: Vrai ou faux Covid-19 : on a passé au crible les critiques faites au vaccin d'AstraZeneca
De récentes études indiquent que le vaccin d'AstraZeneca est finalement aussi efficace, voire davantage que ceux de Pfizer ou Moderna. Son injection a tendance à provoquer des réactions plus importantes, de type pseudo-grippales. Mais il est trop tôt pour conclure qu'il est responsable de thromboses.
Une réaction en chaîne. En quelques jours, une quinzaine de pays européens, dont la France, ont décidé, les uns après les autres, de suspendre l'utilisation du vaccin d'AstraZeneca dans le cadre de leur campagne de vaccination contre le Covid-19.
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Ces décisions ont été prises par précaution, après que des possibles effets indésirables graves ont été signalés chez des personnes récemment vaccinées avec ce sérum. Le produit du groupe pharmaceutique anglo-suédois essuie des critiques, depuis sa mise au point. Franceinfo les examine à la loupe.
Il serait moins efficace que ceux de Pfizer ou Moderna : plutôt faux
Les essais cliniques du vaccin d'AstraZeneca ont conclu a une efficacité d'environ 70% en moyenne, seules 30 personnes vaccinées ayant contracté le virus contre une centaine dans le groupe contrôle. Bien loin des plus de 90% affichés par les produits de Pfizer-BioNTech ou de Moderna. Ce résultat a été validé par la revue scientifique The Lancet*, mais ces travaux étaient incomplets. "Il n'y avait quasiment aucune donnée pour les personnes de plus de 55 ans et aucune donnée pour les plus de 65 ans", pointe Odile Launay, coordinatrice du centre de vaccinologie Cochin-Pasteur et membre du comité scientifique vaccin Covid-19. Surtout, "l'essai clinique du vaccin AstraZeneca était d'une qualité méthodologique moindre que ceux de Pfizer ou Moderna. Il répondait moins aux critères standards", souligne Jean-Louis Montastruc, directeur du centre régional de pharmacovigilance de Toulouse (CRPV).
Contrairement aux essais de Pfizer ou Moderna, "les données d'efficacité étaient issues de plusieurs essais, détaille Odile Launay. Il y avait des essais de phase 1 et 2, puis un essai de phase 3. Ils avaient eu l'autorisation de cumuler les résultats. Mais ça laissait peu de visibilité concernant les résultats sur l'efficacité." Au vu de ces essais, l'Agence européenne des médicaments* (EMA) et son homologue française (ANSM) considèrent que le vaccin d'AstraZeneca est efficace à seulement 60% en moyenne. Mais de nouvelles recherches "en vie réelle", menées dès le lancement des campagnes de vaccination, ont permis de se faire une idée plus précise – et plus rassurante – de l'efficacité de ce vaccin.
Dirigée par des chercheurs de l'université d'Edimbourg (Ecosse), une première étude*, basée sur les données de la Sécurité sociale écossaise de 5,4 millions de personnes, a montré fin février que, après la première injection, le sérum d'AstraZeneca réduisait, plus encore que celui de Pfizer, le risque de développer une forme grave de la maladie conduisant à une hospitalisation. Quatre semaines après l'administration d'une première dose, le risque d'hospitalisation, par rapport aux personnes n'ayant pas reçu de vaccin, était réduit de 85% avec le vaccin Pfizer, mais de 94% avec celui d'AstraZeneca. Chez les personnes de plus de 80 ans, l'un des groupes les plus à risque, les deux vaccins aboutissaient au même résultat : une réduction de 81% du risque d'hospitalisation.
Une seconde étude*, conduite cette fois en Angleterre, à partir des données de la sécurité sociale anglaise sur plus de 7,5 millions de personnes, a confirmé début mars que le vaccin d'AstraZeneca était au moins aussi efficace, si ce n'est plus, que celui de Pfizer chez les personnes âgées de 70 ans et plus. Quatre semaines après avoir reçu sa première dose de Pfizer, cette tranche d'âge était protégée contre les formes symptomatiques de la maladie dans 57 à 61% des cas. Pour le produit d'AstraZeneca, ce chiffre était de 60 et 73%. L'Angleterre n'avait alors pas encore commencé à injecter une seconde dose de vaccin.
