Ebola : le confinement, la fausse bonne idée de la Sierra Leone
De vendredi à dimanche, les Sierra-Léonais sont tous confinés à domicile pour permettre aux autorités de détecter les malades non déclarés et endiguer l'épidémie. Mais le procédé pourrait s'avérer inutile, voire dangereux.
Chaque pays d'Afrique de l'Ouest a décidé de prendre des mesures drastiques pour faire face à l'épidémie d'Ebola qui sévit dans la région. En Sierra Leone, où 491 personnes ont déjà perdu la vie, le gouvernement a instauré un confinement strict de l'ensemble de la population pendant trois jours, du vendredi 19 au dimanche 21 septembre. Mais l'utilité de cette mesure inédite est contestée. Francetv info se penche sur les problèmes et les risques liés à cette immense mise en quarantaine.
Un procédé jugé inefficace
Pendant trois jours, les 6 millions d'habitants que compte la Sierra Leone seront forcés de rester chez eux. L'objectif des autorités est d'identifier et d'isoler l'ensemble des patients infectés par le virus. Car le ministère de la Santé craint que de nombreuses familles, mal informées et effrayées par les rumeurs de "malades qui ne reviennent jamais", ne cachent des personnes atteintes de la fièvre hémorragique chez eux.
Du coup, 7 000 équipes "composées d'agents de santé, de militants de la société civile et d'un membre de la communauté" vont sillonner les rues du pays pour faire du porte-à-porte, d'après la présidence. Leur tâche consistera à "surveiller", "retracer les contacts", et "identifier les personnes qui présentent des symptômes de la maladie". Ces dernières seront alors conduites en ambulance dans un centre de traitement. Une opération gigantesque qui pourrait être reconduite "périodiquement jusqu'à ce que la maladie soit vaincue"
Dès l'annonce de sa mise en place, le procédé a provoqué une levée de boucliers chez Médecins sans frontières. L'ONG estime qu'"il sera extrêmement difficile aux agents de santé d’identifier présentement les cas à travers le porte-à-porte", car "cela nécessite une certaine expertise".
Dans une tribune publiée dans Awoko (en anglais), journal indépendant sierra-léonais, Winstanley R. Bankole Johnson, l'ancien maire de la capitale Freetown, pointe également du doigt le problème d'une possible contamination véhiculée par les équipes d'inspection: "Il faudrait s'inquiéter de savoir quand et comment chacun de ces agents a été testé pour s'assurer qu'ils n'ont pas été infectés par Ebola avant de rentrer dans chacune de nos maisons..."
Si l'Organisation mondiale de la santé (OMS) évoque avant tout une volonté d'informer la population, MSF estime que les équipes risquent de passer à côté de nombreux cas, par le simple fait que le confinement ne pourra pas être respecté par tout le monde. Selon Festus Minah, membre du Mouvement de la société civile, interrogé par Le Monde, "il pourrait être difficile pour le gouvernement d'empêcher les gens de se rendre aux champs ou de sortir pour se nourrir." C'est ce que confirme Abdulai Bah, un commerçant de Freetown, au journal local Awareness Times (en anglais) : "La plupart des habitants ne comprennent pas pourquoi on leur demande de rester chez eux".
Des moyens inadaptés
Pour mener à bien cette mission, la présidence a prévu "plusieurs ambulances et quelque 30 véhicules utilitaires". Comme le relate Awoko, 16 ambulances flambant neuves ont été livrées le 8 septembre, deux jours après l'annonce du confinement, à l'aéroport de Freetown.
Mais ce n'est pas de véhicules que les autorités risquent de manquer, c'est plutôt de lits d'hôpital. MSF explique ainsi au Monde que les structures existantes n'auront pas la place suffisante pour accueillir les centaines de personnes qui seront placées en observation.
Plus inquiétant encore, le manque de centres adaptés peut amener à regrouper des malades avérés et des personnes seulement suspectées d'être malades. "Le risque est de mélanger tout le monde, indépendamment de leur maladie ou du stade de leur contamination au virus Ebola, et donc de les regrouper dans des lieux qui deviendront des incubateurs, des multiplicateurs de la maladie, alors que l'objectif était inverse", craint Christopher Stokes, un responsable de MSF.
Une perspective qui révolte l'éditorialiste d'Awoko (en anglais), Ben Cambayma : "Surcharger d'un coup les centres de traitement, sans la main-d'œuvre et les équipements nécessaires, va seulement réduire un peu plus la déclinante confiance que les Sierra-Léonais ont en leur système de santé."
Une tension potentiellement dangereuse
L'Union africaine (UA) a ouvertement incité les pays touchés par Ebola à revenir sur leurs décisions d'empêcher leurs populations de sortir de leurs frontières. L'UA craint en effet que les économies locales, notamment l'agriculture, qui dépend des échanges commerciaux, ne souffrent terriblement de cet effet collatéral de l'épidémie.
En Sierra Leone, le confinement provoque les mêmes craintes. Bloquer le pays pendant trois jours risque de déstabiliser une grande partie de l'économie, comme l'explique un responsable d'Handicap International à 20 minutes : "Ceux qui travaillent ne peuvent plus le faire normalement puisqu’ils doivent rester à la maison. Ils ont besoin de manger et boire, mais ne gagnent plus leur vie."
Toutefois, le phénomène le plus dangereux pourrait venir de la réaction des Sierra-Léonais face à cet enfermement forcé de 72 heures, dans un pays où une large partie de la population peine à se nourrir tous les jours. Le risque est alors que la pénurie pousse les habitants à sortir de chez eux et à se regrouper autour de magasins fermés, avec le spectre d'affrontements avec les forces de l'ordre. Des malades non détectés seraient alors en contact avec des personnes saines. Le virus Ebola se transmettant par le contact avec des secrétions humaines (sang, sueur, salive), les risques de contamination massive seraient multipliés.
C'est ce qui s'est passé au Liberia, où un quartier entier de la capitale, Monrovia, a été placée en quarantaine par les forces de l'ordre. Cette mesure radicale a provoqué des rassemblements et des émeutes, comme le raconte le New York Times (en anglais). "La quarantaine va faire empirer le taux de contamination, expliquait alors le Dr Jean-Jacques Muyembe, biologiste congolais, qui fut parmi les découvreurs d'Ebola dans les années 70. Il faut faire comprendre aux personnes mis sous quarantaine qu'elles sont en train d'être aidées, pas opprimées."
Tous les ingrédients pour que les autorités perdent le contrôle de la situation sont présents en Sierra Leone. Comme le rapporte Sierra Express Media (en anglais), des affrontements entre des habitants et la police ont ainsi éclaté le 4 septembre, à Kailahun, dans l'est du pays, alors que la ville venait d'être placée sous quarantaine. Les prémices de ce qui attend les Sierra-Léonais à l'échelle nationale ?
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