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Vaccins contre le Covid-19 : crispation autour des créneaux Doctolib en Seine-Saint-Denis

Des professionnels de santé estiment que les réservations sur les plateformes lèsent les publics moins à l'aise avec les outils numériques, au risque d'accentuer les inégalités.

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Dans le centre de vaccination de La Courneuve (Seine-Saint-Denis). (FRANCE 2)

Les plateformes de réservation comme Doctolib ou Keldoc creusent-elles des inégalités dans l'accès à la vaccination ? Cette question a fait l'objet d'une enquête de Libération, parue dimanche 14 février. Plusieurs professionnels de Seine-Saint-Denis interrogés par le quotidien estiment que la prise de rendez-vous en ligne défavorise les plus démunis et les personnes moins avec les outils numériques. Les habitants des communes concernées s'en trouvent pénalisés, au profit de publics venus d'horizons mieux dotés et plus habitués à ces outils.

"L'ouverture non régulée des rendez-vous sur les plateformes creuse les inégalités sociales", résume un médecin de La Courneuve, interrogé par France 2. "On le voit bien dans les files d'attente, il n'y a pas de mixité sociale", confirme à franceinfo Hélène Colombani, présidente de la Fédération nationale des centres de santé (FNCS). "Nous avions alerté les pouvoirs publics dès la fin janvier, car nous avions constaté à plusieurs reprises les difficultés d'utilisation du numérique pour certains publics vulnérables." Cela ne concerne pas simplement les personnes les plus démunies, mais également "les personnes très âgées et isolées".

Des Parisiens vaccinés à La Courneuve

Pour prendre rendez-vous pour une vaccination, il est possible de se rendre sur le site sante.fr, mis en ligne par le ministère de la Santé. Trois plateformes privées ont aussi été retenues par l'Etat : Doctolib, Maiia et Keldoc. Elles ont été choisies "dans une base d'offres préconstituées d'une centrale publique d'achat", expliquent Les Echos. Celles-ci permettent à tout un chacun de s'inscrire dans un centre, même loin de son lieu de résidence. C'est justement cela qui pose problème en Seine-Saint-Denis. Dans son centre de vaccination, la mairie de La Courneuve recense par exemple davantage de Parisiens que d'habitants de la commune.

Il y a davantage de Parisiens que d'habitants de La Courneuve (Seine-Saint-Denis) au centre de vaccination de la commune (Seine-Saint-Denis), selon les chiffres de la mairie. La mairie estime que cette tendance est accentuée par les plateformes de type Doctolib. (FRANCE 2)

Afin de réorienter la vaccination vers leurs administrés les plus fragiles, certaines mairies ont privilégié les prises de rendez-vous par téléphone ou sur leur propre site internet, en n'ouvrant pas de créneaux sur les plateformes. Ce choix a poussé le préfet de Seine-Saint-Denis à leur adresser un rappel à l'ordre, dans un courrier diffusé par Libération. Le représentant de l'Etat dit comprendre l'existence de listes d'attente dans les centres, à hauteur de 30% des doses. En revanche, il juge "inconcevable que le département n'ouvre pas de rendez-vous sur Doctolib en février et en mars" et promet même de "tirer toutes les conséquences dans [s]es arbitrages ultérieurs", si la situation perdurait.

"Garantir l'équité"

Dans une situation de pénurie de vaccins, les mairies ont dû mettre en place de longues listes d'attente après le 18 janvier, au début de la campagne, car les rendez-vous avaient été tous pris en quelques heures. Contactée par franceinfo, la préfecture s'est contentée de renvoyer aux explications fournies sur les réseaux sociaux. L'ARS et la préfecture expliquent ainsi avoir "demandé conjointement aux centres de mettre à disposition les rendez-vous restant disponibles sur les plateformes prévues pour cela".

La maire de Drancy, Aude Lagarde, a ouvert ces créneaux sans attendre après ce courrier, repassant donc à un système mixte de réservations. Contactée par franceinfo, elle insiste toutefois sur les avantages "de la bonne vieille méthode par téléphone", qui a le mérite de simplifier "le processus et de le rendre plus humain".

"Dans nos villes populaires, les populations les plus modestes et les seniors sont éloignés de l'outil informatique, sauf s'ils ont des enfants."

Aude Lagarde, maire de Drancy

à franceinfo

"Le rôle de l'Etat est de garantir l'équité", reprend Hélène Colombani, "d'autant que certains territoires, comme la Seine-Saint-Denis, ont payé un lourd tribut, avec une mortalité très importante". L'ouverture de créneaux Doctolib risque par ailleurs de léser "ces personnes qui attendent depuis longtemps", met en garde la médecin, qui observe elle aussi le phénomène à Nanterre (Hauts-de-Seine), où elle exerce. Elle demande donc "un peu de latitude pour les professionnels de terrain et les collectivités", afin de permettre un accompagnement au plus près des personnes qui risqueraient de passer sous les radars.

Depuis lundi, l'ARS et la Caisse nationale d'assurance-maladie ont déployé un nouveau dispositif expérimental ciblé sur les personnes âgées précaires du département, selon une circulaire préfectorale datée du 12 février, consultée par franceinfo. Les personnes concernées seront directement contactées pour prendre rendez-vous afin d'accéder à la vaccination dans un centre dédié, à Bobigny.

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