Enfin, d'après une étude prépubliée mi-février et dirigée par l'université anglaise d'Oxford, qui a travaillé au développement de ce vaccin, l'efficacité du sérum d'AstraZeneca reste inchangée face au variant repéré au Royaume-Uni. En revanche, "ce vaccin a été arrêté très vite en Afrique du Sud, parce qu'il était jugé pas efficace sur le variant sud-africain, toutes formes confondues, relève Odile Launay. Mais on n'a pas eu de données sur les formes graves, parce qu'il n'y a probablement pas eu assez de personnes vaccinées." Ce qui conduit le pharmacologue Jean-Louis Montastruc à conclure que "ce vaccin est aussi efficace que les autres".
Il provoquerait des effets secondaires plus importants : plutôt vrai
Les essais cliniques du vaccin d'AstraZeneca ont permis d'identifier ses effets secondaires, listés par l'Agence nationale de sécurité du médicament. Parmi les plus fréquents, survenant chez 10% des patients environ, on retrouve : la fatigue, les maux de tête, les nausées, les douleurs musculaires ou articulaires, la fièvre ou les frissons. Le vaccin a aussi parfois provoqué une douleur ou un gonflement au point d'injection, voire des vomissements ou des diarrhées, dans 1 à 10% des cas. Enfin, dans 0,1 à 1% des cas, le vaccin a également pu entraîner une perte d'appétit, une somnolence, un étourdissement, un gonflement des ganglions ou même une éruption cutanée. Dans la majorité des cas, ces effets secondaires sont d'une intensité légère ou modérée et ne durent que quelques jours, précise l'ANSM. Des effets secondaires similaires, survenant globalement aux mêmes fréquences, ont été rapportés pour les vaccins Pfizer et Moderna, lors de leurs essais cliniques respectifs.
L'EMA a également ajouté très récemment l'anaphylaxie et l'hypersensibilité aux effets secondaires potentiels du vaccin AstraZeneca. Mais ces importantes réactions allergiques ont également été recensées dans de rares cas du côté de Pfizer et Moderna. Dans 0,01 à 0,1% des cas pour ce dernier. L'agence européenne souligne en outre qu'il s'agit d'un problème connu pouvant survenir avec les vaccins en général. Reste une différence notable entre ces trois vaccins en circulation : "Avec le vaccin AstraZeneca, on a des réactions importantes à la première injection. Avec les vaccins à ARN [ceux de Pfizer et Moderna], on a des réactions importantes à la seconde injection", constate Mathieu Molimard, chef du service de pharmacologie médicale au CHU de Bordeaux.
Depuis que le vaccin d'AstraZeneca a été déployé dans le cadre de la campagne de vaccination française, les signalements de pharmacovigilance ont confirmé ces constatations. En proportion du nombre d'injections effectuées, le vaccin d'AstraZeneca est celui pour lequel il y a le plus d'effets indésirables signalés. Depuis le début de la vaccination avec AstraZeneca, 3 013 cas d'effets indésirables sur un total de 454 545 injections (ces chiffres datent du 4 mars) ont été remontés aux CRPV d'Amiens et de Rouen en charge du suivi sur ce vaccin. Ces effets indésirables surviennent donc dans 0,66% des cas. Mais parmi ceux-ci, seuls 27,8% sont graves. On déplore un décès, un pronostic vital engagé et douze hospitalisations. Le reste relève principalement de syndromes pseudo-grippaux, mais souvent de forte intensité, résume l'ANSM.
