Grippe : quatre questions sur une épidémie saisonnière qui se fait attendre cet hiver
A cette époque de l'année, d'ordinaire, l'épidémie de grippe peut être assez massive. Elle semble cette année avoir été supplantée par celle du Covid-19. Illusion ou non?
Chaque hiver en France, on compte de 2 à 6 millions de cas de grippe : cette infection virale respiratoire contagieuse est à l'origine d'épidémies saisonnières. Or, l'épidémie de grippe se fait effectivement attendre en cet hiver 2020-2021. "Il n'y a quasiment pas de grippe en ce moment. Si vous avez de la fièvre, des maux de tête, la probabilité que vous ayez la Covid est grande" a ainsi pu dire le Premier ministre, Jean Castex, le 4 février. franceinfo revient en quatre questions sur la grippe saisonnière.
1La grippe est-elle vraiment absente cet hiver ?
Les données épidémiologiques sont très claires depuis le début de la surveillance, en octobre : des virus grippaux ont été détectés mais leur circulation reste très limitée, à des niveaux d'intersaison, loin des niveaux épidémiques habituels en cette saison. Il n’y a pas actuellement de circulation active des virus grippaux en médecine générale et pédiatrie, rapporte le réseau Sentinelles. Le dernier bulletin hebdomadaire de Santé Publique France souligne que, depuis le 5 octobre, aucun cas grave de grippe n'a été signalé, parmi les patients admis en réanimation, par les services participant à cette surveillance (réseau de 226 services). Aucun virus grippal n'a par ailleurs été détecté ces dernières semaines en outre-mer.
Mais cette moindre détection n'est-elle pas liée à un mode de surveillance différent depuis le début de l'épidémie de Covid-19 ? "Les indicateurs épidémiologiques de la grippe saison 2020-21 et plus particulièrement la surveillance des symptômes grippaux sont impactés par la surveillance liée à la Covid-19" explique Santé Publique France dans ses bulletins. Ainsi, en mars 2020, à la suite de l’émergence du SARS-CoV-2, la surveillance des syndromes grippaux par le réseau Sentinelles a été remplacée par celle des "infections respiratoires aiguës".
Par ailleurs, pour différentes raisons, le volume de prélèvements est moins important que d'habitude. "Les données sont donc forcément à interpréter avec précaution" précise à franceinfo le Dr Sibylle Bernard-Stoecklin, épidémiologiste à la Direction des maladies infectieuses à Santé Publique France. Elle ajoute néanmoins qu'en France comme ailleurs, les systèmes de surveillance ont autant que possible été maintenus dans leur format habituel et que le changement de définition de cas n'a pas un impact majeur sur la capacité de détecter les virus grippaux. Même en rapportant au nombre de prélèvements analysés, le nombre de virus détectés reste très faible.
Ainsi, en médecine de ville, deux virus grippaux seulement ont été détectés de début octobre à la première semaine de février, sur 669 prélèvements naso-pharyngés analysés (contre plus de 550 virus grippaux détectés sur près de 1400 prélèvements la saison dernière à la même époque). Même tendance dans le cadre de la surveillance en milieu hospitalier (réseau Renal) depuis le 5 octobre : 18 virus grippaux ont été détectés parmi plus de 45 000 prélèvements (contre 5800 prélèvements positifs pour la grippe sur plus de 72 000 prélèvements réalisés la saison dernière sur la même période).
2La grippe est-elle aussi discrète ailleurs dans le monde ?
"Tout l'hémisphère Nord est en général concerné par la grippe à peu près au même moment" pointe le Dr Sibylle Bernard-Stoecklin. Or on observe cette année une "absence de circulation active dans toute la zone tempérée de l'hémisphère Nord". Les données du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies et du bureau Europe de l'Organisation mondiale de la santé vont également dans le sens d'une activité grippale qui était à des niveaux d'intersaison – et non à un niveau épidémique – la semaine dernière.
