Cet article date de plus de trois ans.

Info franceinfo Covid-19 : des membres du conseil d'administration de l'Hôpital américain de Neuilly ont bénéficié de "vaccins coupe-files"

Alors que la campagne de vaccination contre le Covid-19 se déroule par étape en France, certains établissements de santé pratiquent la vaccination "coupe-file". C'est le cas de l'Hôpital américain de Paris, établissement privé de Neuilly-sur-Seine, qui a procédé en janvier à la vaccination d’une partie de ses "gouverneurs", a appris franceinfo de sources concordantes.

Article rédigé par Stéphane Pair
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Vue extérieure de l'Hôpital américain de Paris, à Neuilly-sur-Seine. (JACK GUEZ / AFP)

Alors que des médecins et des personnels soignants de l’Hôpital américain de Paris travaillant dans des secteurs potentiellement exposés au Covid-19 attendent toujours leur première injection, la direction de l'établissement, situé à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine), a procédé durant le mois de janvier à la vaccination contre le coronavirus d'une vingtaine de ses "gouverneurs" mais aussi de certains de ses donateurs, a appris franceinfo de sources concordantes.

Les membres du Board of Governors (équivalent anglo-saxon d’un conseil d’administration) ont été invités à se faire vacciner dans l’établissement privé franco-américain, comme le confirme à franceinfo Bruno Durieux, gouverneur honoraire de l’Hôpital américain et ancien ministre délégué à la Santé de 1990 à 1992. "J’ai été appelé pour me faire vacciner à la médecine du travail de l’Hôpital américain le 14 janvier dernier. Je viens de recevoir ma seconde dose début février, raconte Bruno Durieux, âgé de 76 ans. Tous les gouverneurs étaient invités à le faire." Pour rappel, la campagne de vaccination des Français de plus de 75 ans et des personnes atteintes de pathologies à haut risques a débuté le 18 janvier dernier.

Coupe-file ou passe-droits ?

Le Board of Governors de l’Hôpital américain, qui est entièrement financé grâce aux levées de fonds, est constitué d’une quarantaine de personnalités internationales (françaises, américaines, japonaises) dont des grands capitaines d’industrie, dirigeants d’entreprise, banquiers, diplomates, avocats, etc. La plupart de ces "gouverneurs" sont âgés mais ce n'est pas le cas de tous comme le millionnaire Arnaud Lagardère (59 ans) ou la femme de Bruno Bouygues, Helen Lee Bouygues (45 ans). Une majorité n’exerce aucune fonction dans le domaine de la santé. Ils ne se rendent que très occasionnellement à l’Hôpital américain, lors des réunions du Board principalement.

Selon plusieurs sources concordantes au sein de l'établissement, en plus d’une partie des "gouverneurs", d’éminents donateurs et membres âgés de leurs familles ont également été invités à bénéficier des premières injections Pfizer, en contradiction apparente avec les règles édictées par la Haute Autorité de santé (HAS).

Contacté par franceinfo, l’Hôpital américain de Paris confirme avoir vacciné "toutes les personnes volontaires et éligibles intervenant dans l’hôpital (médecins, soignants, administratifs, gouverneurs, prestataires de ménage, de sécurité et de restauration, volontaires bénévoles) selon les critères du ministère de la Santé et conformément aux directives des autorités sanitaires". Au nom du secret médical, l'Hôpital américain ne précise ni les identités ni les âges des "gouverneurs" vaccinés dans ses murs.

Interrogé sur franceinfo après la publication de notre enquête, Olivier Véran, ministre de la Santé, assure qu'il n'acceptera pas de "passe-droits". "Nous protégeons les plus fragiles par ordre de priorité quel que soit l'endroit où on se trouve sur le territoire national et quelle que soit sa condition sociale. Je n'accepterais pas qu'il y ait des passe-droits et s'il y en avait, ce serait regrettable. Et je le dirais aux intéressés."