Pour Pfizer, 8 487 cas d'effets indésirables sur 4 566 776 injections ont été signalés. Soit dans 0,19% des cas. La proportion de cas graves est un peu inférieure à celle d'AstraZeneca : 22,2%. Enfin, concernant Moderna, les chiffres sont encore inférieurs. Il y a eu 302 signalements sur 242 797 injections, soit 0,12%. Parmi ces quelques centaines de cas, les effets indésirables graves sont, eux, nettement moins importants : 14,9%.
"On a quand même l'impression que les vaccins à ARN messager sont mieux tolérés que le vaccin AstraZeneca."
Odile Launay, infectiologue à l'hôpital Cochin à Parisà franceinfo
"Tous les vaccins donnent des syndromes pseudo-grippaux, mais ce vaccin AstraZeneca donne des syndromes pseudo-grippaux plus marqués que les vaccins Moderna ou Pfizer", fait également valoir Jean-Louis Montastruc. "Ces syndromes pseudo-grippaux sont aussi plus marqués chez les plus jeunes que chez les plus vieux, les plus de 65 ans", note le pharmacologue, qui avance une explication : "Les jeunes sont plus immunocompétents. Leur système immunitaire est plus actif, donc il réagit davantage." Ce qui pourrait expliquer les syndromes pseudo-grippaux carabinés dont se sont plaints de nombreux membres du personnel soignant après leur vaccination.
Le pharmacologue Mathieu Molimard pointe une limite à ces comparaisons entre vaccins. "Il est assez difficile de comparer les effets secondaires des uns et des autres dans la mesure où les populations auxquelles ils sont destinés ne sont pas les mêmes. Les vaccins à ARN sont donnés à des patients âgés de plus de 75 ans, avec beaucoup d'événements qui peuvent être en rapport avec leur âge et leurs pathologies. Le vaccin AstraZeneca est donné à des personnes plus jeunes."
Il serait responsable d'effets indésirables graves : trop tôt pour le dire
La suspension de l'utilisation du vaccin AstraZeneca a été décidée à la suite d'une série de signalements de thromboses en Europe. Cette formation anormale d'un caillot sanguin dans une veine ou une artère peut entraîner par exemple un accident vasculaire cérébral ou un infarctus, explique le Vidal. "C'est totalement nouveau, on n'avait pas vu ça dans les essais cliniques", souligne la vaccinologue Marie-Paule Kieny.
Au Danemark, premier pays à avoir suspendu le vaccin le 11 mars, une patiente de 60 ans est morte d'une embolie pulmonaire (une complication classique d'une thrombose veineuse) peu après avoir reçu le vaccin. La Norvège, qui a suivi le même jour, a rapporté la mort d'une soignante de moins de 50 ans qui a succombé des suites d'une hémorragie cérébrale. Elle avait été hospitalisée une semaine environ après son injection. Mais aucun lien de causalité n'a pour l'heure été établi. L'Autriche avait de son côté annoncé dès le 8 mars qu'elle suspendait l'utilisation d'un lot spécifique de flacons d'AstraZeneca, après la mort d'une infirmière de 49 ans des suites de graves problèmes de coagulation sanguine, là encore quelques jours après avoir été vaccinée. A ce stade, rien ne permet de dire que le lot de vaccin ou la vaccination soient à l'origine de ce décès, écrit l'EMA.
En Allemagne, les thromboses qui ont été signalées étaient d'un type bien particulier. Il s'agissait de thromboses veineuses cérébrales. Sur les quelque 1,6 million de personnes vaccinées avec AstraZeneca, sept patients (six femmes et un homme âgés de 20 à 50 ans) en ont souffert. Trois en sont morts. Or ce chiffre est "statistiquement significativement plus élevé" que celui observé dans la population générale hors vaccination, d'après l'Institut Paul-Ehrlich en charge des questions vaccinales. De quoi alerter les autorités allemandes.