Plus globalement, du début de la surveillance début octobre jusqu'à fin janvier, seuls 14 virus grippaux ont été détectés en Europe sur plus de 19 000 prélèvements réalisés en médecine de ville. Et 574 virus grippaux ont été détectés sur près de 283 000 prélèvements réalisés dans les hôpitaux, établissements pour personnes âgées et autres institutions. Lors de l'hiver austral 2020, dans la zone tempérée de l'hémisphère Sud, "la même absence d'épidémie de grippe saisonnière a été constatée, précise le Dr Bernard-Stoecklin. De manière générale à l'échelle de la planète, le niveau de circulation des virus grippaux est exceptionnellement bas ".
3Les gestes barrières sont-ils le seul facteur d'explication ?
La faible circulation des virus grippaux cette saison s'explique surtout, pour les spécialistes, par l'impact des gestes et mesures barrières qui ont contribué à freiner la propagation de plusieurs maladies hivernales. Le fait de porter des masques, de se laver constamment les mains, de moins se toucher le visage, de garder des distances, a joué sur les modes de transmission d'autres maladies, dont la grippe.
Les indicateurs concernant les cas de gastro-entérite aigus sont eux aussi inférieurs au niveau habituellement observé en cette période. Le taux d'actes médicaux et de passages aux urgences pour bronchites aigues est également beaucoup plus faible. La situation est similaire pour la bronchiolite, cette infection respiratoire due à un virus très contagieux qui touche 30% des enfants de moins de deux ans. Santé Publique France mentionne cela dit, dans ses derniers bulletins, une hausse des cas, passages aux urgences et hospitalisations pour bronchiolite ces dernières semaines.
D'autres facteurs ont également pu jouer, pointe le Dr Bernard-Stoecklin, comme la diminution des échanges internationaux qui joue un rôle dans la dissémination des virus grippaux à l'échelle globale. La fermeture des écoles au printemps dernier a probablement également eu un impact important.
La dernière hypothèse mise en avant est le fait que l'épidémie de SARS-CoV-2 ait supplanté la grippe. "Quand vous avez un virus qui est très installé d’un point de vue épidémique, comme le SARS-CoV-2, il n’y a pas la place pour qu’un deuxième virus vienne co-circuler en même temps de façon aussi abondante, ce qui freine l'introduction du virus de la grippe et le développement d'une épidémie", indiquait déjà en décembre dernier le Pr Bruno Lina, virologue au CHU de Lyon. En effet, lorsque notre organisme est en contact avec le coronavirus, il répond pour se protéger et cette réponse immunitaire bloque l’arrivée d’autres virus respiratoires, comme la grippe.
Il est néanmoins impossible de prévoir, à ce stade des connaissances sur le SARS-CoV-2, comment se comporteront à l'avenir, conjointement ou simultanément, ce virus et la grippe. "Le SARS-CoV-2, rappelle le Dr Bernard-Stoecklin, est un virus émergent, avec un niveau d'immunité de la population encore faible et qui ne se comporte pas encore comme un virus saisonnier classique. Il est donc impossible de prévoir ce qui va se passer à l'avenir entre grippe et COVID-19".
4Une épidémie de grippe peut-elle encore arriver ?
Les épidémies de grippe évoluent selon une saisonnalité. Elles surviennent dans les régions tempérées entre novembre et avril dans l’hémisphère nord, entre avril et octobre dans l’hémisphère sud, rappelle l'Institut Pasteur. Bien qu'annuelles, elles restent imprévisibles. On ne sait pas quand elles vont démarrer, quels virus vont circuler et combien de temps elles vont durer. On ne peut pas non plus prédire l’intensité ou la sévérité d’une épidémie.
"Généralement, explique le Dr Bernard-Stoecklin, il y a une intensification de la circulation des virus grippaux dès le mois de décembre et fin janvier-début février, l'épidémie bat son plein". Certaines années, ajoute-t-elle, le démarrage est plus tardif et l'épidémie déborde sur le mois de mars, avec une détection de grippe jusqu'en avril. On ne peut pas exclure une circulation plus tardive que d'habitude mais une épidémie de grippe concomitante de celle de COVID-19 n'est pas, conclut-elle, le scénario le plus probable au vu des données actuelles".
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