L'Hôpital américain assume sa stratégie vaccinale

Ces vaccinations "coupe-file" ont été pratiquées grâce aux dotations du vaccin Pfizer-BioNtech fournies par l’Agence régionale de santé (ARS) d’Île-de-France aux hôpitaux et cliniques privés de la région, pour protéger en priorité leurs personnels soignants et non soignants âgés de 50 ans et plus, ou présentant des facteurs de comorbidités. Interrogée par franceinfo, l'ARS d’Île-de-France précise que l'Hôpital américain n’est pas un centre de vaccination public et ne fait pas partie de la liste agréée des cinq centres hospitaliers des Hauts-de-Seine vaccinant les professionnels de santé de ville. Depuis le 5 janvier dernier, l'Hôpital américain peut vacciner son personnel soignant et ses employés administratifs les plus exposés au Covid-19, comme d’autres hôpitaux et cliniques privés d'Île-de-France.

Face à la situation de pénurie de vaccins rencontrée désormais dans cet hôpital comme dans les centres agréés de vaccination du département, la priorité accordée à la vaccination des dirigeants administratifs et aux puissants gouverneurs - même âgés - a provoqué courant janvier de vives réactions au sein de l'établissement de santé privé franco-américain. Mais la direction de l'hôpital assume sa stratégie de vaccination, comme en atteste sa page Facebook, en date du 8 janvier, où l’on voit le directeur général de l’Hôpital américain, Robert Sigal, poser avec ses médecins, soignants et personnels administratifs fraîchement vaccinés, attestations à l’appui. "La vaccination contre la Covid-19 a commencé pour nos équipes ! peut-on lire sur ce post de l’Hôpital américain. Les médecins et personnels de l’Hôpital américain de Paris âgés de plus de 50 ans ou présentant des risques particuliers sont vaccinés en priorité, conformément aux recommandations des autorités de santé (...) La campagne se poursuit pour permettre de vacciner rapidement l’ensemble des volontaires (...) L’Hôpital américain de Paris se tient prêt à vacciner les patients quand il en recevra l’autorisation."

Une pratique qui n'est pas isolée

Selon plusieurs hauts responsables hospitaliers du public et du privé contactés par franceinfo, cette forme de passe-droits pour accéder plus vite à la vaccination n’est pas isolée. "Durant le premier mois de la vaccination, explique l’un d’eux qui souhaite garder l’anonymat, on a immédiatement entendu parler de vaccinations 'coupe-files' dans des établissements privés mais aussi dans des centres de vaccination publics pourtant agréés par les autorités sanitaires. Mais c’est très difficile à prouver et comme l’objectif est de vacciner le plus grand nombre de Français, ce comportement, s’il est moralement répréhensible, n’est pas condamnable par la loi." 

"Entre médecins, on parle de la 6e dose, voire de la 7e dose si on est adroit, comme de la 'dose VIP'. Celle que l’on peut administrer à des personnes non prioritaires."

Un haut responsable hospitalier

à franceinfo

Un syndicaliste de la Fédération Santé Sociaux de la CFDT Île-de-France confirme lui aussi sous le sceau de l’anonymat : "Dès le début de la campagne nationale de vaccination, des collègues en clinique m’ont évoqué des injections coupe-files pour contourner la pénurie ou l’incertitude d’un rendez-vous dans un centre de vaccination. Une collègue d’une clinique parisienne a vu un médecin, sa femme et ses deux enfants vaccinés de la sorte."

Aux yeux de ces professionnels de santé, cette forme de vaccination à la carte de publics parfois non prioritaires est aussi la conséquence de l’absence de contrôle en temps réel des pouvoirs publics sur le suivi des dotations en vaccins. "Les autorités sanitaires, comme la Direction générale de la santé ou l’Agence régionale de santé, sont trop occupées à gérer la crise et à approvisionner les Français à temps en vaccins, explique un haut responsable de santé. Ils n’ont d’autres choix que de faire confiance aux professionnels de santé pour vacciner selon les règles."

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.