Les alertes traitées au cas par cas
Des moyens techniques et humains supplémentaires doivent permettre de faire face à cette campagne massive de vaccination contre le Covid-19, annonce l'ANSM. Un module d'intelligence artificielle sera notamment mis à la disposition des centres pour faciliter la classification des déclarations qui devraient leur parvenir. Ces déclarations seront ensuite investiguées par les professionnels de ces centres, indépendants des laboratoires pharmaceutiques. "S'il est marqué sur la notice qu'il peut y avoir une réaction cutanée, une plaque rouge au lieu d'injection, il ne faut pas le déclarer à moins qu'elle soit anormalement étendue ou qu'elle se complique d'une nécrose par exemple", insiste Annie-Pierre Jonville-Bera, qui craint un engorgement inutile du système.
"Il faut bien faire les choses, pour chaque cas qui remontera. Il ne faudra ni mettre en cause le vaccin à tort, ni passer à côté d'un signal."
Annie-Pierre Jonville-Bera, présidente du Réseau français des centres régionaux de pharmacovigilanceà franceinfo
Côté pharmaco-épidémiologie, la remontée centralisée d'informations et de signaux doit permettre de lancer des études approfondies en un temps record, espère Rosemary Dray-Spira. "On compte sur cette remontée accélérée (...). Notre objectif, c'est d'être très réactifs, de ne pas mettre six mois à répondre, explique-t-elle. Analyser les données de millions de personnes, c'est quelque chose qu'on sait faire. Là, l'enjeu, c'est qu'on est dans un degré très élevé d'incertitude et de non-connaissance, comme tous les autres acteurs. On va devoir partir dans beaucoup de directions différentes en même temps."
"Si un signal de sécurité est validé, des mesures adaptées à la nature du risque seront mises en place, précise l'ANSM sur son site. Ces mesures auront pour objectifs de prévenir ou réduire la probabilité de survenue du risque chez les personnes vaccinées." Au Royaume-Uni, la détection de deux cas de réaction allergique importante au vaccin de Pfizer-BioNTech a conduit l'agence britannique du médicament à déconseiller de vacciner "toute personne ayant un historique de réaction allergique importante à des vaccins, des médicaments ou de la nourriture". Reste que, si ces réactions peuvent être liées à la spécificité du vaccin germano-américain (qui utilise la technique ARN), ce type d'effets n'en demeure pas moins assez fréquent et commun à tous les médicaments.
La réactogénicité des vaccins – c’est-à-dire la capacité du vaccin à produire des réactions indésirables classiques telles que des réactions inflammatoires (rougeur, fièvre...) – fera l'objet d'une vigilance accrue, assurent les autorités de santé. Les essais cliniques laissent penser qu'elle est principalement bénigne et éphémère, mais les données "en vie réelle" pourraient faire changer la donne. Ce qui est parfaitement normal, souligne Bernard Bégaud : "On ne sait pas ce qui peut se passer, s'il y aura des effets secondaires et quels seront-ils. Et c'est normal. La pharmacovigilance est un système ouvert qui a l'habitude de la surprise, qui sait la traiter et qui n'est pas enfermé dans un rôle réglementaire", explique-t-il. "On va avoir quelques millions de personnes qui vont être vaccinées dans les premières phases. Ce n'est pas gigantesque par rapport à ce que surveille d'habitude la pharmacovigilance", tient à rappeler le pharmacologue.
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