: Vidéo Protocole Raoult : les très chères factures des hôpitaux de Marseille
En 2020, des milliers de malades du coronavirus sont allés se faire traiter à l'hydroxychloroquine, à l'institut marseillais du Professeur Didier Raoult. Des mois plus tard, la facture est particulièrement salée et suscite l'incompréhension.
Printemps 2020. Une file d’attente interminable s'étend devant l’Institut Hospitalier Universitaire (IHU) du professeur Didier Raoult, à Marseille. Des milliers de patients attendent d’être testés et soignés à l’hydroxychloroquine… mais beaucoup n’imaginent alors sans doute pas le montant de la facture.
Nous avons recueilli le témoignage de deux patients, tous deux pris en charge à l’IHU en 2020, après avoir été testés positifs au Covid-19. Ils souhaitent rester anonymes, car le traitement du Professeur Raoult enflamme les réseaux sociaux.
1264 euros pour un malade... asymptomatique
L’un des patients se remémore son passage à l’IHU : "ce jour-là, il y a eu les prises de sang, l’électrocardiogramme, et la consultation. J’ai prévenu que je n’avais pas de mutuelle, on m’a dit ‘vous aurez peut-être un petit truc à payer…’" Mais quand la facture arrive, mauvaise surprise : 1264 euros, dont 80% pour la sécu, et 252 euros qui lui sont directement réclamés. "Si j’avais su que ça coûtait aussi cher, je ne l’aurais pas fait," conclut-il. "D’autant plus que j’étais asymptomatique !"
Pour cet autre patient, qui est retourné trois fois à l’IHU pendant le suivi de son traitement à l’hydroxychloroquine, la douloureuse l’est trois fois plus : 3800 euros au total, dont 758 euros pour sa mutuelle. "Je pense qu’on est sur des montants faramineux," s’étonne-t-il au regard de sa prise en charge : "3800 euros pour trois consultations, deux électrocardiogrammes, trois tests PCR et une prise de sang… c'est pas possible !"
La raison de ce montant : les prises de sang, électrocardiogrammes et consultations n’ont pas été facturés séparément, en actes externes, mais sous un forfait de 1264 euros, l’hospitalisation de jour (en partie prise en charge par la Sécurité sociale).
Pas de compte-rendu d'hospitalisation, pourtant obligatoire
Pour savoir si cette tarification est justifiée, les deux patients ont demandé leurs dossiers médicaux. Un mois après la demande, un seul a reçu des documents. Nous les avons soumis à un ancien médecin-conseil de la Sécurité sociale, la seule profession apte à contrôler la facturation des hôpitaux. Il remarque en premier lieu un document manquant : “si ça a vraiment été une hospitalisation de jour, il y a un compte-rendu d’hospitalisation ! Là il n’y est pas," s’étonne-t-il. La remise de ce compte-rendu dès la sortie est pourtant une obligation légale de l’hôpital, et malgré plusieurs relances, aucun document de ce genre n’a été adressé aux patients.
Les examens listés peuvent-ils justifier une facturation en hôpital de jour ? Non, selon Katia Delahaye, une formatrice professionnelle en facturation hospitalière : "si le patient n’est pas dans un état critique et qu’il n’y a pas de surveillance médicale particulière, l’établissement devrait facturer une consultation de spécialité, avec un électrocardiogramme et un prélèvement de laboratoire." L’ancien médecin contrôleur de la Sécu résume : "il y en aurait, à la louche, pour 200 à 300 euros maximum.” Soit quatre à six fois moins que le forfait hospitalisation de jour.
Marseille concentre 58% des hospitalisations de jour pour inflammations respiratoires en 2020
Avec l’aide du Dr Christian Lehmann, qui a révélé l’affaire dans le journal Libération, nous avons recensé le nombre total d’hospitalisations pour inflammations respiratoires sans nuité, en 2020. Le résultat est stupéfiant : l’Assistance Publique-Hôpitaux de Marseille, dont dépend l’IHU, en a facturé 24 000, soit 58% de toutes les hospitalisations de jour pour ce motif en France l’an dernier. "C’est une anomalie statistique totale," constate le Dr Lehmann. "La seule explication que nous avons vue, c’est qu’à l’époque il était impossible de prescrire de l’hydroxycholoroquine si le patient n’était pas hospitalisé."
Alors l’Assistance Publique de Marseille et son IHU ont-ils eu la main lourde sur les factures ? Non, selon Pierre Pinzelli, secrétaire général de l’AP-HM. Il précise que sur 14 000 patients pris en charge en hospitalisation de jour depuis mars 2020, 1900 se sont vus réclamer un reste à charge (pour les autres, le règlement a été directement pris en charge par les mutuelles) et seuls 79 ont fait une réclamation. Parmi ceux-là, la plupart auraient finalement vu leur dette effacée.
L’hôpital assure en outre que sa facturation n’a pas coûté un centime de plus à la Sécurité sociale, car en 2020, les établissements de santé se sont finalement vus attribuer une garantie financière décorrélée du montant de l’activité facturée. "Ce qui nous guide, c’est la meilleure prise en charge pour le patient, pas la meilleure facturation possible pour l’hôpital," se défend Pierre Pinzelli. "Et si l’Assurance Maladie souhaite faire des contrôles, elle viendra nous contrôler."
Contactée à plusieurs reprises, l’Assurance Maladie ne nous a pas répondu. Le sénateur Bernard Jomier a interpellé le ministre de la santé pour faire la lumière sur ces factures, qui auraient tout de même coûté aux mutuelles, selon nos calculs, jusqu’à 6 millions d’euros… au bénéfice des hôpitaux de Marseille.
Parmi nos sources :
A Marseille, la facture n’est pas passée, Dr Christian Lehmann, Libération, 10 mars 2021
Annexe 4 de l’instruction de la Direction Générale de l’Offre de Soins du 10 septembre 2020 sur la gradation des prises en charges ambulatoires
Code de santé publique, articles R1112-1-2 et R1112-2 sur l’obligation des établissements de santé de remettre une lettre de liaison (également appelée compte-rendu d’hospitalisation)
Katia Delahaye, formatrice professionnelle en facturation hospitalière
Assistance Publique - Hôpitaux de Marseille
Question écrite du sénateur Bernard Jomier au ministre des solidarités et de la santé sur les pratiques de facturation de l’IHU Méditerranée-Infection, 25 mars 2021
Données Scan Santé (ATIH) : MCO mix. Méthodologie du recensement : pour chaque établissement, décompte de l’effectif du Groupe Homogène de Malades 04M07T (séjours de courte durée pour infections et inflammations respiratoires, âge supérieur à 17 ans), pondéré par la part de séjours sans nuités (calculé à partir de la durée moyenne de séjour).
Liste non exhaustive.
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