L'EMA déclare dans un communiqué* avoir ouvert une enquête sur ces événements thromboemboliques graves. Des experts sont en train d'examiner en détail toutes les données disponibles sur les cas de thromboses et les circonstances dans lesquelles elles sont survenues, afin de déterminer si le vaccin a pu jouer un rôle ou si d'autres facteurs sont en cause. Le Prac, le comité de sécurité de l'Agence européenne des médicaments, doit rendre ses conclusions jeudi. L'EMA rappelait dans un précédent communiqué* que seuls 30 cas d'événements thromboemboliques ont été signalés à ce jour en Europe sur environ 5 millions de personnes vaccinées avec le produit d'AstraZeneca. "Ça ne paraît pas du tout exceptionnel comparativement à la fréquence de ces événements en population générale en dehors de toute vaccination", note Odile Launay. A titre d'exemple, rappelle le Vidal, environ 300 000 cas de thromboses veineuses profondes sont diagnostiqués chaque année en France. "Ces événements n'ont pas été rapportés par le Royaume-Uni qui a quand même très largement vacciné avec ce produit", fait en outre remarquer la spécialiste.
En France, un cas de thrombose multiple (cérébrale et pulmonaire notamment) est survenu sept jours après une injection d'AstraZeneca, rapporte l'ANSM. Mais ce genre d'incident est aussi rapporté pour les vaccins à ARN messager. Dans le cas du Moderna, une femme entre 70 et 80 ans a subi une embolie pulmonaire et une thrombose veineuse profonde, onze jours après sa vaccination. Mais la patiente ayant des antécédents d'anévrisme et d'hypertension artérielle, le rôle du vaccin reste indéterminé. Quant au Pfizer, deux cas de thromboses veineuses profondes ont été signalés. Là encore, les antécédents médicaux des deux patients invitent à ne pas incriminer le vaccin.
"On a quelques cas qui ont été déclarés de troubles de la coagulation avec des formes qui sont cliniquement très différentes. On ne sait pas si ces cas sont une coïncidence ou s'il y a une causalité entre la survenue de ces cas et le vaccin", expose Mathieu Molimard. "Il peut y avoir beaucoup de raisons qui pourraient expliquer ces cas de thromboses. Cela peut être tout simplement par hasard que cela s'est passé après la vaccination", confirme Marie-Paule Kieny. Mais il faut en avoir le cœur net et pour cela enquêter. "Si ces accidents ont une présentation clinique un peu inhabituelle, s'ils sont particuliers de par leur gravité ou leur localisation, là ça peut être un problème potentiel", reconnaît Odile Launay.
"On est dans le cadre d'un vaccination de masse et on veut être certain de connaître les risques potentiels de ces vaccins. Donc on a besoin de savoir de quoi il s'agit."
Odile Launayà franceinfo
Si ces thromboses sont un effet indésirable potentiellement grave du vaccin, il faudra déterminer à quelle fréquence et chez quels types de patients elles risquent de se produire, pour "savoir si cela remet en cause la balance bénéfice-risque de façon globale ou juste pour certaines populations", souligne la spécialiste. Pour Annie-Pierre Jonville-Béra, présidente du réseau français des CRPV, cette suspension est donc "tout à fait légitime" au nom du "principe de précaution".
"Sur le plan scientifique, pour l'instant, on n'a pas encore d'éléments pour remettre en cause la balance bénéfice-risque de ce vaccin", tranche pour sa part Mathieu Molimard, qui dénonce "une décision politique" et non scientifique. L'EMA et l'ANSM sont du même avis. Le rapport bénéfice-risque de ce vaccin reste positif, selon elles. Aucun élément ne prouve pour l'instant que la vaccination a provoqué ces troubles. Les deux agences recommandent donc de poursuivre la vaccination avec les doses d'AstraZeneca. Odile Launay l'assure : "Il est très probable qu'on va conclure qu'il n'y a aucune relation entre ces événements indésirables et le vaccin et qu'on continue la vaccination."
* Tous ces liens renvoient vers des pages en anglais
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